Chapitre 20

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Samuel

Alma m'a fait venir chez elle, elle a quelque chose à me dire. Une information si importante que mon humble demeure ou le Spoon n'en sont pas dignes. Je suis d'humeur guillerette, Elyo a dit « papa » ce matin. Certes la possibilité que c'était « a-ba-ba » ou quelque chose d'approchant est réelle, mais je m'en tiens à la version officielle. Quand j'arrive, la porte est grande ouverte, bloquée par le paillasson.
— Oula ! Que se passe-t-il ici ?
Une pile de cartons jonche le sol du séjour. J'ai remarqué un petit fourgon de location garé en double-file devant l'immeuble. J'ai pensé qu'un voisin déménageait.
— Ah, Samuel ! Excuse-moi, je pensais avoir fini de tout charger avant que tu arrives.
— Je ne savais pas que tu voulais changer d'appart ! Pourquoi tu ne m'as rien dit ? J'aurais pu t'aider, voyons !
Alma se fige. Elle me dévisage de pied en cap, et finit par me fixer droit dans les yeux. C'est de la pitié que je décèle dans son regard ? Elle a les mains sur les hanches, déterminée comme jamais. Qu'est-ce que c'est que ce bordel ?
— Je ne reprendrai pas mon poste à Paul Valéry à la rentrée. Je rentre à Nantes.
Je demeure cloué sur place, sans voix. Il y a un truc qui cloche, mais quoi ? J'essaie de rationaliser.
— Ils t'ont donné une mutation ? Alors que tu es arrivée cette année ?
— Non, pas exactement. J'ai démissionné.
De mieux en mieux.
— Vraiment ? Mais tu adores ton boulot ! Qu'est-ce que tu vas faire ? Pourquoi ?
Je n'essaie pas de masquer mon étonnement. Elle devait bien s'attendre à ce que je sois surpris. Tout cela est tellement soudain. Et nous ? Avons-nous été un « nous » ne serait-ce qu'un instant ? Où est-ce qu'il y a toujours eu elle et puis moi ?
— J'ai envie d'être auprès d'Hadrien pour la fin de l'été, et comme il reste à Nantes faire ses études, si je retourne là-bas je pourrais le voir plus souvent, il me manque trop.
Je suis toujours sous le choc, je trouve sa décision radicale, et surprenante. Je ne proteste pas, je vois bien que son choix est fait. Mais je n'en pense pas moins ! Et puis l'année prochaine elle devra bien laisser son fils vivre sa vie, puisqu'il est en âge de quitter le nid. Elle le sait ça, on en a déjà parlé, elle se réjouit de voir l'homme qu'il est en passe de devenir. Non, vraiment, son raisonnement m'échappe, elle agit comme si le temps était compté.

Comme si le temps était compté.

Je dévisage Alma comme si c'était une patiente que je voyais pour la première fois. Pourquoi n'ai-je pas remarqué sa pâleur, les cernes sous ses yeux ? Depuis quand son regard est-il éteint ? A-t-elle toujours autant flotté dans ce t-shirt ? Ses épaules sont beaucoup trop saillantes.
— Est-ce que...
Est-ce que quoi ?
Je ne sais pas quoi lui demander. Je n'ose pas lui demander. Est-ce que le cancer est revenu ? C'est pour ça que tu as un besoin urgent de retourner près des tiens ? Est-ce que tu vas te battre ? Est-ce que je veux savoir ?

Est-ce qu'il a déjà gagné ?

Je reste muet. Elle voit que je me pose mille questions mais elle ne me rassure pas, ce qui achève de me paniquer. Mon cœur bat à mille à l'heure dans ma poitrine, je ne sais pas quoi faire. Il faut que je trouve une solution, je vais me renseigner auprès de ses médecins. Où est-elle suivie ? Pourquoi ne lui ai-je jamais posé la question ? A Montpellier probablement, j'aurais remarqué si elle consultait à Saint-Clair. Ou pas. Ne suis-je pas devenu aveugle ces dernières semaines, pour ne pas avoir remarqué les signes qui maintenant me sautent aux yeux ?
— Tu vas me manquer, Samuel. C'était merveilleux, nous deux.
Elle m'offre son sourire que j'aime tant, celui qui m'a séduit la première fois que l'on s'est rencontrés, et dont je ne me lasse pas. Elle semble heureuse, je dois me tromper. J'ouvre les bras et elle m'enlace. Je sens ses mains agripper mon dos de toutes ses forces. Sa joue presse contre mon torse, j'ai l'impression qu'elle essaie d'entrer en moi, de se fondre dans mon corps. Elle ne m'a jamais serré si fort contre elle, il y a quelque chose de désespéré dans la façon dont elle cherche à rendre ce moment inoubliable. Est-ce mon imagination qui me joue des tours ?
Non. Ce câlin est plus précieux que toutes ces fois où on s'est réconfortés l'un contre l'autre, je le sens.
Comme si le temps était compté.

Est-ce qu'on se reverra ?

Par-delà les étoiles (Demain Nous Appartient)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant