Le ciel était orageux, un gris variant du perle à l'acier s'étendait derrière les sombres nuages, une pluie violente, drue, frappait les grandes vitres de la chambre avec force, produisant un angoissant bruit de martèlement. Dehors, les rues étaient vides, le peu de passant présents couraient sous la pluie, s'abritant vainement sous un parapluie, ou une capuche pour les plus malchanceux. De grandes flaques bordaient les trottoirs, l'eau coulait abondamment dans les gouttières. Le temps était horrible. Il n'y avait presque plus de couleur.
Kazutora était assis sur l'oreiller de son lit, ses bras étaient croisés sur le rebord intérieur de sa fenêtre, et sa tête posée dessus. Il regardait ce paysage de pluie et d'orage depuis une vingtaine de minutes, laissant ses pensées divaguer. Quelque chose le tourmentait, il ne savait pas quoi, mais il sentait qu'il y avait quelque chose qui n'allait pas.
Son estomac était tendu, sa gorge nouée, parfois son cœur s'emballait d'un coup, accompagné de sueurs froides. Le jeune homme était angoissé, il ne se sentait vraiment pas bien.
Hier, il y avait eu beaucoup de descente de police dans les bâtiments de Koko, d'Inui et des autres cadres du Toman. Peut-être trop pour que ça ne soit pas suspect. Et aujourd'hui, Chifuyu avait une réunion avec les cadres du Toman. Non, Kazutora ne le sentait vraiment pas. Il ne voulait pas laisser son ami seul avec toutes ces personnes dangereuses, pas après toutes ces descentes. Il avait vraiment peur pour lui.
Ça faisait un moment que Kazutora était rongé par la peur de perdre son ami, même s'il n'en laissait rien paraître. Depuis qu'Hinata était morte, il était tourmenté par l'idée que le prochain à perdre la vie serait Chifuyu. D'abord, Mikey ne venait plus voir personne, Draken était condamné à mort, Mitsuya avait disparu depuis des mois, et maintenant, Kisaki avait fait tuer Hinata. Il n'allait sûrement pas s'arrêter là, le prochain sur la liste était forcément Takemichi. Et qui disait Takemichi, disait Chifuyu.
Kazutora avait bien essayé d'en parler à son ami, mais celui-ci lui avait dit de ne pas s'inquiéter et de continuer à enquêter. Kazutora avait presque envie de tout arrêter. Oublier le Toman, arrêter l'enquête, et juste partir très loin, emmener Chifuyu loin de Kisaki, dans un endroit où il serait en sécurité. Ils avaient tout pour être heureux tous les deux, Kazutora pouvait même emmener Takemichi si son ami le voulait. Il pourrait le faire n'est-ce pas, ils pouvaient très bien vivre tous ensemble, loin de tout ça. Alors pourquoi pas ? Mais Chifuyu n'accepterai jamais de partir sans avoir venger Baji...
Kazutora tourna vivement la tête vers une photographie de son meilleur ami, qui était accroché au mur. C'était de sa faute tout ça. Son souvenir persécutait Chifuyu et l'obligeait à se murer dans la vengeance, quitte à mettre sa vie en danger.
— S'il lui arrive quoi que ce soit... ce sera de ta faute Baji.
Kazutora savait que de là où il était, son meilleur ami l'entendait. Baji devait réagir, il devait protéger Chifuyu de la folie meurtrière de Kisaki. Si Chifuyu mourrait...
C'était inenvisageable. Kazutora ne pouvait pas vivre sans lui, il devait veiller sur lui, il refusait de se retrouver seul une fois de plus. Chifuyu était le seul à lui avoir tendu la main, à ne pas l'avoir oublier. Il l'avait ramené chez lui, préparé une chambre, des affaires, il l'avait remis sur pieds et nourrit. Il prenait soin de sa santé tous les jours, il s'était occupé de lui trouver de bons médecins. Il l'avait rendu heureux tout simplement.
