La voiture prit un dernier virage, et la maison de Papi apparu. C’était une vieille maison. Au moins aussi vieille que la canne en bois forgé que mon grand-père se trimballait tout le temps, que ce soit pour aller chercher du bois, rentrer les moutons, écrire des messages dans la terre sèche ou faire tomber les olives et les cigales des arbres. La voiture s’arrêta dans un crissement de pneu, et le nuage de poussière me cacha un instant de la maison. Quand elle se dissipa, Papi était là. Sans sa canne. Il la prenait pour tout, sauf pour marcher.
- Papi !
Je descendis rapidement de la voiture, et le laissait se jeter dans mes bras. L’inverse nous aurait propulsé tous les deux à terre, je faisais donc office de canne. Papi se sépara de moi en titubant, s’accrochant à mes deux épaules. Il m’offrit un grand sourire, un peu fier, puis sans un mot, commença à décharger mes bagages. Il discutait avec le chauffeur du taxi, tandis que je me plongeais dans la contemplation de mon havre de paix. Finalement, la poussière réapparut momentanément, et quand je rouvris les yeux, papi était posté à mes côtés, les yeux également rivés sur la maison et ses vieilles pierres. La voiture n’était plus là. Ne restaient que Papi, moi, et les collines jaunies par le soleil.
- Entrons, je t’ai préparé une surprise, fiston.
*****
L’intérieur n’avait pas bougé. Il y avait toujours cette odeur de bois chaud et de paille, avec une légère fragrance de lavande en arrière fond. Papi continuait d’en disséminer des bouquets aux quatre coins de la maison, en souvenir de ma grand-mère qu’il disait. Moi, je sais bien que ma grand-mère n’aimait pas la lavande. Mon grand-père aimait juste se rouler dedans avec son « meilleur ami » quand ils étaient gosses et encore libres.
Je sortis. L’odeur de la Provence était incomparable. Je pris dramatiquement une profonde inspiration. Cet endroit était comme un petit théâtre, où je me présentais chaque été. Seuls les arbustes et les oliviers pouvaient être témoins de mes émois face aux personnages des romans que je dévorais. J’inventais des histoires complètes avec des personnages imaginaires, et personne n’était là pour me dire que ce n’était plus de mon âge. Mon papi savait à quel point c’était douloureux de s’entendre dire quoi faire et qui aimer. Si seulement son « meilleur ami » était encore en vie, on aurait peut-être pu reconstruire quelque chose de chouette.
Mais la vie continue, et la comédie avec. Je m’élançais dans la pente de la colline comme si ma vie en dépendait, sautant par-dessus les cailloux minuscules comme si j’étais un affreux voleur poursuivit par des méchants qui me tiraient dans les pattes. Les cheveux au vent, je courrais comme s’il n’y avait pas de lendemain, comme si j’étais un aventurier dont la seule destinée serait de parcourir la terre.
J’arrivais finalement en bas de la colline aux oliviers, près du tout petit ruisseau. Là, se tenait le seul sycomore de la vallée. J’avais gravé dans l’écorce une bonne partie de mes péripéties enfantines, cet arbre était plus qu’un repère, c’était mon journal intime d’aventurier valeureux.
Je me stoppais à une bonne vingtaine de mètres de lui. J’étais à moitié caché par les oliviers, mais il n’était pas difficile de savoir qu’il y avait quelqu’un dans mon sycomore. Flottant dans sa chemise blanche, nonchalamment assis sur une branche, une brindille dans la bouche, les yeux fermés, tel un poète.
Il avait l’air en telle symbiose avec l’arbre que ça me mit la puce à l’oreille. Mon cœur s’accéléra. Je devinais que le chapitre qui s’annonçait serait bien plus exaltant que tous les précédents. La première page se profilait déjà sur un bout d’écorce.
*****
Quelques pas suffirent à entrer dans son champ de vision. Il avait les yeux fermés et semblait perdu dans son monde, mais je savais qu’il avait deviné ma présence.
Je m’approchais doucement, sans crainte. Cet être n’était pas là par hasard, nos destins étaient forcément liés. Autant leur donner un coup de pouce en se présentant directement.
