Toucher

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Chifuyu referma lentement son ordinateur, alors qu'un silence pesant s'installait dans la pièce. Kazutora ne dit rien, la tension qui régnait était palpable, il pouvait la sentir vibrer autour de lui, c'était perturbant et dérangeant.
— On a pas le choix Chifuyu, dit Kazutora d'une voix posée.
   Son ami ne répondit pas, ses yeux d'azurs étaient rivés devant lui, fixés sur un point invisible. Kazutora pouvait très bien entendre ses pensées se bousculer les unes avec les autres dans son esprit, et il le comprenait.
   Chifuyu venait de rentrer du travail, et il avait insisté pour montrer à Kazutora quelque chose d'important, une vidéo plus précisément. Il avait placé une caméra dans le bureau de Takemichi, et avait ainsi recueilli une preuve qu'il était manipulé par Kisaki. Il avait demandé à l'un de ses subordonnés de se débarrasser de quelqu'un, sur les ordres de Kisaki. C'était une preuve irréfutable, il fallait l'envoyer à la police. Le problème était que cela impliquait Takemichi... C'était le meilleur ami de Chifuyu, jamais il n'allait vouloir l'envoyer en prison.
   — Écoute, je comprends que tu veuilles protéger Takemichi, mais on ne peut pas fermer les yeux sur cette preuve. C'est ce qu'on attend depuis super longtemps, expliqua calmement le jeune homme. C'est tout ce dont on a besoin pour faire tomber Kisaki.
   Chifuyu ne dit rien, mais ses mains se crispèrent sur son ordinateur.
   — Si Takemichi va en prison, les juges prendront en compte le fait qu'il était manipulé, et comme il n'a tué personne, il ne prendra pas dix ans comme moi, assura Kazutora.
   — C'est mon meilleur ami, dit fermement Chifuyu.
   — Je sais, si on envoie cette vidéo à la police, Takemichi sera arrêté, certes, mais Kisaki le sera aussi et le Toman sera libéré !
   — Mais non. Il reste toujours Hakkai, Koko, Inui, Pachin, Peyan, Mikey, et tout le reste.
   — Et alors, ce sera un début. Si Kisaki tombe, ça va faire de grands changements, répliqua Kazutora. Envoie ça à Naoto.
   — Je ne peux pas. Je ne peux pas ruiner la vie de Takemichi.
Kazutora retint un soupir. Ça l'énervait que Chifuyu change d'avis au dernier moment à cause de Takemichi, mais il ne pouvait que le comprendre. Il aurait fait la même chose à sa place.
   — Bon et qui est-ce qui doit être tuer ?
   — J'en sais rien.
   — T'as pas peur ?
   — De quoi ?
   — Ça peut être toi, dit Kazutora avec un regard insistant. Avec toutes les descentes de police qu'il y a en ce moment, le Toman va commencer à se douter qu'il y a un traître et comme Kisaki ne t'aime pas...
   — Si je meurs... on aura la preuve que Kisaki est quelqu'un de mal, parce que toi tu seras au courant de tout, dit lentement Chifuyu.
   — Tu ne peux pas mourir, dit finalement Kazutora.
   — Pourquoi ?
   — Parce que si tu meurs, je viendrais te déterrer de ta tombe pour te ramener par la peau du cul ici, et t'obliger à rester avec moi, déclara sèchement Kazutora. Je t'interdis de mourir c'est clair ?
   — Je... suppose que c'est parce que tu tiens à moi, mais là ça ressemble plus qu'à une menace qu'autre chose, dit Chifuyu avec un sourire en coin. Mais j'essaierai de pas mourir, ça ne se fait pas de t'abandonner pour rejoindre Baji.
   Chifuyu se pencha vers la table basse du salon pour y déposer son ordinateur, et Kazutora en profita pour jeter un coup d'œil victorieux à Baji. Chifuyu avait dit qu'il resterait avec lui, et qu'il n'allait pas partir avec Baji. C'était comme une victoire pour le jeune homme.
   — Par rapport à la vidéo, laisse-moi y réfléchir un peu avant de choisir quoi en faire. Et si les choses tournent vraiment mal, on l'enverra à Naoto, déclara Chifuyu.
