Discretion

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Kazutora s'avança rapidement dans le couloir, il baissa les yeux en priant pour ne croiser personne, et déboucha sur un second couloir. Merde, c'était vraiment grand ici, il ne s'attendait pas à ce que ça soit un vrai labyrinthe. Le jeune homme regarda autour de lui, persuadé d'être déjà passé par là. Les couloirs étaient tous les mêmes, comment devait-il se repérer ?
   — Excusez-moi, je peux vous aider ?
   Kazutora se figea. Il était repéré, ça aussi ce n'était pas dans son plan. Il sentit son cœur s'accélérer d'un coup dans sa poitrine, et une sueur froide le parcourir. Qu'est-ce qu'il allait faire si on le reconnaissait ? Il n'était vraiment pas malin d'être venu ici. Une jeune femme apparut devant ses yeux, elle était plus petite que lui et portait une robe noir avec un badge au niveau de la poitrine. Il devait s'agir d'une réceptionniste ou d'une assistante. Vu la tête qu'elle faisait, elle n'avait pas l'air de le reconnaître, c'était une bonne chose.
   — Vous cherchez quelqu'un ?
   — Euh... oui voilà. Je dois voir Chifuyu.
   — Vous avez rendez-vous, demanda la jeune femme en consultant une feuille qu'elle tenait dans ses mains.
   Parce qu'il devait avoir un rendez-vous pour voir son ami ? Kazutora haussa les sourcils.
   — Je n'ai pas besoin de rendez-vous pour le voir.
   — J'ai bien peur que si, Monsieur Matsuno est très pris.
Kazutora se retint de lever les yeux au ciel. Évidemment, il le savait que Chifuyu était très pris il l'avait prévenu. Mais il ne s'attendait pas à ne plus le voir du tout. Chifuyu partait tôt le matin, et rentrait tard le soir, si bien que Kazutora ne le croisait plus beaucoup. Le jeune homme se disait que son ami devait aussi l'évitait, car il lui en voulait pour avoir dit qu'il ressemblait à une yaourt nature.
   Kazutora avait un peu de mal à l'avouer, mais Chifuyu lui manquait. Et pas qu'un peu. Leurs soirées devant la télévision, à manger des pâtes industrielles, lui manquaient aussi. Leur partie de carte le soir sur le lit de Chifuyu, lorsqu'aucun des deux ne voulaient dormir lui manquait. Leur séance de jeu avec Peke J, où ils s'amusaient à courir après le pauvre petit chat dans tout l'appartement lui manquait. Voir Chifuyu courir partout, à la recherche d'affaire pour le bureau, alors qu'il était en retard pour aller travailler lui manquait.
Kazutora s'ennuyait sans son hôte, et il voulait le revoir. Et surtout lui parler de chose importante. Alors le jeune homme avait décidé de se rendre à son travail, là au moins il était sûr de le voir.
   — Où est son bureau, demanda Kazutora avec impatience.
   — Je ne peux pas vous le dire, il faut que vous preniez rendez-
   — Mais je ne vais pas prendre rendez-vous pour voir mon... mon...
   — Votre ?
   — Mon... frère, inventa Kazutora en essayant de paraître crédible.
   La femme en face de lui écarquilla les yeux et changea immédiatement d'expression.
   — Oh, vous êtes de sa famille ! Toutes mes excuses, dit-elle en s'inclinant précipitamment. Je vais vous conduire à son bureau.
Ce n'était pas trop tôt. Kazutora suivit la femme dans le couloir, satisfait de lui. La femme l'emmena dans un couloir plus large que les autres, le sol était couvert de moquette grise, et le bout du couloir était fermé par une grande vitre en verre, qui offrait une vue grandiose sur la ville de Tokyo.
— C'est ici, dit la femme en pointant du doigt une porte. Je vous présente encore une fois mes excuses.
Elle s'inclina une fois de plus mais Kazutora ne lui jeta pas un seul regard. Il ouvrit rapidement la porte du bureau, pénétra dedans, et la claqua au nez de la femme. Il n'avait pas de temps à perdre, si quelqu'un arrivait et le reconnaissait, ça compliquerait les choses pour leur enquête.
La pièce dans laquelle travaillait Chifuyu était spacieuse, mais Kazutora n'y prêta pas plus attention que ça. Son regard tomba immédiatement sur le bureau, qui se trouvait en face des grandes façades en verres qui faisaient office de mur. Chifuyu était assis sur une chaise, le torse posé sur son bureau, la tête entre les bras. Il semblait dormir profondément.
