Le jour dit, la porte s'ouvrit et aussitôt éclata un tonnerre de bavardages, de bises et de poignées de mains. Je restai à l'arrière, plissant les yeux pour trouver un sens dans cet amas de personnes qui auraient dû m'être familières mais ne l'étaient pas. Mon père arborait un sourire sucré, ma mère un chemisier rouge à volants qu'elle ne sortait jamais de sa penderie. Accordant quelque confiance à son jugement, j'enregistrai l'idée que la forme serrée dans ses bras correspondait à sa nièce, c'est-à-dire la fille de sa sœur Caroline, Astrid. Ma cousine s'était teint les cheveux en roux, me la rendant difficile à reconnaître.
A peine avais-je apprivoisé ces premières impressions qu'un géant se profila dans l'encadrement de la porte. L'arrondi de son crâne, souligné par ses cheveux clairs coupés très courts, n'adoucissait en rien sa mâchoire carrée. Il portait au bout de son bras presque aussi large que long un siège de bébé si profond qu'on n'en voyait pas le contenu. Ces deux créatures ne pouvaient être le mari et le bébé tout neufs.
- Evan, se nomma celui des deux qui était (trop) visible, tendant la main à mon père.
En ayant assez vu en face, je jetai un coup d'œil derrière moi. Sacha se tenait encore plus en retrait, prêt à se replier dans les escaliers. Je l'apaisai d'un sourire discret : bientôt, les effusions allaient retomber, me laissant la place de dévoiler une heureuse nouvelle. Mais Sacha, après s'être détendu un quart de seconde, retrouva d'un coup son attitude figée : on s'approchait de nous.
- Tu vas bien ?
Astrid ôta d'un ample geste les lunettes de soleil qu'elle portait relevées en serre-tête et me tendit la joue pour échanger une bise. Je m'exécutai, grinchant intérieurement après le timbre de voix aigu qu'elle avait employé pour me saluer. Plus âgée que moi de cinq ans, elle avait toujours aimé se donner des airs de grande, même après que je l'ai dépassé en taille. Aujourd'hui, peut-être sans même en avoir conscience, elle tenait plus que jamais à me faire sentir la différence entre nous à présent qu'elle était mariée et mère de famille.
- Très bien et toi ? répondis-je avec un petit temps de latence.
- Je ne pourrais pas aller mieux ! Et toi, tu es ?
Sacha était repéré. Il se força à se montrer poli, déclina son nom qui ne sembla pas suffisant : Astrid attendait aussi la fonction.
- Martin et moi... commença-t-il en levant les yeux dans ma direction, cherchant mon accord.
- On est ensemble, complétai-je sans pouvoir cacher le bonheur que m'inspirait cette phrase.
- Oh ! fit Astrid en traitant soudain mon compagnon avec beaucoup plus de considération. Enchantée. Ravie de te connaître.
Elle était doublement surprise. Surprise, bien sûr, de trouver un jeune homme dans mon cœur, mais étonnée, surtout, de voir son cadet la rattraper dans la vie. Et si elle était assez patiente, j'avais en réserve de quoi l'ébahir un peu plus.
On passa dans le salon où mon père me somma d'apporter des chaises pour faire asseoir tout le monde autour de la table basse. Il y trônait un plateau d'amuse-gueules et une ribambelle de verres à pied. Evan trouva immédiatement son bonheur dans le canapé dont, les jambes largement écartées, il occupait deux places à lui seul. Il déposa sa progéniture sur la portion de sofa restante. Ma mère parvint, je ne sais comment, à se dégoter un espace entre l'accoudoir et le bébé pour fondre sur ce dernier. La suite était prévisible. L'enfant, extrait de sa couche, passa de mains en mains, jusqu'au moment où le niveau sonore de ses protestations dépassa le volume des cris d'extase. Alors, le père récupéra sa création dans un bras, l'autre main tenant une coupe de champagne. C'étaient comme deux spectres, deux attributs royaux qui composaient l'étalage de sa virilité.
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Sacha et Martin
RomanceSymphonie de Borée - Tome 2 L'été approche. Sacha et Martin n'ont d'autre choix que de rentrer chez les parents de ce dernier. Martin est anxieux à l'idée de retrouver son père après leur dernière dispute, d'autant qu'il entre dans une période de s...