   — Ok, ça me va. Je me demandais... à partir de quand tu as décidé de ne plus demander d'aide à Takemichi ?
   — Je ne sais pas vraiment... Quand j'ai vu qu'il se laissait embarquer dans les histoires de Kisaki et que je n'arrivais pas à le faire entendre raison. À ce moment là, je me suis dit que je resterais à ses côtés, mais qu'il valait mieux que je continue seul. Je trouve que Takemichi a changé, il n'est pas comme quand on était plus jeune, c'est étrange...
— Hmm... et t'es venu vers moi parce que tu n'avais personne d'autre ?
— J'avais Naoto... mais je me suis dit que par rapport à Baji, t'étais le meilleur choix. Tu sais, je crois que dans tous les cas on se serait croisé. Même si le Toman allait bien, que Mikey était toujours le même qu'avant, je pense que je serais quant même venu te chercher à la prison, dit Chifuyu d'un air pensif.
— Pourquoi ?
Un sourire apparut sur le visage de Chifuyu.
— Allonge-toi dans le canapé.
Kazutora fronça les sourcils mais il s'exécuta. Il s'allongea sur les coussins, en pliant ses jambes, et vit Chifuyu l'imiter. Son ami s'allongea derrière lui, de sorte que seule leur tête soit en contact. Kazutora tourna la tête vers lui sans comprendre, et attendit sagement qu'il parle.
— On va faire un jeu, ok Kazu ?
— Euh si tu veux...
— T'as pas le droit de me regarder, dit Chifuyu en lui tournant la tête. Et je ne te regarde pas non plus. On doit dire chacun notre tour quelque chose qui nous concerne, et l'autre n'a pas le droit de répondre ou de poser des questions.
— Donc on parle... comme si on était seul ?
— Ouais c'est un peu ça.
   Kazutora ne voyait pas trop pourquoi Chifuyu lui demandait de faire ça, surtout qu'il n'avait pas répondu à sa question, mais il décida d'accepter de jouer.
   — Je commence. Avant de faire partis du Toman, j'étais une grosse racaille qui ne respectait rien ni personne, dit Chifuyu d'une voix calme.
   — Euh... c'est à moi là ?
   — Oui.
   — Bah... ok alors... je n'aime pas particulièrement les gangs, ni en faire partis.
   — J'avais une crête blonde, c'était un peu ridicule en fait.
   — Mais j'aime les valeurs associés à l'ancien Toman.
   — J'ai déjà voulu quitter le Toman plusieurs fois, mais Baji m'a convaincu de rester.
   — En prison j'ai fait des petits travaux pour gagner de l'argent.
   — J'ai l'impression que Takemichi a deux personnalités différentes.
   — Je décolle super bien les ongles des autres.
   Chifuyu ne répondit pas tout de suite, et Kazutora put entendre un petit rire. Il sourit avec amusement et retint son regard sur le plafond, pour ne pas regarder son ami.
   — J'adore les animaux, dans une autre vie j'aimerais travailler dans une animalerie avec toi, reprit Chifuyu d'un ton amusé.
   — Quand je me suis fait des mèches jaunes, tout le monde disait que je ressemblait à une banane.
   — Un jour, j'ai passé toute la nuit à parler avec Baji dans les escaliers de notre immeuble.
   — J'admirais Mikey parce qu'il a tout fait pour me rendre heureux.
   — Je lis énormément de shojo, mais je n'ai jamais eu de relation.
   — Je déteste les shojos et tous les trucs romantiques, parce que ça te mens sur la vie.
   — Avec le temps j'ai fini par te comprendre, et je ne voulais pas te voir retomber dans de mauvaises histoires à ta sortie de prison, alors je suis venu te chercher pour te protéger, avoua enfin Chifuyu.
   Kazutora ne comprit pas tout de suite que son ami venait de répondre à la question qu'il avait posé. Leur jeu allait de plus en plus vite, ils se lançaient des informations sans reprendre leur souffle, Kazutora ne réfléchissait même plus à ce qu'il disait.
