Changement

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   Kazutora égoutta les nouilles en faisant bien attention de ne pas renverser de l'eau partout, puis fit glisser sa préparation dans deux grands bol. Il posa de petits couvercles sur les bols, afin de garder la chaleur du plat, et partit ouvrir le grand frigo. Il attrapa deux œufs, ainsi qu'un ramequin dans lequel se trouvait un carré de beurre, et s'approcha des plaques chauffantes. Il posa une poêle sur un grand cercle, et alluma la plaque.
Le jeune homme coupa une fine tranche de beurre salé, puis la fit fondre dans la poêle, avant de casser les deux œufs et de les faire délicatement tomber dans la poêle.
Kazutora releva les yeux sur la pendule accrochée au mur à sa droite. Il était dix-neuf heures cinquante, dans dix minutes Chifuyu allait arriver.
Pendant que les œufs cuisaient, Kazutora récupéra les petits légumes qu'il avait préalablement chauffés, et les disposa dans les bols de nouille, avant de déposer les œufs cuits dessus. Il prit ensuite les deux bols, ainsi que deux pairs de baguettes, et apporta le tout dans le salon.
Le jeune homme s'installa dans le canapé en cuire, qu'il avait couvert un plaid coloré et couvert de coussin, et ramena ses jambes en tailleurs.
Vingt heures moins cinq, Chifuyu n'allait plus tarder. Kazutora attrapa le livre qu'il avait laissé sur la table basse, et l'ouvrît à la page qu'il avait marqué. Il commença alors à lire, attendant sagement le retour de son ami. Chifuyu rentrait toujours à vingt-heure précises, sans jamais une minute de retard.
Des clés s'insérèrent dans la serrure de la porte d'entrée, celle-ci s'ouvrît alors et son ami apparut.
   — 'Suis là, dit-il avec fatigue.
   Kazutora ne leva pas les yeux de son livre. Il sentit Chifuyu passer derrière lui et lui tirer doucement sa queue de cheval pour l'embêter.
   — Héééééée, fit Kazutora sans bouger pour autant.
   — Je vais me doucher, prévint Chifuyu.
   Kazutora entendit ses pas s'éloigner vers la salle de bain, et patienta quelques minutes de plus pour manger. Il avait pour habitude de toujours attendre son ami pour manger. Chifuyu fut plus long que d'habitude, ce qui fit froncer les sourcils de Kazutora. Il ne s'éternisait pas souvent sous la douche, pour ne pas trop faire attendre Kazutora. Mais là il resta bien cinq minutes de plus.
   Lorsqu'il revint, Kazutora constata immédiatement qu'il portait un pull de Baji.
   — Ta journée s'est mal passée, comprit Kazutora.
   Chifuyu ne répondit pas, il se laissa simplement tomber à l'autre bout du canapé en haussant les épaules.
   — T'as fait quoi aujourd'hui, demanda Chifuyu pour changer de sujet.
   — Ce matin j'avais rendez-vous avec ma psy.
   — Comment c'était ?
   — C'était cool.
   Chifuyu sourit et saisit son bol de nouille, ainsi que ses baguettes.
   — Elle m'a dit que je pouvais peut-être travailler, dit Kazutora. Qu'est-ce que t'en penses ?
   — Toi qu'est-ce que tu en penses, répliqua Chifuyu avec un regard perçant.
   — J'aimerais bien travailler, ça me ferait un peu sortir. Et puis comme ça tu n'aurais pas à tout payer pour moi.
   — L'argent c'est pas un problème tu sais.
   — Oui mais je repose énormément sur toi, j'aimerais bien faire quelque chose pour toi aussi. Mais si tu penses qu'il est trop tôt pour que je travaille, je ne le ferai pas.
— Hm. Ça dépend, tu voudrais travailler où ? Parce que si c'est dans un bar ou une supérette, je pense qu'il vaut mieux éviter. Tu pourrais faire de mauvaise rencontre et je ne veux pas que tu aies de problème.
— Je voudrais être dans une animalerie.
Chifuyu le regarda avec étonnement.
— Tu détestes les animaux, dit-il avec surprise.
— Non pas du tout, c'est juste Peke J qui a décidé de me faire la guerre.
— Ah... Je n'y vois pas vraiment de problème, dit Chifuyu. Si tu le veux vraiment, je ne vais pas t'en empêcher. Je te chercherais une ani-
   — Non. Je m'en occuperais moi-même, coupa Kazutora. Perds pas ton temps temps avec ça.
