Chapitre 6

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Nous suivîmes l'employé de mairie à l'intérieur du bâtiment. Il marchait vite, laissant dans son sillage un courant d'air froid.

- Excusez-moi, tentai-je de l'arrêter, où doit-on s'adresser pour une carte d'identité ?

- Vous prenez un ticket et vous patientez comme tout le monde ! aboya-t-il sans se retourner.

Je me ratatinai sur moi-même. L'image d'Aurélien s'était envolée. Il me rappelait désormais la principale du collège qui m'avait terrifié de mes onze ans à mes quatorze ans. J'avais l'humiliante sensation d'en avoir subi les foudres.

Le sale bonhomme s'éclipsa derrière une porte de service au moment où nous atteignions le grand hall. C'était une salle si vaste que l'on avait disposé à tous les coins de fausses plantes en pot pour en masquer la démesure. Sans le moindre bon sens, l'accueil avait été placé exagérément loin de l'entrée, installé là où finissait la lumière naturelle et où commençait celle des plafonniers. Il était tenu par une femme aux cheveux gris dont j'espérais qu'elle n'avait pas assisté à ma déconvenue. Elle semblait toutefois n'avoir d'intérêt que pour la partie de solitaire que je la soupçonnais d'avoir lancé sur son ordinateur. Je lui répétais la raison de notre venue et elle nous tendit sans un mot un ticket portant notre numéro de passage.

Ces formalités me laissaient perplexe. En dehors d'un retraité qui arriva peu après nous, courbé sur sa canne, nous étions seuls. Pourtant les minutes passaient sans que nous soyons appelés. Les officiers d'état civil devaient prendre leur temps pour s'installer à leur bureau. Quand une cloche sonna et qu'enfin un numéro s'afficha à l'écran fixé sur un mur, ce n'était pas le nôtre. Nous vîmes un couple et leur poussette qui venaient juste d'arriver disparaître derrière le paravent du guichet qui les convoquait.

Sacha avait son visage inexpressif, comme à chaque fois qu'il pénétrait un milieu inconnu. Lorsque ses yeux se posaient sur moi, ce qu'il prenait soin de faire le moins possible, sa bouche se tordait un peu, signe qu'il était embêté de me faire prendre part à sa galère. Je le rassurai en caressant du pouce le dos de sa main. N'osant aller attendre sur des chaises, nous nous tenions debout, collés l'un à l'autre comme à chaque fois que nous en avions le loisir. L'effet de notre proximité petit à petit parut détendre mon compagnon.

- Tu souris, Sacha ?

- Hum. Tout va être réglé rapidement alors que ça a traîné pendant des mois. J'ai presque du mal à le croire.

La cloche sonna une nouvelle fois. Nous eûmes un instant d'hésitation. Malgré ses paroles confiantes, Sacha commençait comme moi à penser que notre tour ne viendrait jamais. La surprise passée, l'information se fraya un chemin dans notre tête et nous nous dépêchâmes de nous présenter au guichet.

La dame qui nous attendait, vêtue d'un chemisier aux couleurs de l'été, fut la première personne à se montrer serviable. Parfaitement professionnelle, elle nous fit signe de nous asseoir sur les sièges rembourrés face à son bureau.

- Dîtes-moi tout, demanda-t-elle en double-cliquant sur son poste de travail.

- Ce serait pour faire une pièce d'identité, exposai-je pour la troisième fois notre requête, tâchant de ne pas penser aux divertissements qu'elle venait sûrement de fermer ou d'intervertir avec une autre fenêtre sur son écran.

Même si je ne pouvais le voir, j'avais une bonne idée de l'état du bureau de son ordinateur. Je l'imaginais bien moins propret que celui qui soutenait seulement son écran, son clavier et quelques articles de papeteries. Mais elle nous parlait aimablement, désormais toute à nous. Cela me mettait d'humeur indulgente.

- Avez-vous fait une pré-demande en ligne ? voulut-elle savoir.

- Heu... Pas exactement...

Sa question m'avait déconcerté. Je retombai insensiblement dans l'anxiété qui me travaillait quelques minutes plus tôt. Autour les lieux étaient lisses et ternes. Il n'y avait que Sacha pour faire bondir mon cœur de contentement, mais ce n'était pas lui qui me viendrait en aide. Avais-je réussi à louper une étape avant même d'avoir commencé ? En face, notre hôtesse m'adressait un regard interrogateur. Je me fis plus précis :

Sacha et MartinOù les histoires vivent. Découvrez maintenant