   — J'adore vivre ici, dit-il sans s'en rendre compte.
   — J'ai plusieurs fois pensé à toi ces dernières années, lança Chifuyu à toute vitesse.
   — Tu es la meilleure chose qui me soit arrivé depuis la mort de Shinichiro, répliqua Kazutora en glissant sa main droite dans les cheveux de son ami.
   — Je crois que sans toi je ne tiendrais pas.
   — J'aime beaucoup Peke J tout compte fait.
Sa main tomba jusqu'à son cou, et il passa lentement, effleurant de la pulpe des doigts la peau de Chifuyu, sur sa gorge, et l'entoura de sa main.
   — En sortant de prison t'étais maigre et ton regard était vide.
   — Je ne me vois pas vivre ailleurs qu'ici.
   — Mais aujourd'hui tu es vraiment magnifique.
   — J'ai envie de retourner aux bains avec toi.
   La main de Kazutora remonta sur la joues de Chifuyu et la caressa légèrement.
— J'aime bien quand tu viens me voir au bureau.
— Hier soir quand t'es partis au restaurant avec les autres cadres du Toman, j'avais envie de te voir.
   Les doigts du jeune homme descendirent sur la bouche de son ami et passèrent lentement sur ses lèvres.
— J'aime bien quand tu me touches, dit Chifuyu.
— Je crois que j'ai trouvé une nouvelle activité, dit Kazutora.
Il sentait sa tête tourner, son esprit s'embrumait, il ne réfléchissait plus du tout à ce qu'il faisait. Ses doigts se glissèrent dans la bouche de Chifuyu sans qu'il ne s'en rende compte, provoquant d'intenses battements de cœur dans sa poitrine, et la langue de Chifuyu vint glisser contre sa peau.
   — Oh mon dieu, murmura Kazutora en souriant.
   Est-ce que Chifuyu sentait aussi cette tension qui écrasait l'atmosphère ?
   — Tu me cherche là, dit-il en embrassant le bout de ses doigts.
Le visage de Chifuyu apparut soudainement au-dessus de lui, ses joues étaient roses et un étrange sourire étirait sa bouche. Il avait changé de position, il se trouvait à présent sur le ventre, pour pouvoir se pencher sur Kazutora.
   — T'en as pas envie toi aussi, demanda-t-il en approchant ses lèvres de celles du jeune homme.
   — Oh j'adore cette vision, lança Kazutora en fixant le cou de son ami.
   — Quel goût tu peux bien avoir, dit Chifuyu en caressant ses lèvres de ses doigts.
   — Tu joues avec mes nerfs, j'ai l'impression que tu me provoque à chaque sourire.
   Kazutora se releva vivement en évitant la tête de Chifuyu, et se tourna en se mettant à genoux. Il saisit le visage de Chifuyu d'une main, et le tira sèchement vers lui, l'approchant à quelques centimètres.
   — Tu comptes me faire attendre encore longtemps, demanda-t-il d'un air à la fois impatient et excité.
   — Baji deviendrait fou s'il te voyait faire ça, répondit Chifuyu en souriant.
   Sa bouche était si proche que son souffle chaud venait s'échouer sur les lèvres de Kazutora.
   — J'en ai rien à faire, répliqua Kazutora avec un sourire.
   Il allait rompre les derniers centimètres qui séparaient sa bouche de celle de Chifuyu, lorsque un téléphone se mit à sonner, brisant totalement l'atmosphère brûlante que c'était installé.
   — Argh putain mais qui m'appelle, cria Chifuyu avec colère.
   Kazutora le lâcha et s'écarta avec gêne, en sentant ses joues, déjà rosie par l'excitation, virer au rouge. Chifuyu sortit son téléphone de sa poche et refusa l'appel avec agacement. Il jeta son téléphone sur le fauteuil près de lui, alors qu'un étrange silence envahissait l'appartement. Kazutora croisa le regard gêné de son ami, et s'empressa de dire :
— J'allais pas t'embrasser !
— Ouais moi non plus j'allais pas t'embrasser, dit Chifuyu en hochant la tête.
Le déni...
