Je sens le matelas sous mon corps, l’oreiller sous ma tête, mes pensées sous les volutes de sommeil. Je cligne des yeux avant de les ouvrir, pour me rendre compte que rien n’a changé. Je suis dans le même lit, la même chambre, la même maison, le même pays, le même monde. Ma prière du soir de ne jamais me réveiller n’a pas été exaucée. Bien loin de la mortelle fatalité de L'étranger de Camus, bien loin de son manque d'amour maternel, encore plus loin de son pseudo instinct meurtrier, je suis à son image une étrangère à la race humaine.
Je ne me sens pas chez moi, je ne me sens nulle part chez moi. Bien que ce sentiment d’être étrangère à cet univers m’ait toujours habité, il semblerait qu’il s’est accru. Je me regarde dans le miroir et la forme humanoïde qui apparait me semble si lointaine. Je lui ajouterais bien plus d'yeux ou de bras, moins de cheveux ou de pieds. Ce monde me semble être une immense pièce de théâtre! Les gens qui passent, mes proches, mes parents me semblent si irréels. Tout d'un coup, l'image de la "pièce interdite" m'apparaît. Est-il normal que des parents aient chez eux une pièce condamnée où nul n'est censé pénétrer? L'idée fixe de m'y rendre me hante! Personne n'est à la maison. Je longe les murs prudemment et me retrouve face à cette porte dont la texture fissurée la rend plus vieille que les autres portes de la maison. Soudain, le doute me saisit. Si les parents nous ont défendu d'y entrer il doit bien y avoir une bonne raison. D'un autre côté, si toutes mes réponses m'attendaient de l'autre côté du battant...
Finalement, je tourne la poignée, elle résiste! J'aurais dû me douter que ce serait fermé. Mais étrange, la porte ne présente aucune structure destinée à accueillir une clé! Je m'apprête à repartir, déçue quand j'entends des murmures. Je me retourne et me rend compte que cela provient de la porte. Elle murmure! Je colle mon oreille contre elle, je ferme les yeux et j'entends! Le dialecte étrange du début se transforme en langage clair et précis, je comprends! Je sens le timbre de sa voix sur ma nuque, son coeur battre contre ma paume. Tout d'un coup, elle m'aspire et je me retrouve à l'intéreur, dans une pièce si lumineuse qu'il me faut un temps d'adaptation. Des alcôves dans les murs sont remplis de sorte de caissons contenant un liquide émeraude. Avant de comprendre ce qui m'a toujours été une évidence, mes parents se matérialisent devant moi. Ils murmurent des phrases initelligibles dans le même dialecte que la porte. Je ferme les yeux et me laisse porter par leurs voix. Je les entends, je les comprends: "Maintenant tu es prête à connaître ton monde..."