Samuel
Je viens à peine de finir de nettoyer le dernier biberon d'Elyo quand j'entends frapper. Je grimace en jetant un coup d'œil à ma montre, il n'y a que mon père pour venir à pareille heure, et là j'ai juste envie de retourner me coucher ou au moins me poser au calme quelques minutes. Elyo s'occupe en silence dans son transat avec un hochet qu'il mâchouille comme s'il espérait le percer avec ses gencives gonflées. Un filet de salive coule le long de son cou et le bavoir propre que je viens de lui mettre est déjà trempé. Impossible de prétendre n'avoir rien entendu alors je me dirige en soupirant vers l'entrée. Je ne masque pas ma surprise en ouvrant la porte.
— Qu'est-ce que vous foutez là ?
— Bonjour ! m'offre Clémentine avec son plus beau sourire, ignorant mon piètre accueil.
— Toujours aussi aimable, commente Maxime.
Je laisse entrer le couple et Clémentine s'explique.
— On vient t'offrir nos services !
Je ne suis pas d'humeur. Elyo a mal dormi à cause de ses dents, et, c'est inévitable, je n'ai quasiment pas fermé l'œil de la nuit non plus.
— Il est à peine huit heures du matin !
— Oh, ça va ! On savait bien que tu serais réveillé ! Marianne qui nous a dit que tu avais une petite forme en ce moment, avec Elyo qui te mène la vie dure.
J'ignore si elle se moque de moi, mon cerveau est aussi ramolli qu'un lendemain de cuite. Maxime, qui n'est jamais venu chez moi, semble étonné de l'état du salon : tout est propre et rangé. Je ne peux que deviner ce que sa compagne lui a raconté, avant mon hospitalisation c'était un vrai capharnaüm ici. Il doit vraiment croire que je suis une épave. Bon, je ne lui précise pas que la femme de ménage que j'ai engagée passe deux fois par semaine, je n'ose pas imaginer où j'en serais sans elle.
Le jeune homme a un sac de sport sur l'épaule et est vêtu d'un short et de baskets. Clémentine ne dépareille pas, ceci dit ça me surprend moins, neuf fois sur dix quand je la vois elle est en legging et court quelque part.
— Sérieusement, qu'est-ce que vous faites là ? je répète.
— Va te changer, on vous emmène courir sur la plage ! annonce-t-elle avec entrain.
— C'est une blague ?
— Pas du tout ! Allez ! Ça te fera du bien, tu verras !
— Mais vous n'avez rien d'autre à faire un dimanche matin ? Genre profiter du week-end pour rester traîner sous la couette ?
Ils rigolent tous les deux d'un air entendu mais je ne vois vraiment pas ce qu'il y a de drôle.Alma
La matinée est déjà bien entamée lorsqu'Alma ouvre les yeux, pourtant elle se sent à peine reposée, malgré une nuit sans rêves. Un léger mal de tête l'assaille dès qu'elle se lève et elle sait d'emblée que la journée va être longue. Elle envisage de profiter que ce dimanche soit ensoleillé pour aller marcher sur la plage, respirer le grand air à pleins poumons lui serait certainement bénéfique. A ses yeux les quais nantais qui longent la Loire, malgré leur charme indéniable et les astucieux aménagements modernes qui en font un lieu des plus prisés de la ville, ne font pas le poids face aux kilomètres de plages de Sète. Toutefois Alma ne se sent pas l'énergie suffisante pour une promenade, fusse-t-elle paisible, d'autant que sa gorge la fait toujours souffrir. Décidément, se dit-elle, je dois réellement couver quelque chose.
Alors, en attendant d'appeler son fils plus tard dans l'après-midi, elle trouve refuge dans son bureau et exhume d'une étagère un exemplaire de poche aux pages jaunies et cornées d'Orgueil et Préjugés. Sa bibliothèque pourtant regorge d'ouvrages qu'elle n'a pas encore découverts, mais elle sait que pendant une poignée d'heures les aventures romanesques de la famille Bennet l'emporteront dans un autre monde, loin des soucis du quotidien au vingt et unième siècle, et elle compatira avec les tourments de cœur du taciturne Mr Darcy.
« Hope was over, entirely over », lit-elle dans la langue de Jane Austen de longues minutes plus tard. Comme toujours, le désarroi de la douce Jane Bennet inspire de la compassion à Alma, qui ne peut s'empêcher de frissonner à l'évocation de ce sentiment de vide quand toute forme d'espoir s'évapore, et que l'on se sent disparaître avec lui. Alma cependant, contrairement à la jeune protagoniste, n'a pas de sœur et parfois le regrette. Les épreuves sont-elles plus faciles à traverser lorsqu'on est entouré d'une Elizabeth pétrie d'intelligence et de spiritualité ? La maladie a tout pris à Alma : son énergie, son innocence, jusqu'à son sein, rongé de l'intérieur. Et son mariage, ses habitudes. Pourtant pas l'espoir. L'espoir de revivre, elle l'a toujours gardé, chevillé au cœur. La fierté de s'en être sortie plus vivante encore qu'elle ne l'était auparavant gonfle sa poitrine et c'est en souriant qu'elle change d'avis et troque son livre fétiche pour une paire de baskets. Elle a retenu de cette épreuve que les beaux jours sont précieux, elle aurait tort de ne pas en profiter.
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Par-delà les étoiles (Demain Nous Appartient)
FanfictionPlusieurs mois après le décès brutal de sa compagne, Samuel peine à retrouver le goût de vivre. Malgré tous les efforts de sa famille et de ses amis pour l'aider, parviendra-t-il à surmonter sa peine ? Le salut peut-il venir de sa rencontre avec Alm...