Lorsqu'elle avait rallumé son téléphone, au petit matin, elle avait été un peu déçue de ne pas y voir de notification de message vocal. La soirée avait été vraiment sympa, elle s'y était bien amusée, même si le côté superficiel de ces fêtes l'ennuyait passablement. Enfin, bonne musique, bonne ambiance ; que demander de plus ? Elle ne se souvenait déjà plus du nom de l'homme qui l'avait invitée, mais elle avait repéré des invités tout à fait à son goût, avec qui elle serait bien restée plus longtemps si elle n'avait pas senti un léger malaise qui l'avait convaincue de partir.
Son malaise était venu du regard appuyé d'une convive au style flamboyant, qui était arrivée après elle à la soirée, et qui l'avait regardée et traitée avec un mépris affiché. Cette femme s'était directement assise sur les genoux de l'hôte et avait monopolisé son attention avec une attitude de diva capricieuse. La fascination de l'homme s'était vue sur son visage. La concurrence pouvait être rude, cependant il n'y avait pas d'enjeu pour elle.
A son arrivée à l'appartement, elle enleva ses chaussures et rejoignit sa chambre sur la pointe des pieds pour ne pas faire craquer le plancher. Si Takuya avait montré sa désapprobation à son départ, cela ne l'avait pas empêché de dormir. Elle se laissa tomber sur son lit en soupirant, le téléphone toujours dans la main. Pendant plusieurs minutes, elle écouta les bruits de la nuit. Il n'y en avait aucun. Pas même une sirène, pas un aboiement de chien, pas un hurlement d'ivrogne. Pas une notification non plus. Elle finit par consulter ses courriels, au cas où, avant de se déshabiller, de se démaquiller et de coucher.
Elle fut réveillée en sursaut par le bruit de la porte d'entrée qui claquait contre le mur de l'entrée, une cavalcade de pas précipités et les cris de panique d'Erin et de Lisa. Il était six heures du matin, elle n'avait dormi que deux heures, mais elle sortit du lit d'un bond et se précipita dans le salon, le cœur battant. Elle y découvrit les filles à genoux, haletantes, les mains jointes en signe de supplication, tandis que des hommes les brutalisaient en les tirant par les cheveux. Takuya avait été maîtrisé par deux hommes ; maintenu contre le mur, il rageait en essayant en vain de se dégager, sans doute pour secourir sa dulcinée. Cinq autres hommes restaient debout à regarder le spectacle, pendant qu'un dernier s'esclaffait en faisant le tour du propriétaire.
Dès qu'ils la virent, les hommes se jetèrent un regard entendu, et trois des intrus avancèrent vers elle. Takuya redoubla d'efforts et de cris. Pendant qu'elle tentait de se défendre en appliquant ce que Sly lui avait appris, elle se rendit compte que ces hommes n'étaient pas de la police. Ils la maîtrisèrent assez vite, en riant et en échangeant des paroles dans une langue étrangère. Ils étaient tous asiatiques, peut-être même venaient-ils d'Asie du Sud, car leur peau était basanée. Celui qui semblait leur donner les ordres s'approcha d'elle et la regarda longuement avant de lui adresser la parole.
- Bonjour Madame, dit-il très poliment, sans accent. C'est votre mari qui m'envoie.
A genoux, les bras tordus en arrière, elle interrogea Takuya du regard. Il semblait aussi surpris qu'elle. Erin et Lisa la dévisageaient, incrédules.
- Il n'apprécie pas que vous développiez une activité à votre compte, sans même lui proposer la part qui lui est due, poursuivit le chef de la bande. C'est pourtant la base d'une relation de confiance dans toute famille qui se respecte.
Son corps tendu s'affaissa en entendant ces mots. Les hommes qui la tenaient ricanèrent en la voyant anéantie l'un d'eux effleura ses cheveux. Takuya se débattit férocement à nouveau, toujours sans succès.
- Je vois que vous comprenez de quoi je parle, continua le chef en s'asseyant sur l'accoudoir du canapé. Votre mari est un partenaire important pour moi. Je n'ai rien contre vous personnellement, mais je suis bien obligé de faire ce qu'il me demande.
Il jeta un rapide coup d'œil à Takuya et ajouta :
- Il m'a assuré que son frère ici présent ne ferait rien pour aggraver votre situation et que vous nous suivriez sans difficulté pour épargner à vos amies une expérience malheureuse.
Les hommes se mirent à rire, tandis que les deux jeunes femmes recommençaient à paniquer. Takuya cessa complètement de remuer. Elle se souvint que Sly était celui qui lui infligeait les sanctions décidées par le chef du clan, dans leur maison familiale. Il devait être capable du pire.
- D'accord, dit-elle en essayant de masquer le tremblement de sa voix. Je vous suis. Ne leur faites pas de mal, ils n'y sont pour rien.
L'homme acquiesça et fit signe à ses sbires. Lisa et Erin retrouvèrent leur liberté en premier ; elles voulurent se lever mais leurs jambes se dérobèrent sous elles et elles rampèrent quasiment jusqu'à la chambre d'Erin pour s'y enfermer. Takuya retrouva alors sa liberté, mais il resta le dos au mur, les yeux rivés sur elle. Elle y lisait toute sa colère impuissante, ainsi qu'une déception qui la blessa un peu.
Quand son tour vient, elle repoussa furieusement les hommes qui l'avaient maîtrisée et en gifla un à la volée.
- Waouh, s'écria le chef, amusé. C'est donc vrai que vous n'avez peur de rien.
Puis il consulta sa montre et donna des ordres brefs. On la saisit, et elle fut traînée hors de l'appartement sans ménagement. Quatre hommes restèrent en arrière pour prendre ses affaires. En traversant le palier, elle lut la stupeur sur le visage des voisins sortis sur le pas de leur porte pour voir ce qui se passait. Elle était en chemise de nuit, pieds nus, échevelée et malmenée, mais aucun n'intervint pour elle. Enfin, en dehors de l'impression de déjà vu, elle ne ressentait rien en dehors de la rage d'être à nouveau le jouet d'un homme qui, en plus de la considérer comme sa chose, n'avait pas eu la décence de se déplacer pour lui infliger ce traitement en la regardant dans les yeux. On la poussa dans une voiture, encadrée de deux malabars qui lui saisirent chacun un bras. Alors elle se demanda ce que Sly pouvait bien lui avoir réservé. Ce serpent qui se prenait pour un homme devait encore se cacher derrière son satané code. A douze heures de vol, à l'autre bout de la Terre, après l'avoir lâchée dans la nature, il espérait encore l'impressionner ?
- Petite bite, cracha-t-elle entre ses dents.
Les hommes à ses côtés tournèrent la tête vers elle, interloqués. Elle leur tira la langue. Puis elle s'avisa que, s'ils lui tenaient les poignets, cela ne l'empêchait absolument pas de tenter une action. Elle se jeta sur celui de droite, les dents en avant, et referma sa mâchoire sur son oreille. Il hurla et la repoussa brutalement. Elle n'avait pas pu arracher de chair, mais le lobe était bien rouge. Portant la main à son oreille, il lâcha une bordée d'injures et lui donna rapidement un coup de poing qui la sonna. Sa tête rebondit sur le dossier de la banquette arrière ; elle serra les lèvres pour ne pas leur faire le plaisir de l'entendre gémir de douleur.
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La Fleur et le Yakuza 2
RomanceIl lui a sauvé la vie, mais elle a commis une erreur que le code ne pardonne pas. Désormais, il faut en payer le prix.