— Chifuyu, appela Kazutora avec surprise.
   Le jeune homme ne réagit pas. Ses épaules se soulevaient régulièrement, lentement, avec sérénité. Kazutora s'approcha silencieusement de lui, ne voulant pas le réveiller en faisant des mouvements brusques. Il tira délicatement sur un fauteuil pour l'amener devant le bureau, et s'assit dedans. Il leva sa main sans faire de bruit, et tapota légèrement les cheveux de son ami.
   — Chifuyu, murmura-t-il d'une voix à peine audible.
Kazutora ne pensait pas qu'il le trouverait en train de dormir. Ça l'étonnait, son ami était censé avoir beaucoup de travail, de ce qu'il avait comprit. Il devait être exténué, maintenant qu'il y pensait, il entendait souvent Chifuyu faire les cents pas dans sa chambre la nuit. Il valait mieux le laisser dormir.
Kazutora se releva et contourna le bureau. Il passa son bras sous les cuisses de son ami, et entoura sa taille de son autre bras, pour le serrer du mieux qu'il put. Il le maintint contre lui avec délicatesse, puis l'approcha du canapé de la pièce. Il l'allongea dessus, en faisant bien attention à ne pas le réveiller, et déposa sa tête sur un cousin. Kazutora déploya ensuite son manteau dessus, histoire de le réchauffer un peu, avant de soudain remarquer quelque chose. Chifuyu avait quelque chose sur le visage. Il avait un bleu sur la pommette gauche, et des égratignures au niveau des lèvres et du nez.
Kazutora fronça les sourcils. Dimanche dernier, aux bains, il n'avait pas ça, mais ses blessures ne semblaient pas non plus dater d'aujourd'hui. Depuis quand les avait-il ? Il ne saurait pas le dire, il n'avait presque pas croisé Chifuyu. À chaque fois qu'il l'entendait rentrer le soir, il était dans sa chambre, et le temps qu'il arrive jusqu'à son ami, celui-ci s'était déjà enfermé dans la salle de bain.
C'était peut-être une des raisons pour lesquelles Chifuyu évitait Kazutora... Qui avait put s'en prendre à lui ? Le jeune homme parcourut rapidement la pièce du regard. Il devait bien y avoir de la pommade ici. Il commença à fouiller un peu partout dans les armoires, les tiroirs du bureau, dans les placards des petits meubles, mais ne trouva rien du tout.
   — Peut-être dans ses poches, pensa Kazutora à voix haute.
   Il s'approcha du porte-manteau, situé proche de la porte d'entrée, et saisit le long manteau beige de Chifuyu. Il était doux, parfaitement propre, et Kazutora trouvait qu'il allait bien à son ami. Il ne s'attarda pas sur cette dernière pensée et plongea ses mains dans les poches du manteau. Des clés, une carte d'accès, un stylo, un portefeuille, une cigarette... Une cigarette ? Qui lui avait donné ça ? Chifuyu ne fumait pas. Kazutora haussa les sourcils et jeta la cigarette à la poubelle. Il s'attaqua ensuite aux poches intérieures du manteau, et trouva enfin une pommade pour les blessures. Il y avait également des lingettes désinfectantes. Si Chifuyu avait ça dans ses poches, c'était étrange, ça voulait dire qu'il se faisait souvent frapper ?
   Kazutora prit le tout, puis retourna auprès de son ami. Il s'assit près de sa tête, puis ouvrit le tube de pommade. Il commença à en appliquer délicatement sur le bleu au niveau de la joue, en se disant que si Chifuyu se réveillait à se moment-là, ce serait vraiment gênant. Mais son ami ne se réveilla pas, il continua de dormir paisiblement, et Kazutora put le soigner sans avoir à vivre de situation embarrassante.
Qui avait bien pu s'en prendre à Chifuyu, et pourquoi ? Savoir que quelqu'un l'avait frappé énervait vraiment Kazutora. Une colère froide se dressait en lui, similaire aux sensations qu'il avait pu ressentir par le passé. Il ne supportait pas de savoir que quelqu'un s'en était pris à Chifuyu, et qu'il n'avait pas été là pour le protéger. Le jour de sa rencontre avec Chifuyu, il s'était promis de le protéger, en échange d'accepter tout ce que lui donnait son ami, et pour suivre la volonté de Baji. Et voilà qu'il en était incapable.
