Chapitre 12

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Je n’ai jamais autant mal dormi de ma vie. Je me suis retournée dans tous les sens jusqu’à me résigner à me réfugier sur le canapé. Je suis stressée et excitée à la fois ; partagée entre la peur et l’envie de revoir Ludis demain. Des fourmis me courent sur les bras, j’ai des papillons dans le ventre et la chair de poule ; encore un peu et on me prendra pour une ferme. Où veut-il m’emmener ? Pourquoi m’embrasser s’il ne m’aime pas ? Il veut tout simplement me rendre folle ! J’en pleure de frustration et lasse, je finis par m’endormir. Le lendemain, je ne suis surprise qu’à moitié lorsque Maya me réveille et que je me retrouve recroquevillée sur le canapé. En me levant j’entends tous les os de mon corps craquer, j’ai mal partout. J’entre avec ravissement dans le bain qu’elle m’a fait couler et je savoure le contact de l’eau tiède avec ma peau ; un court répit avant que je ne sente la présence de quelqu’un dans la salle de bain. Je me retourne espérant voir Maya pour me rendre compte que c’est Ludis qui vient gâcher lui-même ma quiétude. Je sursaute et rougis comme une pivoine. Seigneur, dites moi qu’il ne vient pas de me surprendre en train de prendre mon bain. Il n’a donc aucune pudeur, aucun respect pour moi? J’essaie de m’enfoncer encore plus dans mon bain, de disparaître ; à la limite je me noierai bien dedans.

-Bonjour Ella, bien dormie ? me lance t-il tout sourire comme si tous les matins, on avait ce rituel.

Je suis tellement choquée qu’aucun mot ne franchit mes lèvres, mes narines même semblent avoir peur de laisser pénétrer l’air ambiant ; de peur qu’une partie de l’essence de Ludis ne viole encore plus mon intimité.

-Je ne pensais pas t’avoir fait perdre ta langue lors de notre baiser d’hier, me lance t-il un sourire plein de sous -entendus.

Est-il possible d’être plus rouge ? Apparemment oui, je sens tout le sang de mon organisme converger vers mes joues. Après ce qui me semble être des siècles, mes cordes vocales semblent se libérer enfin.

-Que fais-tu là Ludis ?!

-Est-ce une manière de dire bonjour sur Terre à son fiancé? Je devrais peut être me charger personnellement de ce qui sort de ces douces lèvres.

-Fiancé ? Tu penses vraiment que je vais t’épouser ? Plutôt mourir ! Jamais je ne m’unirai à un homme comme toi, autant t’y faire dès à présent. Je te déteste.

Une lueur étrange passe dans ses yeux. Je ne saurais pas qui il est réellement, je croirais que c’est de la peine mais non ce n’est que la colère qu’il exprime maintenant les poings fermés. Aussi impulsif qu’à son habitude, il fond sur moi tel un rapace et me sort de l’eau dévoilant ainsi toute ma nudité. Il n’a pas osé quand même, je me demande encore si c’est vraiment arrivé quand il plonge ses yeux dans les miens. C’était la chose à ne pas faire, ils sont encore plus beaux lorsqu’il est en colère tels un océan secoué par la tempête. Alors que je me jure d’éviter tout contact visuel à l’avenir, il prend enfin la parole d’une voix si chaude que je défaillis.

-Tu ne me détestes pas Ella, pas plus que je ne te déteste… Habilles-toi et rejoins-moi.

Il quitte la salle de bain et me laisse là, haletante. Quelques instants plus tard, je suis habillée et prête à le rejoindre. Deux gardes m’attendent et me conduisent à l’extérieur du château, Ludis se tourne vers nous et les congédie. Notre moyen de transport nous attend, une sorte de carrosse postmoderne. Aucun cheval n’y est attelé, il s’agit juste d’un corps de carrosse transparent fait d’un cristal si pur que les rayons du soleil s’y reflètent en arc-en-ciel. Il me propose son bras que j’ignore avant d’aller m’engouffrer dans le carrosse. Il m’y rejoint et sort un foulard de sa poche, avec un sourire il le noue autour de mes yeux. Je m’en doutais, il n’a pas changé, il ne veut pas que je reconnaisse le chemin ! Je ne suis que sa captive qu’il veut contraindre à l’épouser pour des raisons politiques. C’est  à peine si je sens notre embarcation se déplacer à travers Silion. Après ce qui me semble être une éternité dans le noir, nous nous arrêtons enfin. Il me guide à l’extérieur, nous marchons un peu puis il m’enlève le foulard des yeux ; je suis un peu éblouie par la lumière du jour. J’ai du mal à empêcher ma bouche de béer bêtement tellement je suis estomaquée. Nous nous trouvons dans une bulle, une serre géante et contrairement à tout Silion l’atmosphère n’y est pas rouge ; elle est comme sur Terre ! Des nuages tout blanc et cotonneux se déplacent très haut au plafond, des oiseaux gazouillent dans les arbres, un ruisseau coule tranquillement au creux de la roche, l’herbe se balance sous le souffle léger du vent, les fleurs s’épanouissent à la lumière synthétique du soleil. On se croirait dans une forêt. Je suis si émue que je ne peux retenir mes larmes.

