Je m'entendais bien avec les plantes. Elles appréciaient ma compagnie autant que moi la leur. C'était du moins ce qui me semblait lorsque j'allais à leur rencontre, un arrosoir, un seau de compost ou une serfouette à la main. Elles tendaient leurs feuilles vers moi et se laissaient manipuler sans chercher à me piquer ou à me glisser entre les doigts. En plus du champ de lavande, Yves et Salomé possédaient un potager où ils faisaient pousser quantité d'aromates et de plantes à tisane, ainsi que quelques légumes, pour le plaisir. Pour le plaisir, j'apportais les uns en cuisine, mettais les autres à sécher, couchés au soleil sur un drap, ou bien suspendus en guirlandes aux poutres du hangar ; quand midi approchait, je veillais à ce que les courges aient de l'ombre en déployant au-dessus d'elle une toile fixée à des piquets. J'aimais de tout mon cœur ces activités, mais je ne m'y étais pas engagé de ma propre initiative : on m'avait demandé d'accomplir ces travaux pour rendre service. Aussi, à la joie de consacrer mon temps au végétaux s'ajoutait celle de me sentir utile à la collectivité.
Plusieurs jours, déjà s'étaient écoulés, et je commençais à me créer des habitudes à mon goût. Le matin, je me réveillais avant tout le monde. C'était le moment que je préférais. Un souffle d'air et de lumière douce faisait onduler les minces rideaux de la caravane. Nous nous endormions les fenêtres ouvertes, de sorte que l'extérieur me parlait toute la nuit, glissant des grillons dans mes rêves et, à l'aube, des pépiements d'oiseaux. En ouvrant les yeux, j'étais chaque fois surpris de découvrir des cloisons autour de moi. Pendant quelques minutes, le temps que ma conscience réintègre mon corps, j'observais cet espace fermé tout en écoutant la respiration de Sacha.
Ce matin-là, elle me sembla différente, plus sage que d'habitude, comme s'il feignait seulement de dormir, mais je n'y prêtais pas longtemps attention. Je m'habillai rapidement et sortis sans faire de bruit, pressé de rejoindre le jardin. À cette heure, j'avais toujours l'impression de pénétrer en un lieu secret, de découvrir une terre inconnue. Il n'appartenait plus aux ombres, mais aucun être humain ne l'avait encore foulé.
Je devais admettre que mon plaisir avait été légèrement gâché la première fois, lorsque j'étais tombé sur une tente, cachée derrière un bosquet. C'était là qu'Hermine passait ses nuits. Néanmoins, le choc passé – et la jalousie étouffée – je m'étais accommodé de cette présence, et ce d'autant plus facilement qu'Hermine n'était pas une lève-tôt. Elle laissait volontiers aux autres les salutations au soleil, préférant dormir jusqu'à la dernière minute. Je ne risquais pas de la croiser en pyjama pendant que j'arrosais un massif d'œillets.
Telle était ma mission : abreuver le jardin. Il était encore plus beau une fois tout scintillant de gouttes, et j'aimais le regarder de très près, me pencher sur les feuilles luisantes, délicatement dentelées, et sur les toiles d'araignée emperlées. L'arrière-plan devenait flou, la tente bleu marine se parait de tons orangés.
Je me dirigeais ainsi vers mon petit paradis en savourant d'avance le contact de l'herbe sous mes pieds, perdu si loin dans mes rêveries que j'en oubliai l'arrosoir. Après avoir branché le tuyau au robinet, je repartis chercher le récipient manquant. Lorsque je reviens, le tuyau n'était plus comme je l'avais laissé. Son serpentin déroulé courait entre les arbres et les buissons derrière lesquels j'entendais un bruit d'eau. Surpris, j'en remontai lentement le fil, comme un chasseur suivant une piste, et tombais sur une scène inattendue : vêtu seulement d'un caleçon, Sacha s'aspergeait depuis la tête jusqu'aux pieds.
- Qu'est-ce que tu fous ?! m'écriai-je.
- Je prends ma douche.
À l'entendre, il n'y avait rien de plus naturel que de confondre la pelouse avec une salle-de-bains. Pareille insolence méritait une punition. Je tentai de lui arracher la tuyau, mais il esquiva avant de diriger le jet sur moi. En moins d'une seconde, je me retrouvai trempé comme une soupe. J'attendis qu'il ait fini de s'amuser et baisse son arme pour lui dire ma façon de penser ; à peine avais-je ouvert la bouche que l'eau me revint dans la figure et s'engouffra dans ma gorge. Mon agresseur s'étouffait lui aussi. Il ne parvenait plus à respirer tant il riait. Je m'élançai à sa poursuite, le tuyau rampant derrière nous se prit dans une racine, s'enroula autour d'une chaise. Tendu à l'extrême il arrêta la course de Sacha devant la maison.
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Sacha et Martin
RomanceSymphonie de Borée - Tome 2 L'été approche. Sacha et Martin n'ont d'autre choix que de rentrer chez les parents de ce dernier. Martin est anxieux à l'idée de retrouver son père après leur dernière dispute, d'autant qu'il entre dans une période de s...