Le vieil homme

1 1 0
                                    

Perdue, dans un sous sol, j'écoute, attentive, le cliquetis silencieux de l'horloge. La soufflerie lente et discrète me berce de son bruit doux. Un instant de silence, une seconde de méditation, et me voila partie. Comme un enfant se mettrait à courir, mes doigts font des allez-retour sur mon clavier et mon imagination s'envole. Je pars. Et je visite alors la galaxie entière. Je m'arrête tours à tour sur la planète gelée où ne survivent que des être dangereux, Mars, où je croise des explorateurs venus fonder une nouvelle colonie, et je descend sur la petite planète bleue. Cela m'intrigue. Comment une planète aussi dénuée de couleur peut-elle s'appeler planète bleue ? La couche grisée qui l'entoure ne laisse pourtant pas de place au doute...

Je ne me pose plus cette question à présent, je suis sous le sol. Mon attention est happée. Volée par des individus de tous horizons, qui ne se regardent pas. Entre eux, pas d'échange. Ils n'ont pas d'affinité. Cela me trouble. Pourquoi s'assoient-ils ensemble dans ce train souterrain s'ils ne sont pas amis ? Pourquoi aucun d'eux ne parle ? Et quels sont ces choses blanches dans leurs oreilles ? Ce monde ci m'a l'air si fade. Leur société n'est qu'informatique.. Ils ne parlent pas... Certains s'envoient des ondes à deux mètre d'intervalle. Pourquoi ne posent-ils pas ces rectangles métalliques pour se parler. Vraiment. Sincèrement. Je remonte à la surface. Cet épais nuage gris recouvre leur monde, comme un couvercle le ferait sur une marmite trop pleine. Quelque chose capte mon regard. De l'autre côté de la rue. On dirait un libraire. Il existe encore des libraires ici ? C'est la première fois que j'en vois une...

J'entre dans la petite échoppe et caresse du regard chaque ouvrage à porté de mes yeux. Petits, grand, anciens ou récents, ils ont tous une valeur, et sont les témoignages d'une réalité parallèle, divergente, perçue à un moment donné. Chacun a sa personnalité, son caractère propre. Ils ne dégagent pas la même énergie. Un regard s'arrête sur moi. Ce n'est pas celui d'un livre, non, ce regard est celui d'un homme. D'environ quatre-vingt ans, le visage fatigué par le temps mais les yeux toujours aussi brillants d'un je ne sais quoi magnifique. Il me regarde, et soudain son visage se fend d'un sourire. Il se dirige vers moi avec, j'en suis sûre, la ferme intention de me vendre quelque chose. Je m'attend à voir sortir de nulle part de dernier best seller à acheter absolument mais non. Il ne me tend rien. « Puis-je vous aider ? » dit-il. Je refuse poliment en lui expliquant que je veux simplement faire un tour. La magie de ce lieu me sidère. Je ne pensait pas voir cela de nos jours.

Je passe mes doigts sur les reliures des livres. Il y en a de toute sorte. Certains sont si vieux qu'on dirait qu'un simple souffle pourrait les faire partir en fumée. Mais ils restent fiers, solides. Prêt à en découdre. Comme s'ils défiaient le temps d'avoir leur peau. Comme s'ils défiaient les lecteurs d'oser les prendre en main. Et bien moi, j'ose. Avec la délicatesse la plus infinie qu'il m'ait été possible d'utiliser, je prend le petit trésor dans mes mains. Il pèse son poids. Le titre gravé sur la couverture est recouvert d'une fine couche d'or. Je peux lire le nom de ce témoin du passé. . J'ouvre le livre et alors tout change. La sincérité de ces lignes me touche au plus profond de mon âme. J'ai trouvé ce que je cherchais. Cela veut dire que je vais devoir partir. Cela veut dire que je vais devoir rentrer. Je n'ai pas envie de rentrer. Retourner à la monotonie de mon sous sol ne m'attire pas à côté de l'odeur des ces livres qui caresse mon nez. Mai je n'ai pas le choix. Je me dirige vers la caisse pour emporter ce chef d'œuvre, et je tombe sur l'homme de tout à l'heure. Il me regarde du haut de sa sagesse. « Très bon choix, » dit-il. Il me regarde d'un air interrogateur. J'explique : « Je ne veux pas rentrer. J'étais trop bien chez vous, et maintenant, l'endroit ou je dois me rendre me paraît totalement sans intérêt.

-Vous savez, me répond-il, ce n'est pas l'endroit qui compte, du moment qu'on a un bon livre. »

Je regarde cet homme, et mon visage s'éclaire. Enfin je suppose car à vrai dire je ne peut me voir. J'aimerais lui montrer mon visage qui s'éclaire. Je le remercie et je m'en vais, mon livre sous le bras. Je repars, sur mars, puis la planète gelée. Me revoilà dans mon sous sol. Je regarde autour de moi. Et sur les murs blancs, je vois des précieuse, quelque peu ridicules, je vois une petite fille aux joues roses et à la robe bleue, je vois une mouette et des apprentis sorciers. Je regarde mon écran d'ordinateur et je sais quoi écrire. Pourquoi chercher à m'évader d'ici par l'écriture, quand il me suffit d'amener à moi touts les écrits du monde ? Je me lance, et tandis que j'écris, apparaissent autour de moi, ces personnages de fiction. Je n'ai jamais été si bien entourée.

IndividuOù les histoires vivent. Découvrez maintenant