14 | Nokomis

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Australie,

Demeure de Lord Edyrm

Les enfants du domaine courraient dans tous les sens, dans un joyeux brouhaha. L'ambiance ici, était bien différente de celle du Deity, quand bien même des enfants s'y trouvaient aussi. J'aimais cette demeure au-delà de ce que j'aurais pu espérer. Chaleureuse et pleine de vie, j'étais une personne différente ici depuis que j'y vivais.

Dix-sept hivers étaient passés depuis mon mariage avec Edyrm. Depuis que j'étais devenue Dame de ce domaine. Ces gens étaient devenus les miens. Et je me sentais ici comme chez moi. Edyrm y avait veillé. Forcément. Parce qu'il était un homme de parole et un seigneur aimé et respecté. Il était un allié précieux pour Aslander.

Penser à mon frère me ramena à la Prima, qui ne cessait de graviter autour de lui. Je ne retournais que peu souvent au Deity, trop occupée par mes devoirs, par ma vie, à présent.

J'aimais ce que j'y faisais. Avec ma Garde, toujours non loin de moi. Plus que jamais, on gardait un œil sur moi.

Plus que jamais, j'avais besoin d'être protégée.

Ma main se posa sur mon ventre arrondi. Voilà des mois que je guettais le retour d'Edyrm pour lui annoncer la nouvelle. Des mois que les bébés en moi grandissaient pour devenir plus que des fœtus.

Des jumeaux.

Là, au creux de moi. Une étrange sensation. Celle de porter la vie. Celle de perpétuer la lignée, que ce soit celle d'Edyrm ou celle de mon frère. La mienne.

Edyrm était parti depuis trop longtemps. Tout me manquait chez lui, de son sourire impétueux à sa manière de se tenir à mes côtés.

Nous avions été amis pendant longtemps. Avant de devenir des amants. Et bientôt, nous serions des parents.

Chaque jour, cette pensée me terrassait. J'aimais déjà ces deux enfants dans mon ventre, sans même les avoir tenus dans mes bras. Sans même les avoir vu. Déjà je pressentais qu'ils seraient tout, absolument tout pour moi. Mais alors, je pensais à tout ce que j'avais perdu.

À tous ceux que je regrettais.

Rivqa. La vie aurait été si douce ici avec elle à mes côtés. Une amie, une confidente. Encore aujourd'hui, j'apprenais à vivre sans elle.

Et sans...

— Madame ! Madame !

Laicie arriva en courant, ses jupons relevés.

— Ils arrivent. Je...

Elle souffla, épuisée par sa course qui avait dû être éreintante.

— Sire Edyrm arrive.

Je voulus me précipiter au-devant du cortège, mais l'intendante me jeta un regard plein de réprobations et je me retins de lui sauter au cou et de rire, rire et rire encore. Elle me fit enfiler un manteau en laine, parce que les températures dehors ne dépassaient pas les quelques degrés. Elle coiffa rapidement mes cheveux et seulement là je pus sortir et attendre de voir Edyrm arrivé sur sa monture, suivie par un nombre impressionnant de ses hommes. Ils portaient tous les couleurs de l'Empereur, fièrement. Et tous paraissaient épuiser. Je donnais quelques directives et bientôt, ce fut le branle-bas de combat tout autour de la demeure. Edyrm sauta à bas de son cheval et se dirigea droit sur moi.

Les mois avaient marqué sa peau et ses cheveux me paraissaient plus grisonnants. En tant que lycan, il ne risquait pas de vieillir aussi rapidement qu'un humain, mais l'époque n'était facile pour personne. Surtout pas pour les lycans d'Aslander qui devaient parcourir le pays de part en part, quittant foyer et femme.

Je n'eus pas le temps d'ouvrir la bouche qu'il me soulevait déjà pour me faire tournoyer, heureux de me retrouver. Je ris, accrochée à ses bras. Il m'attira à lui et se figea complètement. Je réussis à me dégager légèrement et attrapai sa main entre mes doigts pour la faire passer sous ma laine. Pour qu'il découvre ce ventre bien rond, porteur de vies. Ses yeux s'écarquillèrent.

