chapitre 4 🥀 les héros souffrent

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Quatrième été

Deux petits jours plus tard, les voilà de nouveau perdus dans ce coin de campagne, à l'ombre des oliviers. Allongés sur une nappe, ils dessinent. Plutôt, Jisung dessine et Minho le regarde. Jisung ne dessine pas beaucoup, mais il dessine bien, une chance. A vrai dire, il ne dessine qu'en Provence, à croire que le reste de l'année les gens et les arbres sont trop desséchés pour être le terreau fertile de son imagination.

L'air est presque plat, l'instant sans variation. Les minutes s'écoulent, le temps ne semble plus avoir de fin. Seul le soleil qui glisse imperceptiblement vers l'horizon peut témoigner du fait qu'ils ne sont pas dans une dimension parallèle.

Effectivement, quand on y regarde de plus près, l'instant n'est pas si parfait. Le silence semble un peu plus lourd, les traits sont un peu tirés. Un léger malaise plane, malgré les doigts de Minho qui se perdent dans les cheveux de Jisung.

- Jisung ?

Le murmure est si léger que Jisung pourrait croire l'avoir imaginé. C'est presque comme si Minho avait voulu retenir ces quelques syllabes, comme s'il les avait laissé échapper mais l'avait regretté l'instant d'après.

Sur la feuille, la pointe du crayon se fige. Les yeux ne quittent pas le papier, comme s'ils réfléchissaient au trait d'après. Jisung attend. Il fait semblant, parce qu'il a peur de la suite. Mais on le sait, lui aussi a des gènes d'elfe, il entend des choses qu'on ne voudrait pas qu'il sache. Minho soupire, maintenant qu'il en est là, il n'a plus vraiment le choix. Il recale une mèche derrière les oreilles du châtain, se penchant légèrement en avant pour essayer de capter son regard.

- Est-ce que tout va bien, en ce moment ? T'as l'air... ailleurs.

Jisung soupire, la mâchoire se contracte un peu plus. Les pensées fusent, il y aurait tant à dire.

Ouais, j'suis plus vraiment là, j'veux pas te mentir. Mes pensées m'emmènent loin et m'empêchent de profiter de toi, des oliviers, de la poésie de notre histoire. J'suis désolé Minho, j'arrive plus à faire semblant. Les interrogations sont devenues trop fortes, elles déteignent sur la réalité, entachent les couleurs du couchant. C'est que des mots, du vent, mais bordel ça tourne dans ma tête et j'arrive plus à faire abstraction de la tempête.

Jisung ferme les yeux. On pourrait réellement croire qu'il est sur le point de pleurer.

Notre histoire était sans doute trop belle pour être vraie. Faut croire que les romans sans péripéties, ça existe pas. Les tableaux sans imperfections, ça n'existe pas non plus. J'ai essayé, pourtant, mais j'te jure que j'y peux rien si mes sentiments ont décidé de s'en mêler. On a joué à un jeu dangereux, où une bonne dose d'insouciance et d'indifférence était nécessaire pour ne pas perdre la boule. Mais voilà, j'ai grandit, les gens autour de moi aussi, et je réfléchis plus pareil. Au revoir l'insouciance, l'indifférence. Le scénario que j'avais construit ne tient plus la route, et plus je tente d'en écrire un nouveau, plus je m'enfonce.

Jisung ouvre la bouche pour dire quelque chose, n'importe quoi, mais qui puisse exprimer ne serait-ce qu'une bribe de ce qu'il ressent.

J'ai peur que la magie de notre histoire se ternisse. J'ai peur que les couchers de soleil soient moins éblouissants, que l'odeur de lavande arrête de nous tourner la tête. J'ai peur que les grillons crissent moins, que les odeurs de l'été deviennent plus fades, que les brins d'herbe qui nous chatouillent les mollets finissent par les griffer. J'ai peur que tout ce que l'on a construit petit à petit, toute cette bulle apparemment hors de l'espace-temps, ne s'enlise dans un quotidien trop brutal. J'ai peur que l'on retourne aux autres, à la vie "moderne", dans leur dimension étrange et trop violente. J'ai peur que les oliviers ne suffisent plus à nous protéger du monde et de ses injonctions. J'ai peur que le romantisme qui nous entourait au départ ne finisse par disparaître dans l'ombre de la répétition et de l'adolescence. Que tout ce que cette période a de compliqué - les pensées trop nombreuses, les réseaux trop addictifs - ne finissent par empiéter sur notre bulle. Que ce qu'on avait construit lorsque nous étions encore plutôt enfants ne disparaisse en grandissant.

la gloire au cœur ᵐᶦⁿˢᵘⁿᵍOù les histoires vivent. Découvrez maintenant