Chapitre 14

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Shun avait toujours aimé s'installer près des fenêtres. Outre le fait qu'il aimait regarder l'horizon, au risque de se perdre dans ses pensées, cela lui permettait également de profiter des odeurs, des bruits et des légers souffles d'air qui circulaient parfois.

Tandis qu'il participait à la cuisson d'une soupe de poisson, tout occupé à peler certains fruits, il écoutait distraitement les sons qui lui venaient de l'extérieur. Entre le vent qui faisait onduler le tissu des tentes grossières qu'ils avaient montées dehors et les éclats de rire sporadique du petit sygmy, il n'aurait su dire ce qu'il préférait. Sans compter qu'il s'était tellement habitué au langage étrange que les Messagers utilisaient entre eux qu'il n'y prêtait plus grande attention.

Soudain, des bruits de pas furieux se firent entendre dans les escaliers suivis d'éclats de voix. Lorsqu'il entendit quelqu'un prononcer son nom avec colère, il se redressa, apeuré. Shina surgit dans les cuisines, l'air plus hargneuse que jamais, et fut sur lui en un rien de temps. Elle l'attrapa violemment par la nuque, le jeta par terre, et commença à le rouer de coups. Tous les kemmas présents dans la pièce s'éloignèrent autant que possible de la furie et de sa victime.

Sachant pertinemment que cela ne servait à rien de se débattre, surtout dans l'état de faiblesse où il se trouvait, Shun se contenta de protéger sa tête de ses bras puis de relever ses jambes contre son torse pour encaisser un maximum. Lorsqu'enfin, après un temps qui lui parut interminable, Shina s'arrêta, il avait tellement mal qu'il peinait à garder conscience. Un faible gémissement sortait de sa gorge sans qu'il le contrôle à chacune de ses expirations.

— Si j'apprends encore une fois que tu as volé de la nourriture, je te tue, et peu importe ce qu'en diront les Prieuses ! lui jeta l'emma à la figure avant de repartir sans plus lui adresser un regard.

Au bord des larmes, à deux doigts de perdre connaissance, Shun ne bougeait pas. Misty avait trouvé la vengeance parfaite.

Recroquevillé lamentablement au sol, il se contentait de trembler. Il n'avait pas envie de se relever. Il ne désirait que de rester ici et attendre que quelqu'un le relève. Ou l'achève. Peut-être serait-ce mieux, d'ailleurs.

Mais l'emma en charge ne lui fit pas ce plaisir. Elle le secoua du bout du pied et laissa tomber un seau à côté de lui.

— Vas me chercher de l'eau, lui dit-elle sèchement. Et ne traînes pas.

Shun se déplia lentement. Il avait l'impression que son corps pesait des tonnes. Il prit le récipient, se leva en prenant soin de ne pas regarder les autres et sortit. Il n'avait pas envie de lire la pitié dans leurs yeux.

Malheureusement, à peine avait-il descendu un étage qu'un vertige soudain manqua de le faire tomber. Devant ses yeux dansèrent des milliers de petits points noirs. Il ferma les paupières et s'appuya au mur, espérant que cela passe, mais ses jambes refusèrent de le porter davantage et il se sentit tomber.

Des bras le rattrapèrent avant qu'il s'écroule et il s'accrocha désespérément à celui ou celle qui lui apportait son aide. Ils terminèrent ensemble de descendre les quelques marches restantes jusqu'au pallier suivant. Les oreilles de Shun sifflaient tant qu'il entendait sa propre respiration erratique. Il réalisa alors que sa bouche était pleine du goût du sang.

Il laissa l'autre l'assoir par terre. Il rouvrit les yeux après un bref instant, lorsque les vertiges cessèrent quelque peu, et croisa le doux regard vert d'eau de Shiryu.

— Merci, lui souffla-t-il avec une grimace de douleur.

— Ne bouges pas, répliqua son ami en lui subtilisant son seau. Je m'en occupe.

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