Chifuyu était la chose à laquelle Kazutora pouvait désormais se raccrocher, il comblait le sentiment de vide qui l'avait habité pendant si longtemps, sa simple présence le faisait se sentir bien. Son ami était le médicament qui le guérissait d'un passé trop violent, c'était son ange gardien.
Mais aujourd'hui il était en danger plus que tout, et Kazutora ne savait pas quoi faire pour le protéger. Il commençait à sérieusement envisager le kidnapping, pour empêcher Chifuyu de sortir et de se faire tuer, mais ce n'était pas la bonne solution. Il ne pouvait pas séquestrer son ami tout de même. La deuxième option qu'il envisageait... c'était de tuer Kisaki.
Le jeune homme soupira et reporta son attention sur la ville pluvieuse. Il rêvait d'éclater la gueule de se parasite, après tout, il avait déjà tué deux personnes, jamais deux sans trois. Et puis, dix ans de prison qu'est-ce que c'était ? Dix ans de prison pour la vie qui lui était la plus précieuse, qu'est-ce que c'était. Pas grand chose, tant que Chifuyu était en vie.
Kazutora se laissa tomber en arrière, sa tête heurta doucement le matelas de son lit et il ferma étroitement les yeux. Dix ans de prison... il pouvait les supporter, s'il devait les endurer pour avoir tuer Kisaki, il était d'accord. Son acte serait bénéfique pour tout le monde, et au moins Chifuyu ne courrait plus aucun risque. Et puis... peut-être que s'il retournait en prison maintenant, il ne serait pas seul. Il était sûr que quoiqu'il fasse, Chifuyu ne le lâcherait pas. Il lui avait tendu la main deux ans plutôt, et il n'allait plus la lâcher.
— Oh mais... il y a une troisième solution...
Il venait d'y penser. Ça lui était complètement sortit de la tête, parce que Chifuyu lui avait dit non, mais il restait toujours les vidéos sur lesquelles on voyait Takemichi demander à Atsuchi de tuer quelqu'un. Il pouvait toujours les envoyer à Naoto. C'était la seule issue possible. Séquestrer Chifuyu n'était pas le bon choix (oui, Kazutora comptait vraiment ça comme une solution), tuer Kisaki n'était pas possible, car son ami ne voulait pas qu'il retombe dans la violence, alors il ne restait que les vidéos.
Kazutora se releva vivement, il avait prit sa décision. Tant pis si Takemichi allait en prison, il s'en sortirait et ça lui remettrait les idées en place. Le jeune homme se précipita dans la chambre de son ami, il récupéra son ordinateur et s'allongea sur le lit de Chifuyu. Il ouvrit l'ordinateur et le déverrouilla rapidement.
— Tu vas sûrement m'en vouloir Chi... mais c'est pour notre bien que je fais ça, murmura Kazutora en préparant le mail pour Naoto. T'es d'accord avec moi Baji ?
L'image flottante de Baji apparut près de lui mais Kazutora ne leva pas les yeux. Il n'avait pas besoin pour savoir que son meilleur ami souriait.
— On va le sauver t'inquiète pas, déclara le jeune homme en appuyant sur le bouton envoyer. Et voilà...
Kazutora fut interrompu par une sonnerie de téléphone. Ça devait être Chifuyu qui sortait de sa réunion, parfait ! Le jeune homme sauta du lit avec empressement et courut jusque dans sa chambre, où il avait laissé son téléphone. Il se jeta littéralement sur son lit pour attraper son téléphoner et décrocha immédiatement.
— Chifuyu je suis désolé mais j'ai envoyé les vidéo à Naoto, s'écria-t-il aussitôt. Je sais que tu ne voulais pas, par rapport à Takemichi, mais j'avais pas le choix, et ça sera bien mieux comme ça... Chifuyu ?
Il n'eut aucune réponse. Kazutora fronça les sourcils et regarda l'écran de son téléphone. Pourtant il était bien en appel avec son ami, pourquoi est-ce qu'il ne recevait pas de réponse ? Le jeune homme approcha le téléphone de son oreille et parvint à entendre une sorte de reniflement étouffé, comme si quelqu'un pleurait à l'autre bout du fil.
— Allô, dit-il prudemment.
— Kazutora, appela une voix étranglée dans le téléphone.
Kazutora fronça les sourcils en reconnaissant la voix. Ce n'était pas celle de son ami.
— Takemichi ?
— ... Il faut que tu viennes au siège, murmura Takemichi d'une voix à peine audible.
— Pourquoi tu m'appelles ? C'est le numéro de Chifuyu en plus, qu'est-ce qu'il se passe, demanda Kazutora en sentant son cœur s'emballer.
Takemichi l'appelait, c'était étrange. Sa voix était tremblante, étouffée par des sanglots, qu'est-ce qu'il lui arrivait ? Il avait un très mauvais pressentiment.
— Chifuyu va mourir, murmura alors Takemichi.
Kazutora ne répondit pas. Il bloqua sur la phrase que venait de prononcer son interlocuteur. Qu'est-ce qu'il... venait de dire ? Chifuyu allait mourir ? Son Chifuyu ?
— Qu'est-ce que t'as dit, demanda Kazutora d'une voix abasourdie.
— ... Kisaki nous a emmené dans son bureau... il s'est battu avec nous et... et... il a... il a tiré sur Chifuyu... trois fois... Kazutora il... il va... il va...
La phrase de Takemichi se perdit dans ses sanglots. Kazutora sentit son cœur cesser de battre en entendant ses mots. Chifuyu s'était fait tirer trois fois dessus, il allait mourir. Il allait mourir, partir.
— Non, dit-il sans pouvoir dire autre chose.
— On peut rien faire pour lui, pleura Takemichi en reniflant bruyamment. Il... j'ai essayé de soigner ses plaies mais... mais les... les b-balles sont dans son t-torse... il est en train de m-mourir...
— MAIS PUTAIN EMMÈNE-LE À L'HÔPITAL CONNARD, hurla Kazutora d'une voix tremblante.
Il se leva vivement et courut hors de sa chambre. Sa soudaine agitation alerta Peke J, qui devait dormir quelque part, il arriva en courant vers lui et Kazutora manqua de l'écraser. Il n'y prêta pas du tout attention et atteint l'entrée pour mettre à toute vitesse ses chaussures.
— On peut pas le sauver, dit Takemichi en continuant de pleurer. Je suis désolé... je... je ne sais pas pourquoi mais... mais il... il m'a demandé de t-t'appeler... il faut que tu viennes... viens lui dire au revoir...
— Il est près de toi, demanda Kazutora en se précipitant hors de l'appartement pour entrer dans l'ascenseur au bout du couloir de l'étage.
— Oui... j'ai réussi à le récupérer et à m'échapper...
— Vous êtes où, demanda Kazutora en martelant du doigt le bouton « rez-de-chaussée », comme si appuyer dessus en boucle ferait descendre plus vite l'ascenseur.
— Dans la cage d'escalier de secours... dépêche toi...
Kazutora n'arrivait pas à réaliser, c'était comme si l'information bloquait dans son cerveau. Mais il avait bien compris pourtant, il fallait qu'il aille dire au revoir à Chifuyu tout de suite.
— Chifuyu peut parler ? Il est conscient ?!
— Je... je te le passe...
Les portes de l'ascenseur s'ouvrirent enfin et Kazutora se rua vers la sortie de l'immeuble. Il sortit dehors, sous le déluge qui s'abattait sur la ville et se mit à courir plus vite qu'il n'avait jamais courut dehors. Il se retrouva trempé jusqu'au os en moins de deux minutes, et son souffle vint rapidement à lui manquer. Mais il continua de courir comme si c'était sa vie qui en dépendait, en maintenant le téléphone près de son visage.