Je me postais au pied de l’arbre, et attendit qu’il daigne bouger pour venir me dire bonjour. De près, ses oreilles étaient encore plus pointues, ses cils étaient plus fins, ses lèvres semblaient plus douces. Un sourire naquit sur mon visage sans que je n’y puisse rien y faire. Après des années à espérer, voilà que la nature révélait ses secrets. J’allais enfin faire la rencontre d’un elfe, un vrai.Les paupières de l’elfe frémirent. Sans doute avait-il perçu une infime variation dans le courant d’air inexistant qui n’agitait pas les feuilles. Ces créatures-là ont des sens exacerbés, c’est une des seules choses dont je suis sûr.
Nouveau mouvement de paupières. Légère rotation de la tête. Avant que j’ai pu assimiler ces informations, des orbes de lumières inondent mes pupilles et me font froncer le nez. J’ai l’impression que l’elfe a observé le fond de mon âme en un regard, c’est perturbant. J’oublie vite cette sensation glaçante, parce que les elfes sont des créatures positives, qui aident les villageois. Pas de raisons d’avoir peur.
En deux mouvements, le voilà au pied de l’arbre. Seuls quelques pas nous séparent, mais je n’arrive pas à les franchir. C’est bête d’être intimidé, alors que j’ai enfin l’occasion de devenir pote avec un elfe. Je déglutis. Les aventuriers font souvent ça quand la situation est délicate. Puis j’essaye de lui envoyer le plus grand sourire que je peux. Peut-être même que c’était un sourire un peu trop éblouissant, parce que l’elfe a froncé le nez. C’était presque imperceptible, on dirait presque qu’il n’a pas bougé. Mais le moindre de ses mouvements n’échappe pas à mes sens aux aguets. J’ai sans doute du sang elfe dans les veines.
- Salut, cousin.
Le vent inexistant n’emporte pas mes mots au loin. Ils ricochent entre les pierres dures et atterrissent directement dans ses oreilles pointues. Pas d’échappatoire possible, mon approche plutôt maladroite est parvenue à son cerveau surnaturel.
- Viens, je vais te montrer la montagne.
J’hoche la tête et le suit avec soulagement, heureux qu’il n’ai pas tenu compte de mon intervention piteuse. Quitte à être pathétique, je lui lance mon prénom. Je vois son oreille bouger, signe qu’il attrape ce mot au vol. Jisung.
Ses lèvres bougent, je suis persuadé que ses cordes vocales ont créé une vibration dans l’air quand il me donne son nom à son tour, d’une voix grave à faire frissonner.
L’elfe s’appelle Minho. C’est bien un nom d’elfe ça, tiens. A peine cliché. Je souris bêtement. Globalement, j’aime bien les clichés, ça renforce l’aspect dramatique de ma vie trépidante.
Je trébuche sur un caillou tout petit. A force de sourire à l’elfe, je ne regarde plus mes pieds. Pris d’un cinquième sens, celui-ci m’attrape le bras pour m’empêcher de tomber. Je manque de défaillir, ma vie est définitivement digne d’un roman.L’elfe me prend le poignet et commence à trottiner légèrement, me tirant derrière lui. Bientôt, nous nous mettons à courir pour de vrai, presque main dans la main, les cheveux au vent même s’il n’y en a pas. Au milieu de cet instant magique, je me dis que je peux mourir en paix, j’aurais vécu le conte de fées que je méritais.
Sur cette pensée profonde et pleine de dramatisme, le rideau tombe. Le jour se lèvera bientôt dans un tout autre décor, celui d’un autre champ d’oliviers, sur la colline d’à côté.
***
J'espère que ce premier chapitre vous a plu ~
Il y aura beaucoup d'aller retour dans le temps, qui seront indiqués. Pour celleux qui veulent mieux se rendre compte de l'évolution des personnages, je précise que lors de ce premier été, Jisung a environ 14. Minho est plus âgé d'un ou deux ans, à vous de voir :)
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la gloire au cœur ᵐᶦⁿˢᵘⁿᵍ
Ficção AdolescenteJisung a une vie palpitante. Du moins, c'est ce dont il essaye de se persuader : sa vie est un roman dont il est le héros. Nouvel été. Nouveau chapitre. Au détour d'un olivier, les premières lignes se forment. Elles se répèteront, mais jamais à l'id...