Prologue

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Douze ans auparavant...


— Oui, vas-y bébé ! Continue comme ça...

C'était un putain de concert, ouais. Le vacarme assourdissant accompagnant notre musique était sensationnel. Un kif total ! Les pieds qui tambourinent, les mains qui frappent en l'air et les clameurs du public sont un vrai shoot d'adrénaline. Les milliers de fans qui nous ont vénérés en chantant les paroles de nos chansons sont autant de raisons de me prendre pour un dieu de la scène.

Des putains de milliers de bonnes raisons.

La pression retombe doucement. Les nerfs détendus, je suis complètement stone. Ajoutez à ça le rail que je viens de m'enfiler et la bière à moitié vide que je tiens encore à la main et vous voyez le tableau. Même après avoir retiré mon t-shirt trempé de sueur, mon torse nu suinte encore. Les cheveux emmêlés, qui se sont échappés de mon catogan, me balaient les épaules. Je dois ressembler à la serpillère de ma mère après le décrassage hebdomadaire des sols.

Le début d'une descente aux Enfers programmée.

Mon piercing à la lèvre tinte sur le goulot de ma bouteille. Alors que la deuxième gorgée me réhydrate doucement la gorge, je sens le liquide parcourir mon œsophage. Mon estomac émet un grondement, signe qu'il va bientôt falloir que je lève mes fesses pour aller manger un morceau. Je laisse glisser la bouteille vide qui s'échoue contre mes Doc Martens.

— Encore, ouais. Mmh...

Une voix féminine me parvient, assourdie par le brouillard présent dans ma tête. Ça ne peut pas être Sophie, puisque nous avons rompu depuis six mois. Elle m'a proprement viré, certainement à raison.

Dos collé et enfoncé dans le canapé en cuir des loges, le jean baissé aux chevilles et une tête blonde peroxydée qui s'agite entre mes jambes, je profite de mon succès. Je caresse d'un doigt mon dernier tatouage en date sur mes tablettes abdominales : une femme soumise, agenouillée et attachée par des cordes. À la signature de notre dernier contrat, nous sommes allés tous les quatre nous faire tatouer une femme auréolée du nom du groupe.

Symbolique.

Slave Of One Night* a encore mis le feu ce soir. Notre plus grande salle à Paris jusqu'ici. Un défi de taille que nous avons relevé haut la main. Ce sont ces chacals de la maison de prod' qui vont être contents. À travers mes yeux mi-clos, j'en distingue d'ailleurs un qui est en pleine discussion avec Noah. Malgré la brume présente dans mon cerveau, les grands sourires et les tapes dans le dos qu'ils échangent doivent être de bonne augure pour le groupe. Un futur contrat sans doute...

— Allez Tray...

Pendant que la groupie salive sur ma queue, Soul est en pleine séance de dédicace avec ses copines. Sa guitare à la main, il leur joue le refrain de notre plus grand tube. Je ferme les yeux tandis que les notes me parviennent et que les conversations se sont tues. Le son acoustique de son instrument résonne entre les murs de la loge, seulement perturbé par les verres qui s'entrechoquent au buffet et les bruits que la blonde laisse échapper.

J'attrape ma guitare posée sur le canapé et la plaque contre moi. La nana ne ralentit même pas la cadence. Alors que je sens mes bourses se contracter, je resserre mes doigts sur le manche.

— On a tout notre temps, bébé, lui intimé-je.

Après une grande inspiration pour me concentrer, je gratte les cordes et entame le dernier couplet en me calant sur mon pote. Ma voix est cassée ce soir. J'ai tout donné. La tonalité est plus grave, mais aussi plus ténébreuse et voilée, désespérée. Chanter la mort du diable n'en nécessite pas moins.

Exhalation of Darkness** est album de platine depuis plus d'un mois et nous ne sommes toujours pas redescendus de notre piédestal. Le single portant le même nom passe sans cesse sur les ondes et nos comptes bancaires se remplissent à vue d'œil. Jouer de la musique ensemble et en vivre est un rêve de gosse qui se réalise. À presque vingt ans, nous sommes les rois du monde.

Gamins, nous avons assisté à des cours de solfège et en grandissant nos goûts personnels se sont affirmés. J'ai appris le piano en faisant mes gammes sur un vieux synthé d'occasion que mon paternel avait chiné à la Braderie de Lille, mais l'année de mes quinze ans, à force de petits boulots, je me suis payé une guitare, jaloux de Soul qui faisait tomber les filles en grattant quelques cordes.

D'ailleurs, il a déjà une nana à ses côtés, laquelle se pâme comme la groupie qu'elle est. Alors que la dernière note retentit, je laisse tomber ma tête en arrière, les paupières closes, ma guitare toujours dans les mains.

— Tu peux y aller ! Plus vite.

La fille accélère et, de sa main, enserre la base tout en accentuant la pression de ses lèvres. Je sens que l'orgasme monte petit à petit. Les dents serrées, le souffle court, un courant électrique prenant naissance dans mes reins remonte ma colonne. J'agrippe les cheveux brillants de la nana, dont je ne connais même pas le prénom, et l'oblige à conserver le rythme.

Soudain, la porte de la loge claque et la silhouette de Sophie apparait. Je vois flou, mais il me semble bien que son visage se tord. Elle ne bouge pas de l'encadrement. Une main sur le ventre, elle souffle et se plie. Ses yeux qui me foudroient veulent me faire vivre mille morts.

— Tray ! m'interpelle une voix masculine.

Je tourne la tête avec toute la force qu'il me reste et accroche le regard de Soul. Perdu dans mon monde de paillettes et d'éléphants roses et au seuil de la jouissance, je ne comprends rien à ce qu'il se passe.

— Tray, putain !

C'est la voix de Colas cette fois. Quand je cherche de nouveau à tourner la tête vers Sophie, ce sont les yeux de mon pote que j'intercepte. Il vient d'entrer dans la loge comme un ouragan. Sa main se pose sur l'épaule de Sophie.

— Ça ne va pas Sophie ?

— J'ai perdu les eaux, grogne-t-elle en soufflant.

Je ricane.

— Elle a pissé dans son froc.

— Tray, ta gueule ! me fait taire Colas.

— Il est complètement inutile de toute façon, là.

Mon ricanement nerveux reprend et s'éteint rapidement tandis que ma queue se tend de plus belle sous la succion énergique de la blonde.

— Noah ! Appelle les pompiers ! Elle doit aller à l'hôpital !

Je jouis bruyamment sur la langue de la blonde pendant que tout le monde s'active autour de Sophie. Je ferme les yeux de nouveau, quand j'entends souffler près de moi :

— Et dire que c'est ça qui va être père...




*Traduction : Esclave d'une Nuit

**Traduction : Exhalation des Ténèbres

Slave Of One Night : Première Chanson - Pick Me UpOù les histoires vivent. Découvrez maintenant