Chapitre 3

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Dans sa voiture stationnée en urgence, Sly se frappa brutalement la poitrine en entendant une énième fois la voix du répondeur. La fureur faisait battre son cœur fort, trop fort, plus fort qu'au milieu d'un combat. Son adversaire ? Une gamine, une civile, une étrangère... Une femme ! Il la voyait derrière ses paupières, parée de bijoux et tenues qu'il lui avait permis d'acheter, rayonnante de sa beauté de fleur sauvage, sûre de ses charmes ; mais tout cela ne serait pas pour lui. Ce ne serait pas même pour son frère de sang, qu'il avait volontiers trahi contre la promesse d'épargner la vie de cette renarde. Non, ce serait pour un inconnu trop heureux et trop ignorant du sacrilège qu'il commettait, et du châtiment qui ne manquerait pas de tomber.

- Je veux voir du sang couler, murmura-t-il, tremblant de colère, les poings serrés.

Il respectait volontiers le code. Cette fille lui plaisait depuis qu'il l'avait vue, mais Takuya avait eu la priorité. C'était son frère, son maître, son double ; pourquoi pas. Il avait supporté de le voir la dévorer des yeux, la toucher ; il l'avait entendu rire avec elle au milieu de la nuit, la posséder ! Il avait prouvé sa loyauté de mille et une manières, dont certaines lui avaient valu de vivre l'enfer sur terre, et d'autres lui vaudraient l'enfer après la mort. Il avait accepté qu'il ne pourrait jamais l'avoir, pas même lui avouer quoi que ce soit.

Bon sang, lui avouer quoi ?

Il se prit la tête dans les mains. Leur père l'avait prévenu qu'il ne voulait pas de vague, et qu'il valait bien mieux qu'elle disparaisse. Il le lui avait dit en le regardant au fond des yeux. Mais il avait aussi dit qu'il le comprenait et qu'il acceptait de le couvrir s'il trouvait une solution à la folie de Takuya. Il l'avait trouvée, et elle était clairement à son avantage. Alors pourquoi ses efforts pour tout tenir sous contrôle se brisaient-ils sur l'arrogance incroyable de cette démone ?

Il ne le lui avait pas dit, mais cela tombait sous le sens qu'il fallait qu'elle se fasse discrète, qu'elle attende. Bien sûr, malgré leur mariage administratif, rien ne serait passé dans l'immédiat, mais après quelques années de bons et loyaux services, s'il existait un destin pour eux, si l'honneur était sauf et si Takuya l'avait oubliée, alors peut-être... Peut-être...

Soudain, il l'imagina encore dans les bras d'un immonde porc plein de désir, et la rage contracta son corps entier à nouveau. Il se laissa déborder par un flot de jurons et d'imprécations qu'il vomit, seul dans sa voiture, les mains crispées sur le volant. Cela ne lui était jamais arrivé.

Lorsqu'il se ressaisit, le souffle court, il se sentait pourtant un peu mieux. Le tremblement l'agitait encore, mais il parvenait à réfléchir. On ne l'avait pas surnommé Sly pour rien. Il savait encaisser et faire mal au moment opportun.

Il orienta le rétroviseur interne afin de s'y voir et se força à recomposer ses traits.

- Alors, comme ça, ta femme te fait cocu avec la vermine ? dit-il en s'adressant à son reflet d'un ton moqueur.

Il se souvint alors que seshommes parlaient parfois de ces choses-là en sa présence, et que cela lefaisait habituellement rigoler, car il n'avait jamais imaginé qu'une tellechose ait pu lui arriver. Il était désormais certain de ne plus jamaiss'autoriser cette condescendance. Finalement le corps d'une femme pouvait bienêtre traité comme un territoire ; et il n'avait jamais laissé quiconquemarcher sur ses plates-bandes. L'émotion était passée, il se sentait à présent suffisammentcalme et réfléchi pour retourner à ses occupations. Il passa tout de mêmequelques coups de fil, avec amertume.

La Fleur et le Yakuza 2Où les histoires vivent. Découvrez maintenant