— Kazutora, murmura la faible voix de Chifuyu.
— Chifuyu qu'est-ce qu'il s'est passé ???
— Je me suis... pris trois balles... je... je... je veux pas mourir... Kazutora, dit Chifuyu d'une voix tremblotante.
— Tiens bon Chifuyu d'accord ?! Je cours aussi vite que je peux, reste en vie jusqu'à ce que j'arrive !
— J'ai pas vengé Baji, dit Chifuyu en étouffant un sanglot. J'ai pas réussi, je suis désolé... je suis qu'un raté, j'ai servi... à rien du tout...
— Dis pas ça, lança Kazutora, à bout de souffle. T'as fait de ton mieux !
— Je n'ai rien changé, continua Chifuyu en pleurant violemment. Je vais mourir... sans avoir vengé Baji...
— C'est pas grave Chifuyu, je le ferais pour toi, cria Kazutora. T'as fait de ton mieux, ne regrette rien, t'as été incroyable ! Je vais m'occuper du Toman, de Koko, d'Inui et de Kisaki !
— Les tue pas s'il te plaît, murmura Chifuyu. Ne va pas en prison... je ne serais plus là pour te récupérer à la sortie...
Le jeune homme traversa une grande route sans même prendre la peine de regarder si la voie était libre, il passa à toute vitesse devant une voiture qui manqua de l'écraser, et atteint enfin le quartier où se trouvait le siège.
— J'ai mal Kazu..., chuchota Chifuyu.
— Tiens bon j'a... j'a... je...
Kazutora entra dans le siège par la porte de derrière et essaya de reprendre son souffle.
— J'arrive...
Sa gorge le brûlait horriblement, son cœur battait à tout rompre dans sa poitrine et ses jambes tremblaient tant qu'elles pourraient céder à tout instant. Kazutora grimpa les marches quatre à quatre pour arriver le plus vite possible au près de son ami, il ne savait même pas à quel étage il se trouvait. Il n'arrivait pas du tout à ressentir quoi que ce soit. Dès qu'il avait entendu Takemichi lui dire que Chifuyu allait mourrir, toutes ses émotions s'étaient automatiquement envolées. Il ne sentait que du vide en lui. Il avait bien compris que son ami était en train de mourir, que c'était la dernière fois qu'il allait le voir, mais c'était comme s'il ne parvenait pas à être triste.
Chifuyu allait mourir, mais il ne ressentait rien. Kazutora ne sentait pas une seule larme dans ses yeux, sa gorge n'était pas nouée comme tout à l'heure, ou alors seulement par l'effort de sa course.
Pourtant, lorsqu'il arriva au quatrième étage, qu'il vit le corps de son ami allongé devant les marches, devant les portes noires qui permettaient d'accéder au couloir, gisant dans une marre de sang, c'était comme si ses émotions étaient revenues d'un coup. Son cœur se remit en marche et frappa violemment sa poitrine, lui donnant l'impression de se prendre un coup violent. Il gravit les dernières marches de l'étage, sans plus aucun souffle, et se laissa tomber sur le sol de béton, près de Takemichi qui tenait la main de Chifuyu. Kazutora posa ses poings au sol pour s'appuyer dessus et chercha sa respiration en ouvrant grand la bouche, et en sentant ses émotions prendre lentement possession de son cœur.
— Je suis désolé... Kazutora..., murmura Chifuyu d'une voix si basse que le jeune homme l'entendît difficilement.
Kazutora continua d'haleter, la tête penchée au-dessus du torse ensanglanté de son ami. Ses yeux étaient rivés sur les trois trous qu'on pouvait voir dans sa chemise, là où les balles avaient pénétrés la peau. Le sang coulait vite, sa chemise avait changé de couleur. Kazutora n'arrivait pas à détourner le regard de ce spectacle.
— Tu... tu vas de nouveau... te retrouver seul...
En entendant ça Kazutora s'effondra en pleurs avant même de pouvoir se retenir. Les larmes qu'il n'avait pas sentit envahir ses yeux dévalèrent ses joues, traçant des sillons brillants à la lumière vacillante de la cage d'escalier, et vinrent se mêler au sang qui couvrait le torse de Chifuyu. Les bras de Kazutora cédèrent avec impuissance, le jeune homme se laissa tomber sur le corps de son ami et le serra contre lui avec désespoir.
— Je ne veux pas te perdre, réussit-il à crier à travers ses larmes.
— J'ai tout fait foirer, murmura Chifuyu alors que du sang coulait de sa bouche.
— Pourquoi t'as pas fait plus attention, se lamenta Kazutora. Chifuyu... tu fais chier putain... on... on aurait pu tout avoir...
— Je sais... Je suis désolé...
— Me laisse pas je t'en supplie, gémit Kazutora en s'agrippant avec détresse à la chemise trouée de son ami. Ne rejoins pas Baji tout de suite, il n'a pas besoin de toi... moi j'ai... j'ai besoin de toi... et Peke J aussi... t'es notre... notre f-famille !...
— J'aurais voulu... rester avec toi... encore un peu, dit faiblement Chifuyu. Je suis désolé...
Kazutora se releva difficilement, osant enfin affronter le regard éteint de son ami. Ses yeux bleus perdaient leur bel éclat d'azur lumineux, ils se ternissaient petit à petit, son visage pâlissait, Chifuyu mourrait lentement.
— Non, sois pas désolé, dit Kazutora en reniflant. T'as fait ce que t'as pu, je suis fier de toi...
— Si... je suis désolé... de t'abandonner...
Kazutora renifla une nouvelle fois. Il devait arrêter de pleurer, il fallait qu'il se calme, pour la dernière fois qu'il voyait Chifuyu, il devait garder la tête haute. Il lança un regard à Takemichi, lui demandant silencieusement de s'éloigner un peu, et souleva le torse de Chifuyu, qu'il cala dans ses bras. Il essuya avec douceur ses joues baignées de larmes, et se força à lui-même arrêter de pleurer.
— J'ai peur, murmura Chifuyu, à bout de force. Tu crois que... ça fait mal... de mourir ?
— Non, c'est comme si tu t'endormais, dit Kazutora d'une voix étranglée. Tout va bien se passer maintenant. Tu as fait du bon travail, tu as le droit de te reposer en paix maintenant.
Chifuyu cligna lentement des yeux. Il leva son regard sur le plafond un instant, puis dit faiblement :
— Tu penses que Baji est fier de moi... ?
Kazutora renifla et hocha la tête.
— Tu as été incroyable, il serait très fier de toi, j'en suis sûr, dit-il en étouffant un sanglot.
— D'accord... alors... je peux être tranquille...
Kazutora déglutit avec difficulté. Chifuyu reporta son attention sur lui et le regarda longuement.
— Raconte-moi quelque chose, demanda-t-il à mi-voix.
— Q-quoi, demanda Kazutora d'un ton désespéré.
— C'est la dernière fois qu'on se parle... je... veux entendre ta voix... jusqu'à ce que... jusqu'à ce que je meurs...
De nouvelles larmes coulèrent sur ses joues, et Kazutora sentit que lui aussi était sur le point de s'effondrer de nouveau. Il serra les lèvres pour se contenir et enfoui sa main dans les cheveux noirs de son ami, pour commencer à le bercer doucement.
— Tu te souviens... de la première fois que je t'ai raconté une histoire, demanda Kazutora à voix basse. C'était l'année dernière... tu étais déprimé et... je t'ai raconté une histoire d'ange.
— Je m'en souviens...
— ... Quand t'es arrivé, je peignais dans le salon le tableau qui se trouve dans la salle de bain, une mer déchaînée. C'était ton regard que je faisais, oui... je peignais ce que j'avais vu une fois dans ton regard... J'en avais partout sur les mains, et j'en ai mis partout sur le parquet. Tu sais... j'ai toujours peint à même le sol. La première fois que tu m'as vu faire, ça ta fait rire. Ça t'as toujours amusé de me voir étalé sur le sol, en utilisant mes doigts comme pinceaux, alors que j'avais tout le matériel nécessaire à côté.
