L'après-midi était déjà bien avancé quand nous arrivâmes à la gare, ce qui n'empêchait pas le soleil de taper plus fort que jamais dans la pente escarpée où nous traînions les bagages.
- Martin ? m'appela Sacha.
Je crus qu'il peinait trop et souhaitait faire une pause, mais c'était autre chose qu'il avait en tête :
- On devrait pas acheter un gâteau ou un bouquet de fleurs ? Ce serait plus poli.
Je levai les yeux au ciel.
- On va pas rendre visite à des amis. On rentre chez moi ! Ce serait ridicule.
- Peut-être, mais bon...
La bouche de Sacha formait une ligne sévère qui témoignait de son ennui. La perspective de rencontrer prochainement mes parents s'était finalement mise à lui remuer l'esprit. Pour être honnête, je n'étais pas non plus pressé de les avoir face à moi. Le dernier tête à tête avec mon père ne s'était pas exactement terminé par des embrassades. Tout à coup, le chemin jusqu'à la maison ne me sembla plus si long ni périlleux.
Une dizaine de minutes plus tard, le portail blanc était en vue. J'enviais Sacha qui ne savait pas encore que nous étions si proches. Il pouvait continuer à marcher sans appréhender excessivement. Pour ma part, je commençais à avoir dans le cœur une nausée dont je ne parvenais pas à m'expliquer la raison concrète. Même après tout le souci que je leur avais causé, je ne pensais pas mes parents capables de faire mauvais accueil à Sacha.
A ce moment, ce dernier prouva que je me trompais quant à son ignorance.
- Alors, c'est là... dit-il avant même que je lui ai indiqué le numéro.
- T'es devin ou quoi ?
- Bah non, mais y en a pas beaucoup des maisons avec des boîtes à livres qui trônent devant.
Il s'était rappelé ce que je lui avais raconté sur la métamorphose de l'ancienne boîte aux lettres. Ce jour-là, nous étions allés à la bibliothèque. Illuminée par ce doux souvenir, l'atmosphère se radoucit.
- C'est vrai, soufflai-je en m'arrêtant devant et caressant la peinture écaillée.
Sacha fit courir son index sur le dos des livres, serrés dans leur niche exiguë. Je lus les titres avec un sourire. Jusqu'à tomber sur l'un qui me fut étrangement familier.
- Mais... C'est à moi, ça !
Je me servis de mes ongles pour dégager l'ouvrage en cause. Il s'agissait d'un vieux recueil de trois contes que je m'étais fait lire un nombre incalculable de fois quand j'étais petit. Je débordais d'une telle admiration et d'un tel amour pour les illustrations que mon pinceau d'enfant avait tenté de les reproduire dans la marge même. Quand j'ouvris le volume à une page au hasard, les gribouillis malhabiles ne laissèrent plus de doute. C'était bien mon exemplaire. L'énervement qui me gagna fit battre une veine à ma tempe.
- Ils osent se débarrasser de mes vieilles affaires sans me demander l'autorisation ! pestai-je.
Je levai un regard plein de ressentiment sur la façade de la maison, séparée de nous par une courette minuscule. La bâtisse feignait l'innocence, les stores baissés au prétexte de se protéger de la chaleur.
Tenant mon livre sous le bras, je fis grincer le portail et m'avançai d'un pas déterminé vers la porte d'entrée. Cette dernière s'ouvrit avant que j'aie pu poser la main sur la poignée. Interloqué, je découvris dans l'encadrement la silhouette de ma mère, toute en rondeurs, jusqu'à ses sourcils qui formaient sur son front un arc soucieux. Elle avait dû espionner la rue pendant des heures à travers les lames du store et, à présent que j'étais là, elle avait presque l'air de ne pas me reconnaître ou, en tout cas, de ne pas en croire ses yeux.
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Sacha et Martin
Storie d'amoreSymphonie de Borée - Tome 2 L'été approche. Sacha et Martin n'ont d'autre choix que de rentrer chez les parents de ce dernier. Martin est anxieux à l'idée de retrouver son père après leur dernière dispute, d'autant qu'il entre dans une période de s...