Chifuyu le regarda avec étonnement. Kazutora sourit. Même s'il avait déjà l'accord de sa psychologue, il voulait aussi celui de son ami. Depuis qu'il était sortit de prison, son nouvel ami prenait grand soin de sa santé mentale et faisait tout pour l'aider à avancer. Il le ménageait énormément et l'empêchait de faire n'importe quoi. Kazutora se sentait vraiment bien grâce à Chifuyu, alors il quand il voulait faire un pas vers une vie plus normale, il lui demandait son avis.
— Et de ton côté, lança Kazutora. Des infos sur Kisaki ?
Chifuyu rejeta sa tête en arrière et contempla le plafond.
— Non évidemment, soupira-t-il. Chaque fois que j'avance, c'est comme si je faisais ensuite dix pas en arrière.
Lorsque qu'il avait relevé la tête, le tissu de son pull avait bougé sur ses clavicules, et Kazutora avait alors aperçu une tache bleue. Le jeune homme posa vivement son bol, qu'il avait pris pour manger, sur la table et se rapprocha rapidement de son ami. Il glissa dans un sifflement sur le cuire du canapé et arriva auprès de son ami si vite qu'il n'eut pas le temps de réagir. Il attrapa le bas de son pull et le souleva avant que Chifuyu n'ait le temps de l'en empêcher.
— Qui t'as fait ça, s'écria Kazutora avec colère.
De longs bleus s'étendaient sur les côtes et le ventre de son ami, ils étaient foncés, jaunis par endroit et presque noir au milieu. Ils dataient d'aujourd'hui, hier tout au plus.
— Arrête, dit Chifuyu en baissant son pull. C'est rien...
— C'est pas rien, qui t'as frappé, demanda Kazutora en maintenant son pull levé. C'est Hanma ?
   Chifuyu détourna le regard.
   — C'est Koko. Il était énervé quand on s'est croisé, on s'est embrouillé et voilà. C'est bon fais pas cette tête, c'est rien.
   — Il me tape sur les nerfs celui-là, il s'en prend toujours à toi, dit Kazutora avec colère.
   — Il s'en prend à tout le monde.
   — Surtout à toi. On va s'en prendre à Inui ça va le calmer, répliqua Kazutora en serrant les poings.
   — Sûrement pas, déclara Chifuyu. Je sais qu'Inui est le point faible de Koko mais s'en prendre à lui ne ferait qu'empirer les choses. Il va nous trucider si on touche un seul de ses cheveux.
   — Mais il le mérite, souffla Kazutora en lâchant le pull de son ami. Je peux très bien m'en occuper moi, comme ça personne ne te-
   — Kazutora, j'ai dit non, coupa Chifuyu d'un ton catégorique.
   Le jeune homme serra les dents avec frustration. Il croisa les bras sur son torse et s'enfonça dans les coussins du canapé. Cette situation était insupportable.
   Il en avait plus qu'assez de voir Chifuyu rentrer du travail avec des bleus sur le corps.
   Ça faisait six mois que Kazutora vivait chez Chifuyu, et depuis, le jeune homme se sentait comme chez lui dans ce grand appartement. Il passait ses journées seul, à s'occuper comme il en avait envie, il sortait tôt le matin, pour être sûr de ne croiser personne du Toman, il faisait livrer des courses, des vêtements, des livres.
   L'armoire derrière la télévision, celle dans laquelle Kazutora rangeait ses livres, était totalement remplie. Toutes sortes de livres se trouvait dedans, et le jeune homme était particulièrement fier de sa collection. Mais ce n'était pas le seul changement dans l'appartement. En fait, Kazutora avait pris la liberté de refaire la décoration (inexistante) de sa nouvelle maison. Il avait acheté des coussins pour le canapé, des objets de décoration à poser sur les commodes. Il avait même acheté de nouveaux jouets pour Peke J. De plus, des tableaux étaient accrochés aux murs, certains étaient des reproductions d'œuvres célèbres, tandis que d'autres... étaient des créations de Kazutora. Mais ça, Chifuyu ne le savait pas du tout.
   En réalité, Kazutora avait découvert qu'il était vraiment doué en peinture. Il s'était lancé dans l'art abstrait, et s'amusait à dessiner le corps de Chifuyu. Ça pouvait paraître étrange, mais en art, la reproduction d'un corps n'avait pas toujours un but érotique, c'était surtout de la beauté. Le style de dessin de Kazutora était particulier, il prenait des parties du corps de son amis, et les insérait dans un décor, ou en faisait un paysage. Il avait fait l'océan de ses yeux, le doux rose de sa bouche, les lignes de son cou et les courbes de ses clavicules, la délicatesse de ses mains, et le plus drôle était que Chifuyu n'avait jamais réalisé qu'il s'agissait de son corps. Kazutora trouvait vraiment amusant de le voir passer devant ses peintures sans se reconnaître.
   À côté de ça, Le jeune homme continuait évidemment d'enquêter. Il parvenait à obtenir quelques informations en creusant bien, par exemple, il avait appris que Kisaki connaissait Hinata et Takemichi depuis la primaire et qu'avant, Kisaki était ami avec Hinata. Ce point était à approfondir, il y avait quelque chose d'étrange dans cette histoire.
   Et le soir, Kazutora attendait patiemment le retour de Chifuyu, pour passer la soirée avec lui.
Cette routine lui plaisait vraiment, même si elle donnait l'impression que Kazutora était un homme au foyer qui attendait que son mari rentre du travail. Bon jusqu'à présent c'était un peu ça, puisque Kazutora n'avait pas cherché de travail, donc il était au foyer, et qu'il attendait vraiment que Chifuyu rentre.
Il fallait dire que vivre ici était vraiment bien. Kazutora avait un gigantesque appartement pour lui tout seul toute la journée, et il était libre d'utiliser la carte bancaire de son colocataire comme il le voulait. Mais surtout, il n'était plus seul. Chifuyu prenait réellement soin de Kazutora, et sa présence lui faisait vraiment du bien. C'était difficile de ne pas l'apprécier, pour ne pas dire impossible, et Kazutora comprenait à présent pourquoi Baji l'aimait tant. Lui aussi l'aimait beaucoup.
Alors, le voir rentrer le soir avec des bleus partout était insupportable. Il en avait de plus en plus en se moment, il n'arrêtait pas de se battre. Kazutora aussi voulait prendre soin de Chifuyu, c'est ce que Baji aurait fait à sa place, son meilleur ami voudrait qu'il le protège. Mais il ne pouvait rien faire, et il s'inquiétait vraiment pour son ami. Il avait peur qu'un jour Koko, ou les autres tarés du Toman, aillent trop loin et tuent Chifuyu.
   — Il faut que tu fasses plus attention, dit alors le jeune homme. Peut-être... essaye de te faire plus discret ou...
   — Je sais ce que je fais, dit son ami avec calme.
   — Mais... je suis inquiet pour toi, avoua Kazutora. Plus on avance dans l'enquête, plus on prend le risque de se faire découvrir et si c'est le cas, tu vas vraiment te faire tuer.
   — Oui mais ce n'est pas grave, l'essentiel c'est qu'on récolte assez d'informations pour faire tomber Kisaki-
   — Bien sûr que si c'est grave si tu meurs, s'exclama le jeune homme. Baji ne veut pas que tu le rejoignes aussi tôt, et tu n'as pas le droit de me laisser !
   — Je... Ma mort ne voudrait pas dire qu'on aura échoué, dit prudemment Chifuyu. Et pour toi... tout ira bien ne t'en fais pas. Je peux te léguer mon appartement et ma fortune pour que tu puisses rester ici, et Naoto est au courant de tout, il pourra venir s'occ-
   — Je m'en fou de Naoto, s'énerva Kazutora. Je m'en fou aussi de ton argent, je ne veux juste pas que toi tu meurs, j'ai besoin que tu sois là.
   — Que je sois là ou non ne change rien tu sais, je-
   — Je me suis promis que je te protégerai, et je tiendrais ma promesse, coupa Kazutora à voix basse.
   Chifuyu ne répondit rien et le regarda en silence. Kazutora baissa les yeux et se força à retrouver son calme.
— Quelques jours après que tu m'aies dit que tu allais m'héberger, je suis partis pendant que tu étais au travail. Je suis partit voir Baji, c'était la première fois que j'y allais. Je lui ai beaucoup parlé et ça m'a fait du bien. Et je lui ai dit ce que tu faisais pour moi, et je lui ai dit que je m'étais fait une promesse. Celle d'aider le Toman et de te protéger. Je dois prendre soin de toi parce que Baji le voudrait, parce que je veux te rendre ce que tu m'offres, et parce que je veux que tu sois heureux.
