Un @mour de G@mine

30 5 0
                                    


Tray


Je suis en train de rincer la laitue dans l'évier lorsque Léa frappe à la porte. J'attrape un torchon et ouvre le battant après m'être essuyé les mains.

— Coucou papa ! me lance gaiement ma fille.

— Bonjour ma chérie. Va poser ton sac dans la chambre et viens m'aider en cuisine, s'il te plait.

— T'as toujours pas pris de cours ?

— De cuisine ?

— Ouais.

— Non.

Son éclat de rire la suit dans le couloir.

Lumière de ma vie.

— Alors, j'arrive ! Je ne voudrais pas que tu m'empoisonnes ! s'écrie-t-elle.

Fille ingrate !

— Comme si !

La salade essorée, je sors une planche à découper et deux tomates. Lorsque Léa s'approche de moi, je lui désigne le plan de travail.

— Tu peux couper les tomates en dés, s'il te plait ?

— Pas de souci.

— Alors, quoi de neuf ? lui demandé-je en détaillant de petits morceaux de comté.

— Rien de spécial.

— Et l'école ?

— Ça va. Maman est allée à la réunion parents-profs la semaine dernière, tu te rappelles ?

— Hum, hum.

Effectivement, Sophie m'en a parlé. Léa est une bonne élève sérieuse et les professeurs sont très contents de son travail ; la seule chose qui lui est reprochée est son manque de participation en classe.

D'un caractère plutôt enjoué et extraverti avec nous, elle a appris très tôt à se faire discrète en public à cause de ma notoriété. De fait, elle ne clame pas qu'elle est ma fille, voire elle s'en cache. Intelligente, elle a compris les avantages à différencier la rock star du papa. Et autant elle parle du leader des Slave Of One Night comme une groupie avec ses copines, autant elle ne partage pas son père.

Je suis tellement fier d'elle.

Pendant que je mets à cuire les spaghettis et fais chauffer la sauce, elle me parle de ses amies avec lesquelles elle est allée au cinéma.

— Vous êtes allées voir quoi ?

Cinquante Nuances de Grey.

Je me fige et me retourne vers elle.

— Pardon ?

— Ah ah, si tu voyais ta tête ! Attends, ne bouge pas ! m'intime-t-elle, son téléphone déjà dirigé vers moi.

Au déclenchement du flash, je tire la langue par réflexe. Quand elle me montre la photo, nous rions à ma grimace. M'immerger dans le quotidien de mon ado de douze ans est finalement assez facile.

Alors que Léa sort la vaisselle du placard et s'apprête à mettre la table, j'imagine quelle serait ma vie avec une femme à mes côtés à faire ces gestes de tous les jours. Si on m'avait dit, il y a quelques années, que ce genre de chose me ferait rêver, j'aurais ri. Aujourd'hui, je n'ai plus peur, mieux, je le souhaite.

Tout en remuant la sauce tomate qui frémit, je soupire. Jusqu'ici, je n'ai jamais eu besoin de chercher, les femmes me sont toujours tombées toutes cuites dans les bras. Certaines pour une nuit, d'autres pour quelques semaines, mais jamais je n'ai envisagé de vieillir avec elles.

Elles se sont servies de moi comme je me suis servi d'elles.

Je suis stoppé dans la progression de ma morosité par la voix fluette de Léa.

— Hum, ça sent bon.

— Normal, j'ai ouvert le bocal avec amour.

— Pfff... Mamie aurait dû te donner des cours, franchement.

— Ouais ben, pour ça, il aurait fallu que je passe plus de temps à la maison qu'à vadrouiller avec mes potes, dis-je dans un éclat de rire.

— Maman n'aime pas trop faire la cuisine non plus. Par contre, c'est la reine de la commande de pizzas par téléphone. Elle connait le numéro par cœur. J'te jure, je suis mal barrée avec vous deux.

— T'as un peu le temps de voir venir, ma puce.

— Oui, je sais. J'aime bien aider mamie quand elle cuisine. Je voudrais faire la même chose à la maison, mais maman a toujours peur que je me brûle ou que je me coupe, soupire-t-elle en levant les yeux au ciel. Elle croit encore que j'ai quatre ans.

— Ah...

C'est sans doute un sujet que je pourrais aborder avec Sophie à l'occasion. Mère célibataire depuis toujours, ses propres parents hors course, elle a dû se débrouiller seule, terminer ses études et trouver du travail tout en s'occupant de notre fille. Je l'admire.

C'est en tête-à-tête que nous dinons. Notre complicité ne fait aucun doute et je passe un bon moment. Après avoir débarrassé, je remplis le lave-vaisselle et lui demande de choisir le programme de la soirée. Sans surprise, elle opte pour des jeux de société. Installés dans le salon, nous enchainons les parties de dominos, de petits chevaux et de batailles navales ponctuées de rires et d'exclamations de joie ou de défaite.

Alors qu'elle baille pour la troisième fois au point que j'arrive à apercevoir ses molaires, je jette un œil à mon téléphone.

— Il est l'heure d'aller se coucher ma puce.

— Mouais, on a le temps. Il est même pas minuit, geint-elle.

— Je sais que demain tu n'as pas d'école, mais si tu veux qu'on aille faire un tour de vélo, tu ferais mieux d'être en forme.

— Mmh..., cède-t-elle sans conviction.

Tandis que je range les dominos dans la boite en bois, elle se lève et se dirige, obéissante, à la salle de bain pour se laver les dents. J'emmène nos tasses dans la cuisine et les pose dans l'évier. J'attrape mon paquet de clopes planqué dans un tiroir de la cuisine et ouvre la fenêtre. J'allume une cigarette avant de m'accouder sur le rebord. Les bruits de la rue assourdis par la hauteur me parviennent. Quelques jeunes rigolent, une voiture klaxonne, de la musique techno s'échappe d'un bar dont la porte vient de s'ouvrir.

— Papa ?

Alors que je me retourne, Léa se tient devant moi dans un pyjama rose pâle qui fait ressortir sa chevelure très brune et ses yeux verts identiques aux miens.

— Oui ma chérie ?

— Tu me lirais une histoire ? demande-t-elle avec une lueur malicieuse dans les yeux et une moue enfantine accrochée aux lèvres.

— Pourquoi ? Tu ne sais pas lire ?

— Allez, supplie-t-elle. Comme quand j'étais petite.

Je m'esclaffe et tire sur ma clope dont je rejette la fumée par la fenêtre avant de l'écraser dans le cendrier.

— D'accord.

Slave Of One Night : Première Chanson - Pick Me UpOù les histoires vivent. Découvrez maintenant