-Ella, tu pleures ? Je suis désolé je croyais bien faire, je ne voulais pas te faire pleurer. Quand j’ai découvert ce lieu, j’ai tout de suite pensé à toi. Je me suis dit que peut être la Terre te manquait et que ça te ferait plaisir d’en découvrir un bout. J’ai eu tort…

-Mais qu’est ce que tu racontes Ludis ? Je ne suis pas triste, ce sont des larmes de joie, tout est si beau… Merci.

Et pour la première fois depuis que je suis sur Silion je souris, je lui souris. Tout ce qu’il a fait est presque un lointain souvenir. Je n’aurai jamais imaginé qu’il puisse être aussi attentionné. Mais bon il faut avouer qu’il a de drôles de manière de proposer une sortie dans la nature. Hier soir, j’aurai juré qu’il voulait me trainer de force dans une réunion pour me présenter aux nobles de Silion comme étant sa future épouse forcée. Il s’approche de moi et mon instinct me rappelle que c’est l’ennemi et qu’il essaie juste de m’amadouer. C’est pour faciliter notre union car je doute qu’aucun prêtre, même sur Silion, décide de célébrer un mariage avec une mariée qui hurle de toutes ses forces. Je détourne alors la tête alors que ses lèvres n’étaient plus qu’à quelques centimètres des miennes. Il est impératif que je m’éloigne de lui, que je garde une distance de sécurité entre lui et moi. Cela ne semble pas gagner, rien que son odeur m’enivre. Il n’insiste pas et retourne à la voiture. Pendant un instant j’ai cru qu’il m’abandonnerait ici toute seule et s’en irait mais il revient quelques minutes plus tard avec un panier de pique-nique. Il étale la nappe au bord du ruisseau, sort deux coupes qu’il remplit d’un liquide qui ressemble beaucoup au champagne. Ensuite, il me regarde l’air de dire « qu’est-ce que tu attends pour venir t’assoir ? ». Je ne me fais pas prier et je m’en vais le rejoindre. Je m’assois et il me tend un verre tout sourire.

- A quoi buvons-nous ? dis-je juste pour la forme, histoire de ne pas rester muette toute la journée.

-A nous, Ella…

-Il n’y a pas de nous, il n’y en a plus.

Rien que de l’admettre à voix haute, je sens mon cœur se disloquer. Je n’arrive pas à croire que c’est fini, tout cet amour, toute cette sincérité. Je pensais le connaître, je pensais qu’il m’aimait mais après tout ce que j’ai découvert, je ne sais plus si je peux l’aimer, si j’ai le droit de l’aimer. A chaque fois que je suis sur le point de lui pardonner, une petite voix me dit qu’il ne le mérite pas, que moi je mérite mieux.

-Ecoutes Ella, je comprends que tu m’en veuilles, que tu ne saches plus ou tu en es mais il y a quelque chose entre nous, que ce soit de l’amour ou pas, et tu ne peux pas le nier. Et puisque nous allons nous marier autant être en bon terme. Arrêtes de te comporter comme une gamine !

Il ose me traiter de gamine ! C’est à moi qu’on a menti, c’est moi qu’on a kidnappé et c’est moi la fautive maintenant. Et le pire, il ne sait même pas si c’est, non si c’était de l’amour entre nous. Je suffoque, je n’ai plus aucune envie d’être là, je décide de m’enfermer dans le mutisme. Soudain, je sursaute au contact de sa peau, il me caresse la joue.

-Excuse-moi Ella, je ne voulais pas dire ça. C’est juste que ta conduite m’excède, je ne supporte pas que tu m’ignores et que tu me méprises ainsi. Tu ne peux pas t’imaginer ce que ça me fait. Oublions tout ça veux-tu ? Silion, Gaia, la royauté et nos familles au diable pour une journée. Il n’y aura qu’Ella et Ludis dans ce paradis terrestre, rien d’autre, personne d’autre.

Je hoche la tête. Après tout ce n’est pas une si mauvaise idée, j’ai besoin de prendre du recul. En oubliant qui il est réellement, l’héritier de Silion et qui je suis, l’héritière de Gaia peut être que ce que je ressens pour lui sera clair dans ma tête. Nous oublions donc tout, tout ce qui blesse, tout ce qui gêne et notre complicité renait. Nous décidons d’aller nous promener à travers les bois. L’odeur du sol un peu humide et des pins m’enivre. Je me surprends à sourire, cela fait des jours que je ne me suis pas sentie aussi légère, aussi libre. En lui en voulant, en désirant lui faire du mal, c’est à moi que j’en fais. Je souffre plus de le haïr que de sa trahison, c’est surement ça le véritable amour. Son regard fixé sur moi me ramène à la réalité, nous sommes revenus au campement sans que je m’en rende compte. Nous nous asseyons et aucun d’entre nous n’ose briser le silence. Je n’ai qu’une envie, l’embrasser. J’approche mes lèvres des siennes et il ne bouge pas ; on dirait qu’il ne respire même pas de peur que je ne renonce à le faire. Je mets tout ce que j’ai dans ce baiser, tout ce que je ressens au cas où je n’aurai plus l’occasion de l’exprimer. Il répond avec la même passion et en ce moment j’aurai juré qu’il m’aime autant que je l’aime mais je préfère ne pas me faire d’illusions. Je me blottis dans ces bras et m’endors heureuse en priant que la nuit soit longue car au réveil, tout ceci ne sera plus qu’un rêve lointain.

L'étrangèreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant