Chapitre 15

3K 156 16
                                    

ANASTASIA

Millan m'a suivie, je l'ai su depuis le début. Alors que je m'enfonçais de plus en plus dans la jungle luxuriante, j'ai entendu le bruit sourd de ses pas qui avançaient derrière moi. Croyant qu'il allait bifurquer ou s'orienter autre part, j'ai fait comme si de rien était et ai commencé à déraciner des plantes comestibles, comme me l'avait si gentiment demandé Jacke. Mais voilà, maintenant accroupie sur le sol terreux, j'aperçois devant moi ses pieds tout éraflés. Je me relève, non sans lever les yeux au ciel, et, une fois debout, croise les bras sur ma poitrine d'un air agacé. Pourquoi ne peut-il tout simplement pas participer à l'effort collectif? Il m'exaspère.

- Millan, les feuilles de palmiers on les trouve en hauteur, pas sur le sol, je soupire de fatigue, la bouche pincée.

On dirait que j'apprends la vie a un enfant, sérieux...

- On perd pas ses bonnes vieilles habitudes, hein, Annie, dit-il, un demi sourire aux lèvres, en faisant référence à mon sarcasme.

- Je dirais de même pour toi, je réplique du tac au tac en indiquant du menton ses mains vides. C'est une vraie feignasse, ce gars-là.

Celles-ci se ferment en poing, aussitôt sur la défensive. Observant alors ses bras et son torse recouvert d'un T-Shirt crasseux, je me rends finalement compte de sa maigreur affolante. C'est à peine s'il pèse désormais quelques kilos de plus que moi. Lui qui m'a toujours inspiré force et courage, le voir ainsi me fend le cœur. Il paraît plus jeune, adolescent, plus vulnérable qu'il ne l'a jamais été. Je fronce les sourcils alors que ma gorge se noue de malaise:

- Depuis quand n'as-tu plus mangé, Millan?, je lui demande nerveuse.

Il se gratte la tête et ne répond pas tout de suite, comme mal à l'aise. Puis il a un rire bref alors qu'il appuie ses mains sur les hanches et me fixe de ses trop grands yeux bleus gris.

- En fait, je n'ai mangé qu'une noix de coco, m'avoue-t-il après un long moment. Et elle m'est tombée du ciel, littéralement.

Il désigne du doigt une bosse rose sous sa montagne de cheveux blonds et le sang dans mon corps ne fait qu'un tour.

Non. Ce n'est pas possible. Faites que se soit une coïncidence, s'il-vous-plait...

Les pièces du puzzle s'imbriquent dans ma tête alors que je tente en vain de refouler l'évidence: Millan nous observait. Il nous a toujours observé, surveillé. C'est lui ce matin qui a décampé avec la noix de coco. C'est sa tête qui a émis ce bruit creux quand Jackson a lancé la noix dans les buissons. Un long frisson de dégoût parcourt ma colonne vertébrale et l'envie me prend soudain de vomir. Je jette un coup d'œil à Millan qui a parfaitement remarqué que j'ai tout compris et qui m'offre un sourire narquois. Le fait qu'il nous ait espionné me révulse et m'enrage. Là, j'ai juste envie de décamper, de m'éloigner le plus possible de lui. Et de le gifler avant. Mais les mots restent coincés dans ma gorge et c'est tout le contraire qui se produit. Stoïque, je le regarde s'approcher, l'air fourbe et fier de son petit jeu. Il s'arrête a quelques pas de moi et me fixe obstinément.

- Qu'est-ce qu'il représente pour toi, Annie?, me demande-t-il soudainement tout sérieux, plus aucune trace de sourire sur le visage.

Ses pupilles se sont rétrécies et les veines de ses tempes et de son cou sont saillantes. Il semble sur le point d'exploser de colère. Il me fait peur.

- De qui tu parles, Millan?, je lui crache encore dégoûtée par la nouvelle de cet espionnage et alors que je connais déjà la réponse.

Il ricane et se rapproche encore plus près de moi, causant des révulsions encore plus fortes dans mon estomac. Je peux désormais sentir l'odeur qu'il dégage. Il émane de lui des relents de transpirations et de crasse accumulée.

L'île perdueOù les histoires vivent. Découvrez maintenant