Chapitre 4

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Samuel

— Putain, qu'est-ce qui m'a pris de vous suivre.
— Arrête de râler ! Respire ! Tu verras que tu te sentiras beaucoup mieux après !
Clémentine est amusée par mes ronchonnements, j'ai conscience que mon comportement puéril doit lui rappeler ses années d'enseignement auprès des adolescents indociles du lycée Paul Valéry, mais je n'y peux rien, ses exercices sont une torture pour mes muscles peu habitués à de tels efforts.
— Tu parles, je vais être encore plus fatigué, oui !
— Je ne dis pas que tu ne profiteras pas de la sieste d'Elyo cet après-midi pour te reposer aussi, mais tu me remercieras après, crois-moi !
Elle rigole et je suis à deux doigts de me vexer.
— Mouais, on verra, pour l'instant j'ai plutôt envie de t'étrangler... Et puis au lieu de t'occuper de ma personne tu ferais bien de surveiller ton mec ! Regarde-le, il se sert de mon fils pour draguer.
Je profite que Clémentine reporte son attention sur Maxime pour relâcher la position qu'elle me fait tenir depuis dix respirations. Bon sang, j'aurai des courbatures demain. Je me suis laissé convaincre parce que j'ai pensé que, oui, sortir un peu sur la plage ne me ferait pas de mal, la journée est belle, c'est ce que j'aurais sûrement fait avec Elyo de toute façon. Mais cet après-midi, une petite promenade tranquille. Pas un programme digne de l'armée de bon matin, bordel. Clémentine m'a fait courir à petites foulées, et au bout de quelques kilomètres, alors que je crachais mes poumons et dégoulinait de sueur, elle était toujours fraîche et pimpante, tout juste essoufflée. Quand mon calvaire a pris fin j'ai cru, naïf, qu'on avait terminé mais non, elle a prévu une séance de renforcement musculaire complète pour me retaper. Le footing n'était que l'échauffement, en somme.
Maxime, qui marchait derrière nous, nous rejoint avec Elyo dans son porte-bébé. Deux jeunes femmes se sont arrêtées à sa hauteur et s'extasient devant mon fils. C'est fou l'effet qu'un bébé peut avoir sur les gens. Pourtant qu'il y a-t-il de plus banal qu'un nourrisson ? Nous en avons tous été un, et, rien qu'en France, il en naît plus de 700 000 par an. Elyo joue son rôle à la perfection et leur offre un sourire ravageur, bien que largement édenté. Je me demande si elles croient que Maxime est le père. Clémentine est absorbée par la vue qu'offre son chéri ainsi entouré et j'envisage un instant de fuir la torture à laquelle elle m'a condamnée, mais je ne suis pas sûr que mes jambes me portent encore si j'essaie de me lever. Alors j'observe mon bourreau à la dérobée et je l'envie. Elle s'est réveillée ce matin dans la chaleur des bras de l'homme qu'elle aime, ils vont passer la journée entière à se créer de nouveaux souvenirs, et se coucheront ensemble ce soir, bercés d'insouciance.
— Il est tellement sexy quand il s'occupe d'Elyo et Céleste, dit-elle en se mordant la lèvre inférieure, avant d'éclater de rire en voyant l'expression ahurie sur mon visage. Quoi ! Je n'y peux rien s'il me fait cet effet-là !
Sa désinvolture me perturbe.
— Mais euh... Tu ne crains pas qu'il désire un enfant à lui ?
Le sourire malicieux de Clémentine laisse place à un rictus mélancolique. Je bois une gorgée d'eau à ma gourde pour me donner une contenance, c'est probablement la question la plus personnelle que je lui aie jamais posée.
— Toi aussi tu penses qu'il me quittera le moment où il réalisera enfin mon âge ?
— Désolé, ce n'est pas ce que je voulais dire.
Elle hausse les épaules.
— Je sais que c'est une possibilité. En attendant je profite à fond de tous les moments qui me sont donnés de partager sa vie. Je le crois quand il me dit qu'il m'aime. Et si ça doit s'arrêter un jour... Eh bien, je n'aurai pas de regrets !
Sa sagesse m'impressionne et je le lui dis.
— Ce n'est pas à toi que je vais apprendre que la vie est courte, reprend-t-elle très sérieusement. Tu te souviens de l'accident qu'on a eu ? J'ai failli y laisser ma peau, je vois vraiment les choses différemment depuis.
Failli.
Maudits accidents. C'était ma première rencontre avec Clémentine et Maxime, en quelque sorte, même si nous n'avons pas été présentés à l'époque et qu'ils n'étaient pas encore en couple. Un jour comme un autre, ma voiture, par suite d'une défaillance technique, a percuté un car rempli de lycéens qui arrivait en face sur l'étroite route départementale qui mène à l'Abbaye de Valmagne d'où ils revenaient. Le choc, d'une violence inouïe, a été inévitable. Clémentine, toujours prof à l'époque, accompagnait le groupe et figura parmi les victimes les plus gravement blessées. Pourquoi s'en est-elle tout de même sortie ce jour-là, et pas Leïla quand ça lui est arrivé ? Pourquoi je n'ai eu que des égratignures, alors que le corps de Leïla a été brûlé à quatre-vingts pour cent et qu'elle est morte dans d'atroces souffrances à l'hôpital ? Je secoue la tête pour empêcher ces pensées de m'envahir. Mais je crois que je comprends ce qu'elle veut dire. Ça peut paraître galvaudé, mais quand on a frôlé la mort, on vit vraiment de manière différente.
— C'est pour ça que tu as donné sa chance à Maxime ?
Clémentine acquiesce et retrouve son sourire.
— Je n'en avais plus rien à faire qu'il soit mon élève ! J'étais attirée par lui, je voulais apprendre à le connaître, point. Rien d'autre n'avait d'importance.
Vivre l'instant présent, sans se préoccuper de l'avenir ni renier le passé.
Vaste et séduisant programme.
— Je te conseille d'en faire autant, ajoute-t-elle d'une voix adoucie. Je sais que ça n'est pas simple pour toi en ce moment, mais ne laisse pas Elyo t'effacer du monde, et encore moins Leïla. De belles rencontres t'attendent, Samuel, donne-toi le droit de les vivre.
— Tu penses à qui ? je m'étonne, surpris par son affirmation.
— Euh... Personne en particulier, je disais ça comme ça...
— Oh. J'ai cru que...
— Pourquoi ? Tu penses à qui, toi ?
Je suis sauvé par Maxime qui nous rejoint mais je sais Clémentine perspicace, et ce n'est pas comme si nous avions des tonnes de connaissances en commun, en réfléchissant un peu elle n'aura pas de mal à deviner qui occupe mes pensées. En attendant, je déclare la séance de sport terminée en dépit de ses protestations, j'ai eu ma dose pour la journée – voire le mois –, et je libère Maxime de mon fils. Aussitôt il se colle à Clémentine et attrape sa main pour entrelacer leurs doigts, et une nouvelle fois j'envie leur complicité.

