Lettre de Motivation

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Je suis seule dans ma chambre. J'observe le plafond. Au loin, j'entends ma sœur chanter au rythme des basses. Je met mon casque audio. Je m'isole encore plus. Devant mes yeux, un document que je dois remplir. Une lettre de motivation. Pour quoi ? Je ne sais pas vraiment. Pour attendre. Attendre la réussite. Attendre d'avoir ma place dans l'école de mes rêves. Attendre, attendre. Une lettre de motivation pour la faculté de lettres. Madame, Monsieur, j'ai toujours Rêvé d'étudier en lettres. J'ai voué ma vie entière à cela, et à ce titre, j'aimerais rejoindre la licence 1 pour poursuivre un cursus complet et obtenir ma licence avant d'avoir mon master puis de finir à écrire des choses sans intérêt que personne ne lira jamais, ce qui me mettra au chômage avant que je ne prenne un boulot de compta mal payé dans je ne sais quel boîte ou je ferais du 7h30, 19h30 tout les jours ce qui me rendra aigrie. Quel travail épanouissant !Vous êtes mon premier choix !

Je reste interdite. Je ne sais quoi écrire ; tout ce baratin est hypocrite. Je me rappelle d'une lettre, de trois pages, passionnées et vraies que j'avais écrite, mais une douleur indescriptible parcours tout mon être. Je réprime l'invisible souffrance et repose mes yeux sur cette lettre. Vais-je devoir mentir ? Vais-je devoir renoncer à mon intégrité pour rester « dans le système » ? Je me vois faire de la comptabilité dans un bureau aussi étroit qu'un cabinet de toilette, et les larmes me viennes. Elles sont pleines de mon cœur qu'elles ont creusé. À présent, un immense trou remplace

ma poitrine. Les gouttes, mîtes de mon corps, restent accrochées à mes cils, comme effrayés par la chute prochaine. Je ferme les yeux, et les voilà sur mes pommettes, toutes prête à sillonner mon visage. Je les laisse aller. Glisser le long de mes joues, jusqu'au menton, prendre un temps. Soudain, le première larme s'écrase sur mon clavier. Par son attitude égoïste, elle empêche les autres gouttes de choir. D'un revers de la main, j'essuie mes joue. Mon nez coule. Ma vue est trouble, rendue floue par l'eau salée déposée sur mes lunette par mes cils.

Une petite fille entre dans ma chambre. Elle me sourit, mais je lis dans ses yeux la souffrance invisible de ma jeunesse. Elle me tend sa main innocente. Le temps se fige. Nos regards se mélangent. Je reste muette face à mon enfance. Finalement, je dépose ma main hésitante dans la sienne et elle m'entraîne. Nous passons la porte, et je me retrouve dans cette salle, où tout à commencé. J'ai sept ans. Et pour la première fois, je vais rencontrer l'interprétation, les projecteurs ; le théâtre. Ma respiration devient moins adroite et l'oxygène me vient par à-coups. La main de la petite fille m'échappe et elle se précipite sur l'estrade de bois. Son visage est illuminé par l'insouciance, et je ne retrouve plus dans ces yeux, aucune trace de souffrance réprimée. Juste des scintillements. Le temps que je cligne des yeux, la salle à disparue, et je suis dans ma chambre.

Je regarde cette foutue lettre qui n'est que la première d'une lignée de six autres. Et dire que celle ci n'est que la deuxième la moins hypocrite... Un LEA (Langues Étrangères Appliquées) d'Anglais et d'Italien. Faisons comme si je ne voulais pas arrêter l'italien depuis cinq ans déjà. La licence de droit était au dessus de mes forces. Une classe préparatoire de lettres ! Avec Latin que je hais depuis six ans maintenant, et tant de travail que je pourrait dire adieu au théâtre. Et tant d'autres. Mes pensées fusent à mille à l'heure, au rythme de ma musique, sans me laisser le temps d'en attraper au vol.

Je fixe mon regard sur la lettre de motivation et commence à écrire. Ce qui paraît 'bien'. Un tissu d'illusion que je devrais porter l'an prochain. Mais une question demeure. Qui vais-je être l'année à venir ? Serais-je une jeune étudiante en lettres, qui sera passionnée par la poésie, ou bien une jeune femme qui tend à devenir bilingue afin de partir vivre aux USA ?

Je me rappelle d'une promesse. Faite dans un coin de ma tête. Je me rappelle cette promesse oubliée : « Plus de masques, de faux semblant, les études supérieures, c'est pour la vraie toi, et pas pour être quelqu'un d'autre ». Les larmes reviennent, affamées. Et alors elles creusent mon ventre. Il ne restera de moi qu'une vieille coquille vide. Un corps sans âme. Mais je n'ai plus le cœur de les arrêter. Je les laisse me vider. Me dévorer de l'intérieur. Qu'elles mangent. Après tout, je n'ai pas

besoin d'âme si j'ai un corps. Et qui aimerais mieux voir un corps ravagé par son âme qu'un sourire sans âme. Qui préférerais voir la tristesse et le désœuvrement plutôt que la joie et la beauté ? Alors mes larmes se mettent à couler à l'intérieur de moi, pour se cacher, et sur mon visage s'imprime ce sourire qu'on aime voir sur ces visages de femme. J'entends ma conscience qui me parle. Dans son dernier souffle, elle me murmure « Souris et tais toi ».

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