Kazutora marqua une pause dans son monologue. Il respira fortement afin de se calmer un peu plus, et reprit.
— Tu es mon ami, et tu fais partit du Toman. Mikey a dit que je ferais toujours partit du Toman, je suis un des fondateurs. Baji rêvait d'un gang soudé, avec des membres prêts à mourir les uns pour les autres. Koko est notre ennemi, on doit le faire tomber et je n'hésiterai pas à le faire, de quelques moyens que ce soit.
Kazutora releva les yeux et les planta dans les iris saphirs de Chifuyu.
   — Alors crois moi. Si cet enfoiré lève encore une seule fois sa main sur toi, je tabasserai Inui sous ses yeux et il comprendra ce que ça fait de s'en prendre à mon ami.
   Les deux garçons se regardèrent longuement, se dévisageant en silence, jusqu'à ce qu'un rictus amusé apparaissent sur le visage de Chifuyu.
   — T'es pas croyable Kazu... on croirait entendre Baji.
   — On était pas meilleur ami pour rien...
   — Je suppose que rien de ce que je te dirais ne te feras changer d'avis, murmura Chifuyu.
   — Non, je ferais tout pour t'empêcher de mourir. Quand on s'est revu pour la première fois, tu m'as dit que je n'étais plus seul, mais toi non plus tu n'es pas seul.
   Chifuyu ne trouva rien à répondre. Il baissa les yeux sur son bol de nouille et se recroquevilla au fond du canapé. Kazutora avait été seul depuis la mort de Baji, mais Chifuyu aussi. Il s'était fait abandonner par le Toman, qui était sous l'emprise de Kisaki.
   Kazutora s'approcha un peu plus de son ami, jusqu'à se retrouver coller à lui. C'était un peu étrange, il ne s'approchait jamais vraiment de Chifuyu. Certes il ne s'asseyait plus à un mettre de lui, mais il y avait toujours un certain écart entre eux. Cette distance faisait partie de leur routine, ils n'étaient jamais vraiment près l'un de l'autre, et voilà que Kazutora se retrouvait collé à Chifuyu...
   — Qu'est-ce que tu fais, demanda son colocataire avec surprise.
   — Je sais pas, répondit Kazutora en continuant de s'approcher.
   Le jeune homme se mit à genoux sans réfléchir sur le canapé et prit dans ses bras son ami.
   — Euh...
   C'était la première fois qu'il le prenait dans ses bras, et la première fois qu'il faisait un câlin à quelqu'un depuis la mort de Shinichiro. Ça faisait une éternité.
   — P-pourquoi tu me fais un câlin, demanda Chifuyu sans bouger.
   — Pour pas que tu sois triste. Tu... tu t'aies fais taper alors je te rassure, dit Kazutora en caressant maladroitement le dos de son ami.
   — Mais... je suis pas un enfant, dit Chifuyu en riant nerveusement.
   — Pas grave, répliqua le jeune homme.
   Il lâcha Chifuyu et s'écarta à quelques centimètres de lui. Son ami laissa un sourire se dessiner sur son visage, il leva une main et enroula autour de son doigt une mèche de cheveux qui pendait devant le visage de Kazutora.
   — C'est donc à ça que ressemble le vrai Kazutora, murmura-t-il doucement.
   — Celui qui est sain d'esprit, souffla le jeune homme en baissant légèrement les yeux.
   — Je l'aime bien... On pourrait décolorer ça, ça t'irait bien.
— Si tu veux...
Chifuyu glissa la mèche de cheveux derrière son oreille, la sensation de ses doigts qui effleurèrent sa peau lui provoqua des frissons. Kazutora n'était plus du tout habitué au contact. Ni à être aussi proche de quelqu'un, ça le faisait se sentir vraiment... étrange. Le jeune homme se rendit compte que son regard était un peu trop bas sur le visage de son ami, alors il se redressa et s'écarta pour retourner de l'autre côté du canapé.
— Reste là, dit Chifuyu en le retenant par le bras. On peut rester à côté, ça nous tiendra chaud...
Kazutora acquiesça. Il récupéra tout de même son bol de nouille pour le terminer, il attrapa ensuite son livre pour le continuer après avoir manger, et saisit une couverture, pour la déployer sur lui et son ami. Kazutora hésita un instant, puis il vint se blottir contre Chifuyu, et posa sa tête sur son épaule.