Alma

Clémentine remarque le silence d'Alma au bout de plusieurs minutes. Il est vrai qu'avec Chloé, leur discussion s'est portée sur les hommes Delcourt père et fils, qui comme souvent se retrouvent au centre de leurs préoccupations. Alma ne pipe mot mais elle n'est pas ennuyée pour autant. Elle apprécie ces déjeuners entre filles qui sont souvent distrayant et font du bien au moral. C'est un de ces objectifs simples qu'elle s'est fixé en arrivant à Sète : rire plus.
— Et toi alors ? lui demande Clémentine. Ta quête du mâle idéal, ça en est où ? Tu as rencontré quelqu'un ?
Alma, qui a son téléphone dans la main, tapote avec rapidité et tourne l'écran vers son amie.
— Non... Mais regarde ce profil, il ne te rappelle personne ?
— Hmmm, non... Ça ne me dit rien. Je suis censée le connaître ?
Alma hausse les épaules.
— Je trouve qu'il a des airs de ton pote qu'on a rencontré au Spoon l'autre jour.
— Ah oui, un peu, confirme Clémentine en regardant de nouveau. Prends garde, Ludo_34, sexy Alma t'a dans son collimateur !
— Mais non ! Je t'ai dit, ce n'est définitivement pas pour moi ces sites, je ne vais pas lui répondre. J'ai trouvé la ressemblance amusante, voilà tout.
Alors qu'elle récupère son téléphone Alma avise l'heure et, à contre-cœur, se prépare à prendre congés des deux ex enseignantes. A cet instant elle envie le succès de la reconversion de l'une et le congé parental de l'autre qui ne les obligent pas à rejoindre le lycée au pas de course pour affronter une classe d'adolescents en pleine digestion indisposés à affronter les terminaisons irrégulières des verbes de la conjugaison anglo-saxonne.
— Elle parlait de Samuel, explique Clémentine à sa belle-mère une fois Alma sortie du petit restaurant libanais qui a eu les faveurs des trois amies ce midi-là. Je crois qu'il lui a tapé dans l'œil.
Chloé écarquille de grands yeux.
— Samuel ? Notre Samuel ? Tu l'as prévenue que c'était une très mauvaise idée ?
— Oui... Mais figure-toi que je n'en suis pas si sûre, en fait.
— Comment ça ?
La mine ébahie de Chloé, qui ne s'exprime jamais dans la retenue, fait rire Clémentine.
— Eh bien, j'ai l'impression qu'elle lui plait aussi ! précise-t-elle. C'est étonnant, parce qu'on a fait que se croiser, ils ont échangé quoi ? Trois mots au maximum ? Mais de toute évidence il s'est passé quelque chose entre eux.
Maintenant la mère de Maxime lève les yeux au ciel.
— Oh ! Je te vois venir ! Toi et ta théorie du coup de foudre !
— Hey, je n'y suis pour rien ! Je n'ai pas l'intention de jouer les entremetteuses, mais si ça doit se faire je serais heureuse pour eux !

Par-delà les étoiles (Demain Nous Appartient)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant