Chapitre 22

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Ce fut Evan qui le suivant lança l'idée d'une excursion. Sa proposition avait certes moins d'envergure que celle de Raph, cela ne m'empêcha pas de me sentir inquiet. Il l'avait sobrement nommée « virée entre jeunes », me faisant subodorer que l'invitation ne concernait pas exactement mes parents. Et cependant, ma mère la première exprima toute la joie que lui inspirait la perspective de nous voir au loin :

- Vous n'êtes pas venus ici pour rester enfermés. Allez-y, je garderai la petite !

En parlant, elle s'était déjà emparé d'une des multiples peluches qui avaient envahi la maison, celle que j'aimais le moins – celle qui faisait du bruit – et s'était mise à la secouer dans un vacarme de grelots au-dessus de l'humain miniature qu'on avait calé entre deux coussins du canapé.

- C'est vendu alors ? s'échauffa l'initiateur du programme.

Je me tournai vivement vers Sacha pour obtenir de l'aide auprès de lui, et constatai que lui-même me dévisageait dans la même recherche d'un appui. Ses grands yeux ronds flottant au-dessus du trait de sa bouche catégoriquement close révélaient même plus de détresse chez lui que chez moi. Dans la pièce, ne restait plus qu'Astrid dont j'avais peu d'espoir qu'elle tempère les ardeurs de son héros. Effectivement, elle minauda pour nous ranger de son côté. Je compris que l'idée de nous convier à leur promenade avait été discutée entre eux au préalable. Ils souriaient comme des anges d'une manière trop bien assortie pour que ça n'ait pas été le cas. Astrid battit même un peu des paupières. J'allais passer pour un monstre si je refusais. Aussi me laissai-je embarquer sans oser glisser un regard à Sacha pour ne pas voir sa mine trahie.

- En voiture !

Je sursautai. Evan avait dégainé ses clés et sauté sur la poignée de la porte.

- Quoi ? Tout de suite ?

- Ouais, tout de suite ! On attend quoi ?

- Bon...

Je me levai de la chaise où j'étais assis avec une lenteur suffisante pour que personne ne puisse s'imaginer que je me réjouissais, mais songeai avec satisfaction en moi-même que je serais ainsi débarrassé avant d'avoir eu le temps de débattre avec mon petit ami de ce qui nous tombait dessus. Il me suivit d'ailleurs sans prononcer le moindre mot.

Astrid se chargea de l'ambiance dans la voiture. Nous n'avions pas fait cent mètres qu'elle s'était accaparée la radio et régnait en maître sur le choix de la musique, tel le DJ de la soirée. Elle commença à chanter au premier feu rouge, les vitres ouvertes pour être certaine d'atteindre son public parmi les piétons. Evan restait calmement concentré sur la route. Pour lui, pareille désinhibition relevait de l'ordinaire.

Tous deux formaient une bulle étonnante à regarder. De temps à autre, elle tanguait vers lui, si proche qu'elle le touchait presque, et lui adressait un regard lourd de sens, semblant vouloir lui rappeler que les mots qu'elle fredonnait avaient pour leur couple une saveur particulière ; il lui répondait d'un sourire. Ils étaient parfaits ensemble.

Sans que je m'en aperçoive, la curiosité avait remplacé l'animosité dans mon cœur. Plus je les observais et moins je comprenais pourquoi ils nous avaient invité à se joindre à eux. S'agissait-il juste de jouer à la charmante petite famille devant mes parents ? J'étais bien parti pour le penser quand une musique qui m'était récemment devenue familière s'imposa dans l'habitacle. Ma cousine se retourna dans notre direction en jubilant :

- C'est votre chanson, les gars !

On ne nous avait pas oubliés. Notre présence comptait. Ils nous avaient piégés pour se moquer à leur aise. Sacha s'aplatit sur son siège, attendant que je réagisse le premier. La panique bouscula la colère quand Astrid rendit ses chatouilles plus insistantes :

Sacha et MartinOù les histoires vivent. Découvrez maintenant