Chapitre 18

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Shun fut quelque peu choqué lorsque, tout à coup, alors qu'il aidait Aphrodite à tendre un drap, il repensa à Sage. Depuis combien de temps ne s'était-il plus remémoré le vieil éleveur ? Son visage apparaissait flou dans ses souvenirs, les traits incertains. Cela lui serra le cœur et le recouvrit d'un voile de tristesse.

Ses paroles, cependant, avaient gardé leur clarté, et son chagrin fut rapidement remplacé par un intense sentiment de fierté.

Il avait réussi. Il avait bien failli abandonner, et sans le secours de ses amis il ne serait sans doute pas là désormais, mais il y était tout de même arrivé. Il avait quitté l'Osha, intégré une Horde et... trouver un sygma, peut-être ? Ses yeux cherchèrent instinctivement Kagaho.

Avoir un sygma lui paraissait être un rêve tellement irréalisable qu'il n'avait jamais pris le temps de se demander s'il avait une préférence particulière. Bien évidemment, il s'était toujours plus ou moins imaginé en rejoindre un fort, courageux et doux, mais c'était sans doute ce que tous les kemmas désiraient.

Bien que Kagaho soit incroyable puissant – quoi qu'il ne doutât pas que cette force soit en partie dû à son extrême agressivité – il semblait en parallèle être particulièrement peureux sur certaines choses. Mû lui avait révélé qu'il n'avait jamais possédé de kemma. Comme Shun, il était donc totalement novice à ce sujet mais, contrairement à lui, craignait d'en découvrir davantage.

Lors de ce baiser qu'ils avaient échangé, lorsque Shun avait vu cette incertitude dans les yeux sombres du sygma, cette peur dans son regard, il s'était senti plus fort, plus sûr de lui. Et cela lui avait fait du bien de penser qu'il était, des deux, celui qui avait le moins de craintes.

Quand la tenture fut correctement tendue et les herbes se trouvant dessous toutes arrachées pour être mises à sécher, Shun aida ensuite à peler certains fruits. Les pépins étaient jetés, la chair mise de côté pour la préparation d'une compote et la peau suspendue à une ficelle. Une fois sèche, elle se transformait en une petite gourmandise à la fois acidulée et sucrée dont beaucoup raffolaient.

Il s'assura qu'Aphrodite et Mû n'aient plus besoin de son aide avant de s'éloigner. Il s'approcha de Kagaho, occupé à changer la corde d'un arc. Lorsqu'il l'entendit, ce dernier se retourna doucement et lui lança un regard indéchiffrable. Il paraissait bien plus calme à présent, malgré que leur échange ait été bref. Il ne saignait plus du nez, n'avait manifestement plus de fièvre et était moins prostré. Toutefois, Shun se doutait qu'il n'était pas totalement tiré d'affaire car il frissonnait encore beaucoup.

— Tu veux bien m'apprendre à m'en servir ? lui demanda-t-il en désignant l'arc.

Surpris, Kagaho haussa les sourcils. Apparemment, il ne s'attendait pas à ça. Il le fixa encore un court moment avant de simplement acquiescer.

— Tu n'y arriveras pas avec celui-là, dit-il néanmoins. La corde est très tendue, il faut beaucoup de force pour la tendre.

Shun frissonna malgré lui en entendant sa voix. Il ne s'attendait pas à ce qu'elle soit si pausée et si profonde.

— Je vais t'en faire un avec une corde plus lâche, continua le sygma en s'emparant de son carquois plein de flèches. Tu ne pourras pas tirer très loin avec mais au moins tu apprendras à tendre et à viser. Ne bouge pas, je reviens.

Il partit alors vers les arbres. Vexé, Shun le regarda s'éloigner. Il avait la désagréable impression que le sygma l'évitait.

Agissait-il ainsi parce qu'il ne l'intéressait pas du tout ou n'était-ce que parce que, intimidé, il ne savait comment se comporter avec un kemma ?

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