Et puis, ça pouvait très vite dégénérer cette histoire. Chifuyu ne s'était pris que quelques coups pour l'instant, mais ça pouvait empirer, et s'il finissait pas mourir, Kazutora sentait qu'il n'allait pas le supporter. Il était peut-être sain d'esprit aujourd'hui, mais sa santé mentale restait fragile, et le moindre incident pouvait le faire replonger. Il avait besoin que Chifuyu reste et garde le contrôle. C'était grâce à lui que tout allait bien.
Son ami remua faiblement près de lui, mais il ne se réveilla pas. Kazutora décida de se relever, il déplaça le fauteuil qu'il avait utilisé pour l'approcher du canapé. Il se laissa tomber dedans, et enleva le sac qu'il portait sur ses épaules. Il allait attendre que Chifuyu se réveille.
Kazutora sortit un livre de son sac, en fait, initialement il avait prévu de passer tout l'après-midi ici. Il était venu parce qu'il avait des informations à donner à Chifuyu, comme il ne le voyait plus à l'appartement, il n'avait pas d'autre choix que de le faire ici. Et une fois après avoir fait cela, il avait aussi prévu de rester là, pendant que Chifuyu travaillait. C'était étrange, oui, mais il préférait lire ici, avec Chifuyu à côté, même s'il ne faisait pas attention à lui, plutôt que seul dans son appartement.
   Le jeune homme lut ainsi pendant presque une heure, il n'y avait aucun bruit alentour, le soleil qui passait à travers le mur de verre du bureau caressait doucement sa nuque, la respiration lente de son ami sonnait comme une agréable musique à ses oreilles. Au bout d'un moment cependant, il finit par ouvrir lentement les yeux, sans que le jeune homme ne le remarque, et se releva avec étourdissement.
   — Pourquoi t'es là, demanda-t-il avec fatigue.
   Kazutora leva les yeux de son livre et regarda Chifuyu. Maintenant qu'il était éveillé, les cernes de ses yeux ressortaient et il avait effectivement l'air très fatigué.
   — Je voulais te voir.
   — Pourquoi ? Ça ne pouvait pas attendre ce soir ? Tu as un problème ?
— Tu me manquais.
— Hein ?!
Kazutora se leva et se planta devant Chifuyu, le fixant avec un regard perçant.
   — Je m'excuse d'avoir dit que tu étais un yaourt nature, toi aussi tu es très bien foutu, comme Inui, dit Kazutora avec sérieux. Et t'es même mieux que lui.
Chifuyu cligna des yeux avec incrédulité.
— Hein ??
— Je ne voulais pas te blesser, je suis pas très doué avec les autres, et avec toi encore moins... À chaque fois que j'essaye de te dire quelque chose de gentil tu le comprends comme un reproche ou une critique... Alors je voulais te le dire. Tu n'es pas un yaourt nature et tu es très bien. Et en plus tu es... tu es le meilleur colocataire qu'on puisse avoir. Bon j'ai jamais eu d'autre colocataire que toi mais... mais si je devais en avoir un autre je voudrais que ça soit toi. Ça veut dire quelque chose ce que je dis ? Je crois hein, bon j'espère que tu as compris.
— Qu'est-ce qu'il t'arrive, demanda Chifuyu sans comprendre.
— Je te l'ai dit, tu me manques.
— T'es bourré ou quoi ?
Kazuroda eut un rictus d'amusement. Il passa devant Chifuyu et lui ébouriffa les cheveux sans réfléchir.
— Je t'attendrais ce soir, fais attention, et je prendrais soin de toi à ton retour, dit-il simplement.
   Ses doigts glissèrent un instant sur les cheveux de jais de Chifuyu, son geste frôlait presque la caresse, mais Kazutora retira sa main. Il évita le regard de son ami, puis partit sans même prendre la peine de récupérer ses affaires. Il voulait les laisser dans ce bureau, comme ça, il pourrait repasser et avoir de quoi s'occuper...
   Kazutora quitta la tour dans laquelle il se trouvait, un léger sourire aux lèvres. Il avait totalement oublié de faire part à Chifuyu des informations qu'il avait, mais ce n'était pas grave, il en parlerait avec lui quand le moment viendra. Pour l'instant, il ne voulait pas l'embêter avec des informations qui le stresserait plus que nécessaire.
Il avait l'air serein quand il dormait...

Issue - Là où apparaît la couleurOù les histoires vivent. Découvrez maintenant