Kazutora était vraiment très mal à l'aise, et visiblement Chifuyu aussi. Il n'aurait jamais cru se retrouver dans cette situation avec son ami... il sentait encore son souffle sur sa peau, sa langue sous ses doigts, son regard qui brillait... non, mieux valait oublier tout ça immédiatement. C'était peut-être mieux que rien ne se soit passé entre les deux jeunes hommes, Kazutora savait très bien que Chifuyu était toujours accroché à Baji d'une certaine manière. Tant qu'il ne l'avait pas venger, il ne pouvait pas tourner la page, alors mieux valait ne pas compliquer les choses en l'embrassant. Et puis... ils étaient... juste... amis.
   — Chifuyu, appela alors Kazutora d'une voix douce. Merci.
   — Pourquoi tu me dis merci ? Parce que mon téléphone a sonné ?
   — Non.
   Kazutora se rapprocha de son ami et le prit dans ses bras. Il le serra tendrement près de son cœur, en fermant les yeux, et posa le sommet de son crâne.
   — Merci pour tout ce que tu fais, dit simplement le jeune homme. Merci d'être là.
   Chifuyu ne répondit pas, il devait être surpris du geste soudain de Kazutora. Mais il finit par l'entourer de ses bras à son tour et lui rendit son étreinte.
   — T'es l'un des meilleurs amis que j'ai eu, dit Kazutora au bout d'un moment.
   — Toi aussi, je t'aime vraiment beaucoup tu sais ? T'es pas un ami comme les autres, vivre avec toi ça me donne l'impression qu'on forme une famille avec Peke J.
   — Une famille...
   Kazutora passa sa main dans les cheveux de son ami, il garda son menton posé sur sa tête et leva les yeux sur un tableau qu'il avait peint récemment. Il croisa les yeux peints d'émeraudes de Peke J, ancrés dans la toile blanche du tableau. Il aimait bien cette peinture du petit chat, elle était belle et plutôt réaliste.
   — J'ai jamais eu de vrai famille, dit Kazutora.
   Son père qui battait sa mère, sa mère qui lui demandait de choisir entre elle et son père... Des parents qui n'ont jamais vraiment pris soin de lui au final, qui n'ont jamais étés là quand il fallait, qu'il n'avait pas vu depuis des années... Pouvait-on les considérer comme la famille de Kazutora ? Pas vraiment...
   Aujourd'hui, Kazutora les voyait plus comme ses géniteurs, ils n'étaient pas sa vraie famille. Pas comme les fondateurs du Toman. Pas comme...
   — Toi et Peke J, vous êtes ma famille, dit Kazutora en souriant.
   Chifuyu leva la tête vers lui et lui fit un sourire. Kazutora lui rendit son sourire. La sonnerie de l'appartement se fit soudain entendre, faisant sursauter les deux jeunes hommes.
   — T'as commandé quelque chose ?
   — Non, répondit Kazutora en lâchant son ami.
   Chifuyu fronça les sourcils. Il se leva rapidement et s'approcha de la porte d'entrée. Il regarda par le judas qui était son invité, et se tourna vivement vers Kazutora.
   — Oh merde, c'est Takemichi, s'exclama-t-il à voix basse. Il est en train de pleurer !
   — Je vais me cacher.
   Kazutora se leva vivement et quitta immédiatement le salon et la salle à manger. Peke J débarqua de nul part en voyant sa soudaine agitation et se mit à le suivre, un réflexe qu'il avait adopté depuis quelque temps. Kazutora ferma la porte de la salle derrière lui et s'adossa contre en silence, il tendit l'oreille et écouta Takemichi entrer.
   D'ici il ne comprenait pas tout, mais ses sanglots lui parvenaient, il semblait parler à toute allure. Kazutora pouvait entendre ses pas dans le salon, et Chifuyu qui essayait de le calmer. Une phrase parvint à Kazutora, et en l'entendant il sentit son sang se glacer dans ses veines. Il rejeta sa tête contre la porte sans faire de bruit, et leva ses yeux au plafond.
   Hinata était morte.

Issue - Là où apparaît la couleurOù les histoires vivent. Découvrez maintenant