La voix

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Te voila bien avancée. Tu revois ces années à espérer, à attendre ce moment, à te battre pour y avoir ta place. Et aujourd'hui que reste-il ? Des miettes, de la poussière de cacao sur le plan de travail. Tu ne sais même pas de combien de tasses tu dispose, mais tu y es allée banco. Sans te poser de questions. Tu rêvais de ce chocolat chaud. Refusant les tasses de lait que tout le monde te conseillais. Et maintenant, tu viens de rater ta première tasse. Mais vas-y, je t'en prie ! Fixe la tasse, et le bazar de la cuisine. Fixe tout ce bordel, repense à comment ça à dérapé, c'est sur que la solution à ton problème est cachée là dedans ! Et d'ailleurs c'est quoi précisément ton problème hein ? Tu rêve de chocolat chaud, tu refuse le lait, alors vas-y ! Pourquoi reste tu à attendre que la solution vienne d'elle même ? La solution n'est peut-être pas celle qu'on pense, parce que peut-être que le problème n'est pas celui qu'on pense. Tu as peur. Tu es tétanisée par la peur. Cette peur d'arriver à la dernière tasse et d'échouer. Cette peur qu'après tout tes effort, tu arrive à ce que cette voix chuchote en toi. Tu as peur de découvrir qu'elle à raison, que tu était destinée au lait et non au chocolat.

C'est absurde. Tu es absurde. L'unique solution à ton problème serait d'essayer avec chacune des tasses jusqu'à la réussite. Et pourtant, tu reste la, à fixer le plan de travail, avec tes yeux rougis et ton sourire polis. Bien que ce sourire fasse davantage coincée que polie à présent. Et bien sache que si tu ne continue pas à essayer avec tes tasses, quelqu'un d'autre va le faire ce chocolat chaud. Il brillera de mille feux à tes yeux et tu reverras tes rêves d'enfant. Tu te reverra goûter au chocolat chaud pour la première fois. Tu te rappelle, de la lumière qui s'est allumée dans tes yeux ? Tu t'es jurée qu'un jour tu ferais un vrai chocolat chaud de qualité, meilleur encore que le

premier prix que tu avais bu. Alors tu as cherché et cherché encore le meilleur cacao, le meilleur sucre, et les meilleures recettes. Il FALLAIT que ce chocolat chaud soit unique.

Tu t'es préparée et une fois arrivée devant ta tasse, que s'est-il passé ? Dis le ! Je t'en prie, parle. Tu as échoué. C'est aussi simple que ça. Parce que, non. Ça n'arrive pas qu'aux autres, que non, tu n'est pas le premier personnage d'un roman. Parce que même si tu t'étais préparée à cet échec, tu avait de l'espoir. Et une confiance aveugle baignait ton inconscient de certitudes. L'échec est arrivé. Avec son implacable dureté. Son manque total de flexibilité. L'échec sonne faux quand on s'y prépare mais quand il est la, il est alors d'une dissonante justesse. Et tes dents grincent à présent. La constance de cette note si frustrante. Mais tu sais, au fond de toi, qu'il va falloir te blinder. Il va falloir se retrousser les manches, parce que cette note n'est pas prête de s'en aller. Elle a pris se marques, elle a creusé son trou. Pour qu'elle s'en aille, tu dois la faire fuir, le seul remède est la réussite, le son cristallin et salvateur de la réussite.

Revenons à nos tasses. Car il vas bien falloir choisir ce que tu vas faire. Dis, à quoi penses tu ? Tu te demande ce qu'il va se passer si arrivée à la dernière tasse, tu échoue, encore. Tu te demande comment tu pourrait te regarder dans la glace, toi qui à passé ta vie entière à courir après un rêve qui ne verra peut-être jamais le jour. Toi qui t'es battue, te fâchant parfois contre ceux qui t'aimais, et que tu aimais, tu t'es accrochée à ce rêve, de toutes tes forces. Tout le monde te conseillais de prendre du lait, as tu écouté ? Non. Tu es même passée pour une extrémiste, tu t'es mis des gens à dos, des gens qui ne comprendrons de leur vie, jamais, ce que tu leur as dit les yeux dans les rétines, avec une certitude déconcertante. Des êtres qui ne pourrons jamais, de toute leur existence, comprendre ta passion pour le chocolat chaud.

Tu es irrationnelle, déséquilibrée, eh ! Comment compte tu y arriver si tu ne fais pas taire cette voix ? Celle qui te chuchote tout le temps tes échecs, qui te conforte dans ton malheur. Elle t'emmerde bien cette voix, qui fait de toi une personne que tu hais. Cette voix qui te chuchote les pires horreurs tant pour toi que pour d'autre. Celle qui te rend folle. Tu veux un secret ? La plupart des gens bien le sont. Demande à Lewis Caroll.

Tu es folle. Voilà ce que tu es . Une hystérique qui rêve de chocolat chaud quand le lait est à sa porté. Qui refuserait ce lait quand bon dieu ! Il lui est presque offert !

J'admets que ce n'est pas complètement de ta faute, les tort sont partagés. Entre toi, et cette voix. Mais tu veux un secret ? Cette voix, c'est moi.

C'est moi qui te chuchote que cette tasse peut-être la dernière. C'est moi qui te fais te haïr. C'est moi qui te fais t'aimer outre mesure, ce qui, paradoxalement, accentue encore la haine qui t'es propre. La haine envers toi, envers moi. Que vas-tu faire ? Vas tu continuer à faire des chocolats chauds jusqu'à la réussite ou l'échec final ? Oui. Je connais la réponse. Tu vas faire des chocolats chauds encore et encore jusqu'à y arriver parce que tu sais, au fond de toi, que c'est l'espoir d'arriver à faire ce chocolat chaud, qui te fais m'oublier, qui te fais avancer.

Alors vas-y, vas-y fais ce chocolat, et on se revoit à la prochaine tasse.

Amicalement,

La voix.

IndividuOù les histoires vivent. Découvrez maintenant