Et lorsqu'il posa un genou à terre, me revint cette fois, au Deity, des années, bien des années auparavant.

Son front vint appuyer contre mon nombril et mes doigts glissèrent dans ses cheveux.

— Je ne pourrais être plus heureux, souffla-t-il. Et toi, l'es-tu ?

Il releva son visage vers moi, cherchant la réponse dans mes yeux.

— Tu me rends heureuse, époux.

Il rit, se releva et m'embrassa à pleine bouche. Edyrm était un amant tendre et aimant. Il donnait sans attendre quoi que ce soit en retour. Parce qu'il savait que mon cœur ne lui serait jamais totalement acquis. Et il l'acceptait. Il l'acceptait en toute connaissance de cause. Et je l'aimais pour ça.

Je le chérissais pour toutes ces années de bonheur et d'oubli.

* * *

Le voyage jusqu'au Deity ne fut pas de tout repos. Je fus malade une bonne partie du voyage. Edyrm tenta d'apaiser mes maux à sa façon, mais je restais vaseuse et fiévreuse sans qu'il ne puisse rien n'y faire.

J'oscillai entre des moments de conscience et d'inconscience, trop faible pour me sustenter, mais forcée de le faire par d'autres mains que les miennes.

J'appréhendais ce moment. Cela faisait... cela faisait trop longtemps que je n'avais pas vu Arzhel.

Anchor.

J'ignorais si j'aurais la force de me tenir devant lui alors même que je portais les enfants d'Edyrm. Celui-ci dut sentir quelque chose, car il fut plus silencieux qu'à l'accoutumée. Il ne lâcha pas ma main, ou pas beaucoup. Et au petit matin, nous arrivâmes au Deity.

Ani m'accueillit en personne et je fus serrée avec chaleur dans les bras des Chevaliers d'Arthur. Lui-même me félicita et me souffla qu'il ne doutât pas que mes enfants seraient forts et beaux, tout comme nous l'étions, Edyrm et moi.

Nous passâmes la journée à l'extérieur, à profiter du soleil et des délices du palais. À converser. Aslander ne me quitta quasiment pas. Cette nuit-là, je m'endormis au son des bûches dans l'âtre, les bras d'Edyrm autour de moi. Le lendemain matin, je me retrouvai avec ma garde, à arpenter des couloirs que je connaissais par cœur, à discuter avec Sire Gauvain et à rire avec Sire Yvain. Je vis la Prima et tout en moi me souffla qu'elle ne fût pas bonne pour nous, pour notre royaume. Tout comme elle avait essayé avec père, elle tentait de glisser des idées dans la tête d'Aslander, mais Arthur veillait au grain en l'absence d'Arzhel, envoyer plus à l'ouest dans le pays. J'ignorais si je le verrais avant de partir. Une part de moi souffrait de son absence, une autre... une autre souhaitait que nous soyons repartis avant son retour.

Mais comme bien souvent entre lui et moi, rien ne se passait dans le bon sens. Ou de la bonne façon.

Tout mon être le sentit avant même que je ne le voie. Je me trouvais dans les jardins, avec Tamsyn et elle ne cessait de toucher mon ventre pour être sûre que mes bébés aillent bien. Elle rayonnait de cette nouvelle, si heureuse, si pleine de vie.

Lorsque je tournai la tête, je vis Aslander agripper Arzhel et lui murmurer quelques mots à l'oreille. L'attraction entre nous fut immédiate et terrible, rappel de ce que nous étions et de ce que nous ne serions jamais. Je me tournai entièrement et il vit mon ventre.

Il sut.

Comme je sus que son lycan hurlait à l'intérieur de lui.

Qu'il lacérait, griffait, hurlait à la mort.

L'expression d'Aslander se décomposa. Il secoua la tête et recula. Il ne pouvait rien faire.

Moi non plus.

Arzhel avait décidé pour nous il y avait de cela bien longtemps maintenant. Qu'importait la douleur, qu'importait la souffrance.

Qu'importait TOUT.

Nous devions vivre avec cette vérité. Avec cette fatalité.

Jusqu'à la toute fin ?

J'espérais que non.


WHISPERS T3 The Whisper of my past [Terminée]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant