Soirée Improvis@tion

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Tray


Assis en tailleur sur mon canapé, ma guitare sèche sur les genoux, je gratte quelques accords en cherchant une inspiration qui tarde à venir. Mon cahier de partition ouvert devant moi ne se remplit pas aussi vite que je le souhaiterais.

Par la fenêtre ouverte, un timide rayon de soleil traverse le salon et vient s'échouer sur la photo encadrée de ma fille qui trône sur le piano, l'éclairant d'une aura magique. Je souris, car ce soir, Léa passe la soirée chez moi. Ces activités toutes simples me manquent lorsque je suis à Los Angeles.

Tandis que sa mère l'éduque chaque jour et profite de sa présence, je me contente de faire en sorte qu'elle ne m'oublie pas. Entre le décalage horaire, son emploi du temps et ma vie de bohème, il m'arrive de mettre une alarme pour être sûr de la voir et de l'entendre. Jusqu'ici, nos conversations tournent autour des copines et de l'école, mais bientôt, et je redoute ce moment, elle me parlera de ces petits merdeux qui la dragueront et je serai trop loin pour leur botter le cul s'ils déconnent.

Alors que mes doigts jouent sur les cordes, je suis interrompu par la sonnette de l'entrée. Après avoir posé ma guitare, je me lève et appuie sur l'interphone.

— Oui ?

— Tray, salut c'est Colas. Tu m'ouvres ?

— Bien sûr. Monte !

J'entrouvre la porte avant d'aller dans la cuisine allumer la machine à expresso pour cet accro à l'or noir. Alors que la machine est prête à cracher sa drogue, Colas frappe contre le battant.

— Entre !

— Salut mec !

Il referme la porte et pénètre chez moi de son pas lourd. Il retire ses bottes de moto et pose son casque au sol, avant d'accrocher son blouson à la patère de l'entrée.

— Café ?

— Oui, merci.

— Assieds-toi au salon, j'arrive.

— Oh, tu composes ? me demande-t-il en s'installant dans le canapé.

Lorsque j'arrive avec nos deux tasses de café, il tient le cahier dans les mains qu'il déchiffre en fronçant les sourcils.

— Mouais, enfin j'essaie, mais pour l'instant, rien de terrible.

— C'est un tempo lent. Une balade ?

— Ouais. J'ai... envie d'essayer, hésité-je.

— Pourquoi pas ? dit-il en reposant le cahier sur la table basse.

Il sort son paquet de cigarettes de la poche de sa chemise et en allume une. Plongé dans mes pensées, je touille mon café, alors que Colas s'adosse au fond du canapé, sa tasse à la main, sa clope dans l'autre.

— Tout va bien, Tray ?

— Hein ? Oui, oui. Et toi ? réponds-je distraitement.

— Non, ça ne va pas trop.

À sa réponse inattendue, je relève la tête. Je le scrute vraiment et dans ses yeux se reflètent les mêmes tourments que je perçois dans les miens lorsque je me regarde dans le miroir le matin. Si, jusqu'à maintenant, je croyais que notre situation ne perturbait que moi, je m'aperçois que je me suis fourvoyé depuis le début.

— Le groupe, hein ?

— Oui. Entre autres choses. Je m'inquiète pour Soul, pour Noah, pour toi... Pour Sophie aussi.

— Le groupe reviendra plus fort, Colas. Cette pause, que nous n'avons pas choisie, est sans doute une bonne chose. Je profite de ma fille. Tu profites de ta famille. Noah profite de sa nana. Et Soul profite enfin d'une cure sérieuse. Tout le monde est gagnant. Et pourquoi t'inquiètes-tu pour Sophie ? demandé-je, curieux.

— Je... Je suis là pour en discuter avec toi justement, dit-il en effilochant nerveusement un trou dans son jean.

— Je t'écoute.

— J'apprécie beaucoup Sophie. Elle est seule depuis longtemps et je sais qu'elle est malheureuse. Je voudrais tenter quelque chose avec elle et je voulais savoir si tu étais d'accord avec ça.

Je ne suis pas idiot. Lors du dîner de la semaine dernière chez mes parents, je me suis bien aperçu qu'il la couvait du regard.

— Je suis très mal placé pour t'empêcher de faire quoi que ce soit avec elle, Colas. Sophie est libre, du moins d'après Léa. Elle est majeure et vaccinée.

— Tu n'as plus de sentiments pour elle ?

— Oh si, j'ai de l'amitié pour elle, beaucoup. C'est tout de même la mère de ma fille. Mais il n'y a jamais eu d'amour entre nous deux. J'ai énormément déconné par le passé et je ne l'ai pas respectée. Je ne regrette pas d'avoir eu Léa, mais je m'en veux encore d'avoir fait souffrir Sophie. Elle mérite d'être heureuse. Si tu crois que tu peux être ce mec, alors vas-y. Je n'ai pas à te donner mon accord. Vous êtes tous les deux libres. Juste, je te demanderai de faire attention à elle, et à Léa, terminé-je en lui souriant franchement.

Il souffle de soulagement.

— Merci, murmure-t-il.

— Tu croyais sincèrement que j'allais dire « non » ?

— Je ne sais pas. Tu les protèges depuis toujours. Tu les loges, tu t'occupes d'elles. Je ne savais pas quoi penser.

— C'est juste ma façon de réparer mes torts, tu sais, dis-je en haussant les épaules.

— Ok, sourit-il en coin.

— Sophie, hein ?

— Ouais mec, souffle-t-il en passant les doigts dans ses cheveux hirsutes. Je crois que ça ne va pas être facile.

— Hum.

Comme lui, je pense que Sophie s'est mise énormément de barrières et que les faire tomber ne va pas être qu'une partie de plaisir. Dans un bel ensemble, nous terminons nos cafés avant que Colas n'écrase son mégot dans le cendrier.

— On joue ? demande-t-il en se saisissant de ma guitare.

J'acquiesce et me lève du canapé pour m'asseoir devant le piano dont je relève le pupitre. À L.A., nous avons l'habitude de nous retrouver les uns chez les autres pour jouer à deux, trois ou quatre. Nous nous connaissons tellement bien que c'est comme une seconde nature, instinctif.

Bien souvent, on sous-estime les bassistes et Colas ne fait pas exception. Pourtant sa formation musicale est la même que la mienne. Ses doigts se placent naturellement sur le manche et les cordes, et après un seul accord, je sais immédiatement ce qu'il veut jouer. Tandis que mes doigts courent sur les touches, j'entame la partie chant, Colas dans les chœurs. Malgré l'absence d'échauffement, les quelques chansons que nous entonnons font vibrer une fibre chez moi.

La musique est une partie importante de notre vie. Nous ne pouvons pas en rester là. Je me promets de faire revenir le groupe comme si nous n'avions jamais quitté la scène.

Nous improvisons quelques mélodies sur lesquelles je pose des mots. Rien de probant, mais c'est un début satisfaisant. Quand le soleil décroit derrière les toits des édifices lillois, Colas prend congé et m'assure qu'il repassera s'il a des nouvelles de Soul.

— Je vais profiter que Léa dorme chez toi ce soir et passer du temps avec Sophie. Elle broie du noir en ce moment et je n'aime pas la voir comme ça.

— Tu fais bien. Bonne soirée alors.

— Merci. Toi aussi, mon pote, dit-il en s'éclipsant.

Slave Of One Night : Première Chanson - Pick Me UpOù les histoires vivent. Découvrez maintenant