   C'était vrai que c'était mieux d'être près de Chifuyu que loin de lui.
Kazutora était bien mieux à ses côtés...
Cependant, au bout d'un moment Chifuyu posa son bol sur la table basse et se leva pour s'en aller.
— Qu'est-ce que tu fais, demanda Kazutora en fronçant les sourcils.
— Je vais te changer tes mèches.
— Maintenant ?! Mais il est tard, et demain tu dois te lever tôt...
Chifuyu ne l'écouta pas. Il disparut dans la salle de bain, puis revint rapidement, avec une boîte et une serviette dans les mains. Il se rassit près de Kazutora et ouvrit la boîte. Dedans se trouvait des gants transparents, un bol en plastique, une spatule, un pinceau, une brosse en bois, une décoloration et deux teinture.
Chifuyu prit le bol que tenait Kazutora et le posa sur la table. Il déplia ensuite la serviette qu'il avait ramené pour la mettre sur les épaules de son ami, avant d'enfiler les gants.
— Pourquoi t'as les cheveux noirs maintenant, demanda curieusement Kazutora.
— J'avais envie de changer, répondit son ami en commençant à préparer le mélange de la décoloration.
— C'est pour être comme Baji, tenta le jeune homme.
— Non. Tu sais, tout le monde a les cheveux noir maintenant, raconta Chifuyu. Mikey, Draken, Takemichi...
— Ah c'est une mode.
— Je sais pas, dit Chifuyu en riant. Après tout c'est notre couleur naturelle.
— C'est vrai... mais j'aimais bien le blond. Avant j'y avais pas trop réfléchit parce que j'avais pas que ça à faire, mais de ce que je peux me souvenir, t'étais mignon en blond.
Chifuyu, qui était à présent en train de brosser les cheveux de Kazutora, s'arrêta dans son geste.
— Donc là je suis plus mignon, comprit-il.
— Tu es... différent.
Chifuyu haussa les sourcils, puis il tira d'un coup sec sur la brosse, faisant grimacer Kazutora. Il sépara deux mèches du reste des cheveux, puis les ramena en un chignon sur le haut de sa tête.
   — J'ai pas dit que t'étais moche, précisa le jeune homme avec amusement.
   — Non, t'as dit que j'étais DiFerENt, répliqua Chifuyu avec mauvaise humeur.
   — C'était pas dans le mauvais sens, répondit Kazutora en riant.
   Son ami lui lança un regard blasé. Il attrapa une mèche et tira d'un coup brusque dessus, avant d'y appliquer de la décoloration.
   — Et c'était dans quel sens ?
   — Je voulais dire que tu es passé de mignon à... plus charismatique on va dire. Tu fais plus adulte.
   — Donc avant je n'avais aucun charisme, s'exclama Chifuyu.
   — Mais si ! Enfin je sais pas ! Je faisais pas attention... mais là ça va, tu en as un peu...
Un peu ?!
— Enfin tu en as assez, non mais, ce que je veux dire c'est que...
— Que ?!
— Argh tu m'énerves, tu comprends rien, s'agaça Kazutora en rougissant.
— Si j'ai compris, je crois que tu essayes juste de me dire que je suis plutôt beau, dit Chifuyu en souriant.
Kazultra baissa les yeux, alors que ses joues prenaient un peu plus de couleurs. Chifuyu lâcha la mèche de cheveux qu'il tenait, elle était à présent couverte de décoloration. Il se leva et passa de l'autre côté de son ami, pour s'attaquer à son autre mèche.
— Toi aussi tu es plutôt beau, et je trouve qu'on ne voit presque plus les traces de ton passage à la prison, dit Chifuyu. T'as repris du poids, tu n'as plus de cerne et tu as l'air bien plus heureux qu'à ta sortie.
Kazutora ne répondit pas. Il n'avait pas remarqué de changement physique, à vrai dire il n'y faisait pas attention. Mais il avait remarqué qu'il se sentait bien mieux maintenant que six mois plutôt. Se sentir bien était presque nouveau pour lui, mais c'était une sensation exquise.
— Tes cheveux ont poussés, tu ressembles à Baji comme ça...
