Chapitre 33

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La mine déçue d'Olivia ne suffit pas à nous retenir. Après le déjeuner, nous embarquâmes à quatre dans la voiture de Raph, Karen et Sacha ensemble à l'arrière. Peut-être intimidé par la jeune femme à ses côtés, mon petit ami ne se fit pas entendre de tout le trajet. Karen et Raph, à l'inverse, ne nous laissèrent pas une seconde de répit. Je coupai le son de la radio dans l'espoir qu'ils baissent d'un ton, mais c'était leur enthousiasme, et non pas un concert de guitares, qui les poussaient à parler si fort. Je songeai un instant que j'aurais dû laisser ma place à Karen. Cependant, discuter sans contact visuel n'avait pas l'air de les déranger. La matinée avait été productive. Ils avaient eu le temps de glaner sur Internet tous les renseignements utiles à la réalisation de leur projet décidé à la dernière minute.

- Toute la ville est une sorte de théâtre géant, expliqua Raph, le sourire jusqu'aux oreilles. Les pièces sont jouées dans des salles de spectacle, bien sûr, mais aussi des écoles, des gymnases, des monuments... Il y a au moins une trentaine de scènes différentes !

- On peut encore acheter des billets une heure avant le début des pièces, poursuivit Karen.

- J'en ai remarqué une qui a l'air assez intéressante. Elle porte sur le monde ouvrier. Apparemment, le metteur en scène est quelqu'un de très engagé.

- Le descriptif, en tout cas, parle d'une réalisation audacieuse.

- C'est prometteur, dis-je, parce qu'il fallait bien répondre quelque chose.

Tendant le bras derrière mon siège, j'interpellai Sacha :

- Ça va, le hérisson ?

- C'est toi, le hérisson, rétorqua-t-il sur un ton qui me parut morne et désintéressé.

Je n'insistai pas et attendis, pour revenir vers lui, que nous soyons descendus de voiture.

Nous eûmes la chance de trouver une place en centre-ville : au moment où nous nous engagions sur le parking, un véhicule quittait son emplacement. Une bouffée de chaleur accueillit notre arrivée. Il me sembla que l'air était plus étouffant ici que sur les hauteurs où nous résidions. Notre petit groupe s'avança dans une allée commerçante, débordante d'activité, où une flopée d'enseignes modernes s'étaient nichées à l'intérieur de bâtiments anciens. Leurs vitrines tape-à-l'œil formaient un contraste étrange avec les façades poudreuses et défraîchies, quoique non dénuées de charme, certaines arborant des moulures qui n'étaient pas sans rappeler les ornements de la capitale. Élevant mon regard au-dessus des toitures, j'aperçus plusieurs fois une tour ou une arcade qui remontaient probablement à l'époque médiévale.

Le rythme indolent que m'imposait ma contemplation me fit prendre du retard, ainsi qu'à Sacha qui ne me quittait pas d'une semelle. Nous nous retrouvâmes à marcher en arrière et je ralentis encore volontairement pour être un peu seul avec lui. Son pas s'accorda au mien, il n'exprimait pas le désir de rattraper nos deux camarades, mais son regard fixait un point dans la foule, s'appliquant à ne pas perdre de vue les zigotos qui fonçaient comme des fusées.

- Ils ont tout prévu, dis-moi. Ils savent exactement où ils vont, commenta mon compagnon d'un air critique.

- Établir des programmes, c'est la spécialité de Raph, dis-je en le prenant par la taille. Ça lui est souvent arrivé de se retrouver dans des groupes complètement à l'arrêt parce que les gens étaient incapables de faire des choix, alors il s'est habitué à prendre lui-même les décisions. À endosser le rôle de meneur, si tu préfères.

- Ça me rappelle quelqu'un...

Cette capacité qu'avait Raph à se diriger vers un but et à entraîner les autres à sa suite était généralement saluée par son entourage. Moi-même, j'admirais son autorité naturelle, mais Sacha ne la voyait pas d'un bon œil, condamnant une forme de despotisme dont il avait plusieurs fois fait les frais... Je ne pouvais ignorer sa remarque, surtout après la matinée que nous avions passée.

Sacha et MartinOù les histoires vivent. Découvrez maintenant