Le quinzième

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Abi va partir. Abi va partir loin, pendant longtemps. Je n'aime pas ça. Il a beau être à côté de moi en cours, il me manque déjà. Je n'aurai plus le droit à ses sourires ou à ses petites habitudes qui font de lui ce qu'il est. En rentrant des cours, Abigaël m'a proposé de venir passer du temps chez lui et j'ai accepté sur-le-champ. Je ne veux pas rentrer chez moi. Pas ce soir. Je veux juste profiter de chaque minute avec lui. Ses doigts resserrent les miens dans la rue et je fais de même.

Nous n'avons pas mis de nom sur ce que nous sommes, nous n'avons pas besoin de ça. C'est juste lui et moi. Moi et lui contre le monde.

Il pousse un gigantesque portail en fer blanc entre de hauts murs en béton et je m'arrête devant.

— Abi... soupiré-je en grattant mon index.

— Je vais pas te manger, tu sais.

Il fait danser ses sourcils et sourit.

— C'est pas ça... C'est juste que je ne sais pas si je devrais venir.

Il vient vers moi et me prend la main.

— Tu me fais confiance ?

— Oui.

— Alors viens.

Il me tire à l'intérieur et referme derrière nous. Le jardin est fleuri, mais toutes les plantes sont en pots ou organisées minutieusement. Rien ne paraît naturel. La pelouse est tondue au centimètre près et le pavé nous indique vraisemblablement où mettre les pieds. Mais Abigaël s'en fiche et marche sur l'herbe. Je ne prends pas un tel risque et reste sur le chemin prévu.

Il grimpe les marches en pierres blanches du perron et il me fait une belle révérence en ouvrant la porte.

— Si Monsieur veut bien se donner la peine de rentrer.

— Que vous êtes bien aimable très cher.

Il sourit et embrasse ma joue.

— Je vais commencer par la pièce la plus importante. Suis moi.

Je ne le quitte pas d'un centimètre en traversant les nombreux couloirs. Nous croisons quelques employés, que nous saluons poliment. Les parents d'Abigaël ont vraiment beaucoup de moyens.

Il pousse une énième porte et la referme derrière moi. Des dizaines de bibliothèques sont posées contre les murs. Il écarte les bras, comme pour enlacer tout l'espace.

— Tu as devant toi, la plus grande collection de livres de la région.

La pièce doit faire quatre fois le salon de la maison des Bellegarde. Il pointe du doigt un grand tableau placé entre deux meubles.

— On est rouquin de génération en génération.

Devant nous se dresse le portrait d'un homme à la chevelure flamboyante et aux traits juvéniles.

— Archibald Von Larcher, 1830. Premier Larcher à être entré dans l'histoire.

Il garde un air très sérieux puis soupire.

— En fait, je connais pas son nom. Mais ça fait joli au milieu des livres, apparemment.

Il passe ses mains derrière son dos et se retourne vers moi pour me faire une visite guidée de la pièce, tel un employé de musée.

— Vous trouverez sur votre droite la section des livres relatant histoire et faits avérés. Sur la seconde partie, des livres religieux exclusivement catholique. Faut pas déconner avec le tout-puissant. Et ici, la Fantaisie, accompagnée de son soupçon de Science-Fiction.

Le chant du cygneOù les histoires vivent. Découvrez maintenant