— On dirait un clochard quand tu fais ça, dit Chifuyu en riant difficilement à travers ses larmes.
Kazutora sourit légèrement.
— Tu riais à chaque fois que tu me voyais faire ça, et tu venais m'embêter aussi. Tu me tirais doucement les cheveux en passant derrière moi, comme pour me rappeler ta présence... Et à chaque fois que je t'entendais rentrer avant que j'ai rangé tout mon matériel, j'avais toujours peur que tu t'énerves en voyant la peinture sur le sol. Mais tu ne t'es jamais énervé. Est-ce que tu l'as remarqué seulement ? Tu les as vu ? Les traces de peintures colorés qui tachent le parquet, et que je n'ai pas réussi à faire partir ?
— Oui, je... je les ai vu...
Kazutora leva les yeux, comme pour regarder l'étendue de souvenir qui apparaissait dans son esprit. Il y en avait tellement...
— Au début je trouvais ça étrange de vivre avec toi, se rappela le jeune homme avec nostalgie. T'avais tout préparé pour moi, mais c'était pas ça le plus bizarre. Je crois que le plus dur, c'était de se faire accepter par Peke J. Il me suivait partout, comme pour me surveiller. Dès que je passais devant ta chambre il me grognait dessus et venait me griffer, il me détestait. Je m'en souviens, un jour on s'était tous les deux endormis sur le canapé, devant un film qui passait à la télévision. J'avais posé la tête sur ton ventre pour dormir... et la première chose que j'ai vu en me réveillant, c'étaient les yeux de Peke J qui me fixaient avec insistance. Il m'en a voulut toute la journée...
— Ce chat est fou, murmura Chifuyu en rassemblant ses forces pour sourire.
— Sûrement... mais tu es comme lui. J'ai eu du mal à m'habituer à toi, avoua Kazutora en baissant les yeux pour regarder le visage de son ami. T'es un cas Chi'... tu laissais traîner tes affaires partout dans la maison, j'étais le seul à ranger. Avec toi, on mangeais des ramens instantanés tous les soirs, jusqu'à ce que je décide que ce serait moi qui cuisinerait. Et aussi, tu travaillais toujours devant la télévision, jusqu'à tomber de fatigue devant et à t'écrouler dans le canapé. Je finissais toujours par te ramener dans ton lit, j'avais l'impression de devoir m'occuper d'un enfant... mais le pire, c'était quand je te voyais te balader en caleçon dans la maison, se souvint Kazutora en riant légèrement. Au début ça me gênait tellement, mais toi t'en avais rien à faire... tu te baladais en t-shirt-caleçon comme si de rien n'était, limite tu t'habillais et te déshabillais n'importe où dans l'appart...
— Quand je faisais ça tu devenais tout rouge... et tu baissais le cadre de Baji pour ne pas qu'il me voit, dit Chifuyu avec un sourire ensanglanté.
— Je ne rougis plus aujourd'hui, mais je baisse toujours le cadre de Baji, avoua Kazutora. T'es vraiment grave comme mec...
— Je sais...
Chifuyu était de plus en plus pâle, le sang coulait à flot de sa bouche et de son torse, mais il continuait de regarder Kazutora avec des yeux brillants, comme à chaque fois que le jeune homme le berçait, lorsqu'il se sentait mal.
— Mais... tu es surtout une personne incroyable, dit Kazutora en levant de nouveau les yeux vers ses souvenirs.
De nouvelles larmes venaient troubler sa vue, mais il ne les laissa pas tomber sur sa peau rougie par la tristesse.
— Chifuyu... tu m'aurais retrouvé, dans une autre vie ?
— Je serais toujours venu vers toi...
