« J'ai juste suivi les ordres ; impossible de faire autrement. »
L'explication laconique de Sly occupait son esprit tandis qu'elle fixait le plafond craquelé, allongée dans le lit aux draps rêches de la chambre d'hôtel deux étoiles où ils étaient descendus à leur arrivée à Paris. La cloison ténue laissait entendre les jurons furieux de Takuya dans la salle de bain, que le bruit de la circulation dans la rue couvrait à peine. Parfois, il cognait même le mur avec ses poings. Il n'avait pas eu besoin de lui faire un dessin : elle avait compris d'elle-même qu'il était tombé en disgrâce. Ses comptes bancaires, ses possessions, son nom, son rang, son réseau, ses amis, et même sa réputation lui avaient été retirés en une demi-journée, pendant qu'il traversait la moitié du monde avec elle. C'est elle qui avait payé les tickets de transport et leur chambre, et il ne restait plus grand-chose pour se payer un dîner. Le retour à la réalité était rude.
Elle tendit les bras au-dessus d'elle et observa ses mains, doigts écartés. Elle n'avait pas de bague, pas même une marque à l'annulaire pour témoigner du concubinage avec Takuya, puis du mariage avec Sly, mais leur clan la possédait déjà deux fois de trop.
« Ce mec doit être sado-maso », soupira-t-elle en laissant retomber ses bras le long de son corps. Le lit craqua un peu. Elle se souvenait de son sourire avant qu'ils se séparent à l'aéroport ; elle aurait dû prendre le temps de lui poser la question, de le retenir. Comment l'imaginait-il en ce moment ? Etait-il jaloux que Takuya l'ait suivie ? Sauterait-il dans un avion, lui aussi, pour la suivre au bout du monde ? Même pas en rêve. Il devait déjà avoir rangé leurs souvenirs dans un tiroir hermétique, qu'il n'ouvrirait que pour lui rappeler des obligations et des interdictions. Elle préférait encore qu'il se taise.
L'héritier déchu sortit de la salle de bain, les cheveux en bataille et les yeux rouges, s'assit lourdement sur le lit qui craqua de plus belle, et poussa un long gémissement. Elle devait admettre qu'elle s'en sortait mieux que lui : pendant sa captivité, elle avait eu le temps de se préparer mentalement à repartir de zéro. Lui se retrouvait seul, en bas de l'échelle, aussi insignifiant que la dernière des recrues, dépossédé de tout mais redevable tout de même de la loyauté à sa famille. Et, comme Sly le leur avait dit d'un ton grave, il devait respecter le code.
- Tu veux un câlin ? demanda-t-elle, se rendant aussitôt compte de l'ironie de leur situation.
Elle éclata de rire malgré elle, puis se calma quand elle croisa son regard noir. Son corps était devenu tabou pour lui, il était désormais hors de question que la moindre sensualité les lie. Sly, qu'elle avait elle-même choisi, avait été incorruptible ; il ne pouvait certainement pas se permettre de faire moins bien après s'être imposé lourdement.
- Un câlin, ce n'est rien, détends-toi, insista-t-elle en posant la main sur son dos et le caressant doucement.
Il finit par se laisser convaincre, et se blottit contre elle. Elle se demanda brièvement s'ils étaient espionnés, et si des hommes armés ouvriraient soudain la porte et feraient irruption dans la chambre pour les séparer, leur couper une phalange ou les battre, mais comme rien de tel ne semblait se passer, elle le laissa même s'assoupir dans ses bras. Le voyage les avait épuisés, l'appel de Sly les avait démoralisés, mais elle se sentait encore confiante. Takuya n'était pas du genre à se laisser abattre, et elle non plus. Une chose la dérangeait tout de même : si elle était officiellement l'épouse de Sly, elle aurait tout de même aimé qu'il lui offre une bague, pour le principe. Enfin, ce n'était qu'un détail.
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La Fleur et le Yakuza 2
RomanceIl lui a sauvé la vie, mais elle a commis une erreur que le code ne pardonne pas. Désormais, il faut en payer le prix.