Chapitre 7

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Cela avait duré plusieurs secondes. Il m'avait fallu tout ce temps pour réagir, lui sauter dessus et l'enserrer de mes bras. Il se débattit furieusement, sa respiration cognait contre moi à la manière d'un marteau, mais je m'acharnai à le comprimer en dépit de la peur. J'avais plus peur encore de découvrir jusqu'où il pouvait se meurtrir. Mes muscles me brûlaient, mes tibias et mes hanches en étaient déjà quittes pour une collection de bleus. J'avais beau lui chuchoter des paroles de réconfort, rien n'y faisait, il ne m'écoutait plus. Quand soudain un ange passa :

- Tout va bien là-haut ?

Tout d'un coup, mes bras se refermèrent sur un sac de plumes. Sacha s'était paralysé en entendant ma mère.

- Ouais, j'ai juste fait tomber un truc ! criai-je en retour, tandis que ma main se mettait inconsciemment à caresser le dos de Sacha.

A présent qu'il ne résistait plus, j'étais en train de l'étouffer. Lentement, il m'abandonna son poids dont j'accompagnai la chute sur le bord du lit, veillant à ce qu'il ne se fasse pas mal. Je m'agenouillai à sa hauteur et, tout en reprenant haleine, observai dans ses yeux la mort du glacier. Les débris de sa folie passagère, drainés hors de lui, roulèrent entre mes paumes qui l'avaient pris en coupe.

- Calme-toi. Respire et calme-toi, répétai-je pour nous deux.

- J'suis foutu, Martin, hoqueta-t-il.

- Mais non, on va s'en sortir.

- J'vais pas m'en sortir !

La négation avait claqué sur ses lèvres à la manière d'un coup de feu. Blessé, il tomba sur le côté. Les larmes s'écoulaient de ses yeux comme du sang.

- J'vais pas m'en sortir parce qu'il faut justifier un domicile et que pour avoir un domicile, eh ben il faut, devine quoi, une pièce d'identité !

Il parlait avec un ton méprisant et suintant de dégoût, le ton de celui qui explique une évidence à un imbécile, à peu de choses près celui des fonctionnaires de mairie. Il dut s'y reprendre à trois fois pour former certains mots qui patinaient dans la salive et, cependant, il ne faisait pas tellement d'efforts à chaque essai pour se faire mieux comprendre : il avait l'expression de qui se parle à lui-même...

- Il y a forcément une solution, tentai-je de le raisonner, le coupant au milieu d'un bégaiement. C'est pas possible que rien n'ait été prévu pour ces cas-là !

Il pleura de plus bel, je tentai autre chose :

- Et si rien n'a été prévu, j'organiserai des manifestations jusqu'à obtenir justice. Tu sais que je suis le roi pour ça.

- Tes manifs elles ont jamais servi à rien !

- T'abuses !

Que voulait-il que je réponde à ça ? Un instant, j'espérai qu'il allait rire un peu, rien que pour se moquer de moi, mais pas l'ombre d'un rictus ne passa sur son visage. Accompagnant la déception, mon sérieux reprit le dessus.

- Sacha, fais-moi confiance.

Cette fois, il ferma les yeux pour ne plus me voir. Quelque chose dans ma poitrine était en train d'être broyé. Il était si abattu que j'en vins à douter qu'il ne pleurait réellement que pour un contretemps administratif. Sous son visage défait s'élargissait une tache d'humidité que réchauffa, filtrant par la fenêtre, une éclaircie soudaine, couleur de fleurs fanées. Je contemplai ce spectacle comme un tableau juste achevé, un portrait où l'émotion capturée se figeait pour de bon à mesure que séchait la peinture.

Comme il ne bougeait plus, le reste du monde se rappela à moi. Je déposai un baiser sur sa tempe moite et dis :

- Faut que j'aille voir ce que veut ma mère. Je reviens dans cinq minutes.

Sacha et MartinOù les histoires vivent. Découvrez maintenant