II.
La fille est toujours là, elle est à présent à l'opposé du tabouret, assise par terre. Une autre femme est là, debout, contre le mur du fond, elle regarde le tabouret. La fille lui tourne le dos.
LA FILLE
Tu savais ? Tu étais au courant de ce qu'il faisais ? De ce qu'il prenait ? Il te l'avait dit ?
LA FEMME
Tu es injuste avec moi. Tu n'as pas le droit d'insinuer que...
LA FILLE
Tu savais ou pas ?
LA FEMME
Oui. Je savais. Il me l'avait dit.
LA FILLE
Il te l'avait dit. Tu n'as rien dit. Tu nous l'a caché. Tu as menti. Tu l'as tué. Il est mort maintenant, et c'est ta faute. Il ne reviendra pas. C'est fini.
LA FEMME
Je ne l'ai pas tué. Ce n'est pas à cause de moi. Ce n'est pas pour moi qu'il prenait ça. Ce n'est pas moi.
LA FILLE
Tu aurais dû lui demander, lui dire. Tu aurai dû lui ordonner d'arrêter, et tu ne l'as pas fait. Quelle sorte d'amour est ce que c'est ? L'amour qui tue, l'amour qui ferme les yeux, qui ne protège pas. Ce n'est pas de l'amour. Tu ne l'aimais pas. Tu l'as tué parce que tu ne supportait pas qu'il t'aime aussi intensément. C'est pour ça, dis moi, que l'as tué ? Parce qu'il t'aimait trop ? Trop fort ?
LA FEMME
Je ne l'ai pas tué. Ce n'est pas ma faute. Je l'aime.
LA FILLE
Tu l'aimais. Il est mort, tu ne l'aime plus, il t'aime encore.
LA FEMME
Je l'aime encore. Je l'aime plus que la mort. Je l'aime malgré la mort, il m'aime malgré la vie.
LA FILLE
Soyez heureux ainsi. Aimez vous malgré la vie, malgré la mort, malgré moi. Aimez vous sans moi.
LA FEMME
Pas sans toi. Il t'aimait.
LA FILLE
Et il t'aime. Il n'a de place que pour un seul amour. Que vas tu faire du tabouret ?
LA FEMME
Rien. J'étais venu le prendre, mais je te laisse le tabouret.
LA FILLE
Tu aura l'amour et moi le tabouret. C'est ainsi que ça à toujours été distribué. Ainsi, tout restera. Malgré la mort.
LA FEMME
Ne vois pas les choses comme ça. Je voulais dire qu'il t'aime.
LA FILLE
Mais tu as dis « aimait ». Et tu as raison. Avant qu'il ne meurt déjà notre amour était mort.
LA FEMME
Ne dis pas cela. C'est faux. Il t'aime.
LA FILLE
Est-il venu te voir ? Avant ?
LA FEMME
Il est venu.
LA FILLE
Il n'est pas venu me voir. Il est partit trop vite pour me voir dans le rétroviseur. Il ne s'est pas retourné et n'a pas entendu mes cris. Il a été égoïste. Il ne m'aime plus, depuis longtemps déjà. J'étais trop aveugle voila tout.
LA FEMME
Il avait honte. Il avait bu, il s'était drogué. Il ne voulait pas que tu le vois, que tu le sache. Il ne voulait pas briser cette image que tu avais de lui. Fort, incassable, rassurant. Le grand frère parfait. Il voulais le rester. Il ne voulait pas que tu sois au courant. Et maintenant tu l'est. Le ciel n'a pas respecté sa dernière volonté qui était pour toi. Tu étais sa dernière volonté. Et tu le sera à jamais. Nous nous aimons hors de la vie, hors de la mort, mais il t'aime hors du temps. (Elle fait mine de s'en aller)
LA FILLE
Je me souviens de son rire. Je me souviens de cette lueur qui allumait son regard quand il parlait de toi. Jamais telle lueur n'a allumé ses yeux pour moi.
LA FEMME
C'était son cœur qui s'allumait. Il riait pour toi. Nous nous aimons. Et j'avais ses confidences et ses compliments, mais tu avais ses rires et sa franchise. Aujourd'hui que nous sommes toutes deux dépossédées, je suis vide, et je vois bien que toi aussi. Et mille fois nous entendrons que le temps fera tout. Mais toute deux, nous savons que ce vide est trop plein de tristesse. La douleur passera. Mais le vide restera. C'est ainsi. Tu aura besoin du tabouret. Je te le laisse. Puisse-t-il combler une part du vide. (Elle sort)
LA FILLE
Et c'est ainsi que la souffrance devint plus froide encore.
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Individu
SonstigesUne nouvelle "Johanna" et une courte pièce de théâtre "Tu es partit trop vite pour me voir dans le rétroviseur" avec une série de texte au centre, tournant autour de la même pensée. Qui suis-je? Johanna: Je suis suicidaire, ce n'est un secret pour p...