Kazutora sentit ses lèvres trembler en entendant ça.
— Si tu savais à quel point avant j'allais mal. Perdu dans un torrent d'idées noires, je nageais dans la solitude à la recherche de quelque chose à quoi m'accrocher, et ta main est apparue. Elle s'est tendue vers moi, tu étais d'une lumière éclatante, tu m'as éblouis. En prenant ta main j'ai retrouvé un monde de couleur, ton issue, là où apparaissait la couleur, était la plus belle qui puisse exister. Tu m'as aidé comme jamais personne ne m'a aidé, avec des moyens concrets et doux, tu as été la seule personne à se souvenir de moi et à venir vers moi. C'est grâce à ta pensée que je me suis sentit exister. Alors... merci... merci pour tout.
La gorge de Kazutora se noua, de douleur cette fois, mais il se força à continuer.
— Kazutora...
— Tu es la plus belle personne que je connaisse Chifuyu. Tu m'as aidé à voir la couleur de la vie, tu m'as aidé à comprendre qui j'étais, à accepter mes erreurs et mes actes, à avancer. Tu m'as appris à m'aimer, à me satisfaire de ma simple compagnie, à me trouver beau... tu m'as appris à découvrir le bonheur. Tu t'es dévoué à moi pour mon propre bien, en te mettant de côté. Sur le tableau de notre cuisine, celui où tu marque ta liste de chose à faire , il y avait mon nom partout, « aller chercher Kazutora », « faire des courses pour Kazutora », « Trouver une psy pour Kazutora », « Emmener Kazu chez la psy », « trouver un travail pour Kazu »... Jamais personne ne s'était autant donné de mal pour moi...
Kazutora serra un peu plus le torse de son ami dans ses bras, et continua de caresser ses cheveux.
— Tu ne m'as pas reconstruit, mais tu m'as tenu la main pendant que je le faisais, tu m'as poussé vers le haut, et j'aurais voulu t'aider autant que tu as pu m'aider. Chi'... je te jure que toi et moi, dans une autre vie, on travaillera ensemble dans une animalerie, il y aura des petits chats partout autour de nous, on se racontera les secrets des clients, comme tu en rêves, et tout ira bien, dit Kazutora sans parvenir à baisser les yeux vers son ami.
— Kazutora...
— Chifuyu... merci pour tout ce que tu as fait pour moi. Tu es mon...
Le jeune homme ne réussit pas à terminer sa phrase. Le corps de Chifuyu était devenu froid. Il ferma lentement les yeux, faisant couler des larmes silencieuses sur ses joues, et resta longuement comme ça. Kazutora avait mal, il avait vraiment mal, quelque part en lui. Pas au cœur, c'était quelque chose de bien plus fort. Il avait mal partout, mais en même temps il ne sentait plus rien. Une partie de lui, celle qu'avait protégé Chifuyu, s'était définitivement effondrée. Ses épaules se secouaient en silence, ses yeux étaient étroitement fermés, et ses mains serraient toujours son ami. Il l'approcha contre lui pour une dernière étreinte, refusant s'ouvrir les yeux pour voir un monde sans lui. Un monde où la solitude s'emparerait de lui, un monde qu'il ne connaissait que trop bien. Il ne voulait pas de cette issue là. Il ne pouvait la supporter. Il ne voulait pas de cette issue là, il ne pouvait plus vivre dans un monde tel quel. Il voulait Chifuyu, il ne voulait que lui et la vie qu'il lui avait offerte.
Mais Kazutora ne pouvait pas échapper à la réalité, cette issue était désormais la sienne.Une issue où la couleur avait disparue.
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Issue - Là où apparaît la couleur
FanficCe n'est pas une histoire d'amour. C'est juste l'histoire d'un mec complètement perdu... Qui a saisi la main d'un ange. - Il faut être à jour jusqu'à scan 70-71. L'histoire est différente de celle de l'anime, les événements ne sont pas exactement l...