Framboisier Divin

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Lisa


À la radio passe un air de rock d'un groupe français, qui a explosé aux États-Unis, il y a quelques années et qui connaît un succès mondial. C'est drôle, mais je crois que les membres de Slave Of One Night sont originaires du Nord, comme moi. Seule dans mon antre, je chantonne et remue des fesses en rythme, me laissant gagner par la musique.

Étonnamment, lorsque je chante, je ne bégaie pas. L'orthophoniste qui m'a suivie pendant des années expliquait que mon cerveau utilise d'autres chemins pour le chant et que mes cordes vocales et ma langue s'adaptaient à ces autres chemins.

Parle, bon sang !

L'odeur douce et légèrement vanillée de la génoise tout juste sortie du four embaume le laboratoire, tandis qu'elle refroidit lentement. À l'aide de feuilles de papier absorbant, je tamponne délicatement une à une les framboises fraichement passées sous l'eau que je suis allée acheter au marché de Wazemmes ce matin.

Elles sont absolument magnifiques. Grosses et juteuses. Je ne peux pas m'empêcher de craquer pour mon fruit préféré. Sur ma langue, c'est l'explosion de saveurs. C'est sucré et subtilement acidulé, la combinaison parfaite pour mon gâteau. La crème chantilly attend patiemment dans la chambre froide, prête à s'accoupler avec ce délice pour les papilles des gourmands. Le framboisier rejoindra sa belle boîte en carton rose bonbon et vert citron dès la finition.

L'extrême fraîcheur des produits est notre marque de fabrique.

Va te nettoyer !

Je m'essuie les mains sur mon tablier blanc.

Mauvaise idée, il y a maintenant deux belles traces roses. Je souris. Tant pis pour le pressing.

Un grand couteau plat dans la main, je découpe délicatement dans l'épaisseur ma génoise en trois parties égales et les dépose sur les grilles devant moi. Elles sont encore tièdes. Je pars chercher le cul de poule contenant la crème immaculée aromatisée à la vanille Bourbon. Le froid du métal me saisit et transperce le coton du torchon. Elle est splendide et se tient particulièrement bien. Mon petit secret, j'y ajoute une cuillère à soupe de mascarpone. Elle est alors beaucoup plus facile à travailler dans un montage.

À l'aide de ma grande spatule plate, je dépose une couche épaisse de crème chantilly sur le premier fond de génoise. Puis, j'enfonce minutieusement des framboises sur toute la surface. Je réitère l'opération avec le deuxième fond. Je recouvre avec la dernière tranche de gâteau moelleux et termine en enduisant le dessus et le tour avec l'onctueuse préparation au goût des îles. Méticuleuse, je forme un coeur de framboises en guise de décoration et parsème de quelques amandes effilées torréfiées par mes soins. Les parfums s'entremêlent sensuellement donnant un goût harmonieux et délicat.

Ne t'empiffre pas !

Satisfaite du résultat, je suis certaine de faire plaisir. Gourmands, mes petits frères et ma belle-mère sont tellement friands de ce gâteau léger et décadent. Je me lave les mains et retire enfin mon tablier que je dépose dans le bac du pressing. Après avoir déposé le gâteau dans son emballage temporaire, je m'octroie une pause-café et jette un œil à la pendule. Il me reste tout juste un quart d'heure avant de prendre la route.

Sois ponctuelle !

Mon café vite bu, je m'approche du miroir pour me recoiffer. Après quelques secondes d'hésitation, j'opte pour une queue de cheval haute sur laquelle je vaporise un peu de laque pour dompter les cheveux rebelles.

Sois impeccable !

Dans le reflet, mes yeux bleus ne pétillent plus depuis longtemps à tel point qu'ils sont presque... tristes. Qu'importe, j'y vais pour faire plaisir à Cassandre et à mes demi-frères. Je tente un sourire qui, quoique je fasse, sonne faux. Après avoir mis un peu de mascara brun sur mes cils, je pose une touche de brillant à lèvres roses.

Sois parfaite !

Non, parfaite, je ne le suis pas. Mais existe-t-il une personne parfaite en ce monde ? Après un soupir destiné à mon reflet et digne des plus grands dramaturges, j'enfile ma veste en daim sur mon chemisier rose poudré.

Sois belle !

Un dernier regard dans le miroir et je tourne les talons sans oublier de prendre mon précieux framboisier. Je déverrouille la porte de la boutique et sors sur le trottoir. Après avoir enclenché l'alarme et mis un tour de clé, je file à ma voiture. Ma petite Twingo rouge attend bien sagement au parking souterrain. Pleinement concentrée sur mon chargement posé en équilibre sur ma main, je ne vois pas l'homme qui surgit du parking en trombe. J'agrippe la boite en carton lorsqu'il me percute.

— Mais vous ne pouvez pas faire attention ?! me hurle-t-il.

Je voudrais lui répondre, lui dire que c'est à lui de faire gaffe, qu'il est sorti sans s'occuper s'il y avait quelqu'un derrière, mais les mots se bousculent et butent contre ma langue.

Tais toi !

Ignorant cet homme décidément désagréable, je pénètre dans le parking avant que la lourde porte en fer ne se referme dans un grand bruit sec.

Slave Of One Night : Première Chanson - Pick Me UpOù les histoires vivent. Découvrez maintenant