Chapitre 1

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 Métro, boulot, dodo.

C'est un peu la vie de Sarah. Une petite vie bien rangée.

Tous les jours, elle retrouve son patron et ses collègues derrière son comptoir. Pour rentrer, elle reprend exactement la même route qu'elle avait prise le matin. À se demander si elle ne gare pas sa voiture à la même place chaque jour.

Aujourd'hui ne dérogera pas à la règle.

À commencer par sa pause clope, comme elle aime l'appeler.

Appuyée à la rambarde du ponton, Sarah regarde les passants déambuler sur l'esplanade du centre commercial. Elle tire à nouveau sur sa cigarette en profitant de chaque instant de répit. L'odeur âcre du tabac et l'odeur iodée de la mer se rencontrent sous son nez et le vent frais qui soulève ses cheveux suffit à la faire rêver. Elle s'imagine déjà loin de là. Pas forcément sur une plage, au soleil, sous les cocotiers. Non. Simplement à un endroit où elle n'aurait de comptes à rendre à personne, un endroit où elle pourrait avoir son propre salon de tatouage. Elle n'a pas des goûts de luxe. Juste des goûts de confort. Le strict minimum.

Une nouvelle bourrasque de vent la fait frissonner et elle empoigne les deux pans de sa veste qu'elle rapproche autant que possible. Elle inhale une dernière bouffée puis balance son mégot. À contre coeur, elle retourne prendre son poste.

La jeune femme avance nonchalamment, les mains dans les poches, à travers le grand hall. Elle s'y sent minuscule au milieu de ces gens qui fourmillent sous cette monstrueuse hauteur sous plafond. On dirait que le bâtiment cherche à l'engloutir. Son esprit est comme perdu dans ses pensées, totalement détachée de la réalité et son regard ratisse le sol. De toute façon, elle ne connaît que trop bien cet endroit auquel elle voudrait échapper.

Dans le brouhaha ambiant, elle ne saisit aucune conversation autour d'elle. Pas même celle entre un père et son fils, qui se tiennent juste au-dessus d'elle sur l'escalator.

Elle est devenue un personnage de sa vie plus qu'une actrice.

À nouveau, elle jongle entre les pâtisseries et la monnaie des clients, à deux doigts de soupirer quand on lui adresse la parole. Mais bien qu'elle ne soit pas la personne la plus aimable de la Terre, elle fait son job correctement. Depuis l'arrière-boutique, son patron garde un œil sur elle, comme un maton de prison.

De loin, elle voit arriver une bande de gamin. Sûrement des collégiens qui sèchent les cours. Ça lui rappelle sa propre jeunesse. Elle leur sert un muffin au chocolat et les encaisse sans les perdre de vue. À peine a-t-elle la monnaie dans le creux de la main que l'un d'eux attrape un cookie. Et ils détalent comme des lapins. Instantanément, son boss surgit en braillant sur les jeunes. Rattrapée par ses propres erreurs de jeunesse, elle les couvre, sans hésiter.

«Toi, t'as intérêt à ce que ta caisse soit juste ! On n'est pas là pour faire l'aumône, lui lance-t-il.

— Elle est déjà pas tombée juste ma caisse ? proteste-t-elle.»

Elle préfère s'éloigner, agacée par la situation. Mais quand il aura le dos tourné, elle glissera tout de même une pièce dans le tiroir pour rattraper le coup.

Quand son service prend fin, elle ne se fait pas prier pour récupérer ses affaires et mettre les voiles. De toute manière, son patron n'a sûrement pas envie de lui payer des heures supplémentaires... Et elle, elle n'a pas envie de passer un moment de plus à sentir son regard peser dans son dos en se faisant appeler "Mistinguett". Malgré tout, Sarah prend le temps de s'emballer un dessert et une viennoiserie.

Dans le parking souterrain, elle agrippe fermement son petit sachet en papier. Mais encore plongée dans ses pensées, elle n'a absolument aucune idée de la scène qui est en train de se jouer à quelques mètres d'elle. Tout ce qu'elle attend, c'est de rentrer chez elle et se poser dans son canapé. Abandonner toutes les responsabilités qui la lient à son job.

Jusqu'à ce qu'un assourdissant coup de feu retentisse. Prise de panique, son regard scrute l'horizon. Tout ce qu'elle aperçoit, ce sont des voitures à perte de vue. Sa respiration irrégulière l'entraîne dans un état second. Comme projetée dans son passé, sous une précédente pluie de balles. Une erreur de jeunesse qui la suivra toute sa vie. Cette fois-ci, elle veut s'en sortir. Car à cet instant précis c'est la peur imminente de mourir qui la submerge. Sa précieuse cargaison échappe à ses mains tremblantes et elle-même se retrouve au sol. Frénétiquement, elle cherche ses clefs de voiture au fond de ses poches en manquant de les faire tomber à plusieurs reprises dans la précipitation.

Elle court alors en direction de sa voiture.


Voici le chapitre 1

Traqués 2.0Où les histoires vivent. Découvrez maintenant