Prologue

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Gabriella avait réussi, après quelques temps de recherche, à retrouver Olga Kurinenka. La fameuse Olga.

Elle avait longtemps hésité avant de chercher à la rencontrer. Cette inconnue accepterait-elle de la recevoir ? Qui Gabriella était-elle donc pour aller lui parler de Jack ?
Une femme banale parmi tant d'autres, face à une femme fatale qui hantait ses désirs depuis plus de quinze ans.

Mais Gaby voulait en avoir le cœur net, elle devait savoir. Pour le livre, se répétait-elle en guise d'excuse. Pour exorciser ce fantôme qui te poursuit, lui susurrait une détestable voix intérieure. Imaginer que matérialiser cette femme pourrait la sortir de son esprit, et aussi de celui de Jack, était une aberration, elle le savait avant même de prendre la route. Mais la curiosité est plus forte que la raison, la curiosité est même plus forte que la peur. Voilà dans quel état d'esprit Gabriella Giordana est partie vers la Côte du Ceagrande.

Depuis son village de Faucon, elle s'était faite conduire jusqu'à la grande ville la plus proche, d'où elle avait pris plusieurs trains jusqu'à Teneria, une métropole à une cinquantaine de kilomètres de la côte non desservie par le rail. Là, elle avait loué une petite voiture pour rouler tout droit en direction de l'interview clé de son livre.

À présent, la voici arrivée devant la maison recherchée, une imposante villa de style antique.
Une volée de marches amène à la grande porte d'entrée en bois, encadrée par deux florissants rosiers grimpants lovés autour de colonnes de pierre.

Une voiture de luxe quitte le parking par un portail en fer forgé sur la gauche du bâtiment tandis qu'elle avance vers l'entrée entre les boutons de roses parfumés. Gabriella essaie d'apercevoir le visage de l'homme au volant, mais la vitre teintée ne lui renvoie que son propre reflet quelque peu défraîchi par le voyage.

Alors qu'elle s'apprête à poser la main sur la poignée, le lourd battant s'ouvre pour laisser sortir un homme au costume élégant, qui lui tient la porte d'un air naturel.

Elle prend son courage à deux mains, passe le hall d'entrée, et reste bouchée bée. Un immense salon cosy, agrémenté de fleurs et de riche mobilier s'étend devant elle. Cette pièce ne ressemble en rien à l'idée préconçue qu'elle avait d'une maison close. Le bar central de forme carrée illuminé par le soleil descendant d'une haute verrière, les murs d'eau éclairés qui ruissellent sur les parois de deux gigantesques escaliers, appellent à une détente vaporeuse dans une atmosphère moderne, bien loin du lieu de débauche glauque et malsain qu'elle s'imaginait.

Gaby n'a pas fait trois pas hésitants dans ce décor inattendu qu'une belle femme d'une quarantaine d'années bien trempée, aux cheveux bouclés flamboyants, se plante devant elle, les mains sur les hanches.

- J'en suis désolée, mais nous ne servons pas les femmes, Madame, dit-elle posément en croisant ses bras sur un kimono violet et mauve resserré à la taille.

Confuse par cette idée qui ne lui était pas venue à l'esprit, Gabriella balbutie :
- Non, vous vous trompez, je suis là pour le travail.

- Je regrette, mais nous n'embauchons personne pour le moment, continue calmement la madone en faisant cliqueter ses talons aiguilles.

Cette fois, outrée d'être prise pour une prostituée, Gabriella reprend plus clairement :
- En réalité, je suis journaliste.

Le regard noisette de la femme devient glacial. D'un geste de la main, elle fait apparaître derrière elle deux amazones vêtues de cuir noir.

- Que voulez-vous ? Qui cherchez-vous ? demande-t-elle d'un ton dur.

- Je viens solliciter un entretien avec la maîtresse de maison : madame Kurinenka.

Les roses et l'océanOù les histoires vivent. Découvrez maintenant