Kazutora déglutit avec difficulté. Chifuyu lui parlait parfois de Baji, mais il n'abordait jamais rien d'important le concernant. Le jeune homme se demandait si son ami avait réussi à faire son deuil. Et aussi, quelle relation il avait entretenu avec Baji ? Cette question titillait Kazutora, mais il n'osait pas vraiment la poser. C'était la vie privée de Chifuyu, et même s'il avait envie d'avoir une réponse à cette question, d'un autre côté, il ne voulait pas savoir. Si Chifuyu lui disait qu'il avait aimé Baji, ou qu'il l'aimait toujours, cela achèverait Kazutora. Ça voudrait dire qu'il avait pris la vie de la personne qu'aimait Chifuyu, c'était une chose trop horrible pour qu'il le supporte.
— Je suis désolé pour ce que j'ai fait, murmura Kazutora d'un air perturbé.
— Pour t'être fait manipuler par de mauvaises personnes, demanda Chifuyu d'une voix calme.
Évidemment. Pour lui, Kazutora n'était pas coupable. Il lui avait déjà dit, mais le pensait-il vraiment ? Ou disait-il cela pour ne pas le faire culpabiliser ?
— Est-ce que Baji te manque, demanda alors le jeune homme.
Chifuyu ne répondit pas tout de suite, ce qui mît mal à l'aise Kazutora. Il avait peur de lui parler d'un sujet trop sensible, il ne voulait pas ouvrir de vieilles blessures.
— Tu sais au début c'était vraiment dur. Le matin quand je me levais, je sortais de chez moi et j'étais persuadé que Baji allait descendre à mon étage, et qu'on partirait ensemble en cours. Je savais qu'il était mort, mais je regardais toujours par réflexe pour voir s'il était là ou pas. Parfois en sortant des cours, je me dirigeais instinctivement vers sa salle pour le retrouver, avant de me rappeler que sa chaise serait vide. Dès fois, je commençais à lui écrire un message sans réfléchir, avant de l'effacer parce qu'il n'était pas là. Tous ces vieux réflexes ont mis du temps à disparaître, mais ils sont toujours là, quelque part en moi. Ils peuvent surgir n'importe quand, ça m'arrive parfois de m'attendre à le croiser à un croisement de rue.
Kazutora ne répondit rien, sa gorge était horriblement nouée. Il comprenait très bien ce qu'était en train de lui dire son ami.
— C'est dur d'accepter du jour au lendemain que la personne à laquelle tu tenais le plus au monde n'est plus là pour te faire sourire. Je savais que Baji était mort, je l'avais bien compris. Mais malgré ça, je n'arrivais pas à y croire. Il ne pouvait pas être partit comme ça, sans rien me laisser, sans prévenir. Mais pourtant il était bien mort, et...
La voix de Chifuyu trembla un instant, sûrement pour retenir un sanglot.
— Il me manque plus que tout au monde. Je donnerais ma vie pour pouvoir le serrer dans mes bras rien qu'une minute... Je pense tous les jours à lui, c'est pour lui que je fais tout ça. Je sais qu'il me regarde et veille sur moi de là où il est.
— Tu penses qu'il veille sur moi aussi, questionna Kazutora en fixant son regard sur ses mains liées devant lui.
— Tu sais ce qu'il a dit avant de partir ?
— Non, je n'ai pas entendu.
— Il a dit que Mikey, Draken, Mitsuya, Pachin et toi étiez les personnes les plus précieuses à ses yeux, raconta Chifuyu. Tu comptes énormément pour lui, tout ce qu'il a fait, c'était pour toi. Il prendra toujours soin de toi.
— ... Tu parles de lui comme s'il était toujours là, remarqua Kazutora d'une voix serrée.
— Parce qu'il est toujours là. Je le vois près de nous, il est juste là. Tant qu'il y aura quelqu'un pour se souvenir de lui, Baji ne sera pas mort. J'ai toujours pensé qu'on vivait parce qu'on occupait l'esprit d'une personne, notre souvenir prouve notre existence. Baji n'est peut-être plus là physiquement, mais je penserai toujours à lui, alors il sera toujours là d'une certaine manière, expliqua Chifuyu en passant lentement son pinceau sur les cheveux de Kazutora.
— Donc, si on existe pas dans l'esprit des autres, on ne vit pas, comprit le jeune homme.
— Pas totalement. C'est ma vision des choses, c'est ce que je pense. Vivre en sachant que quelqu'un pense à nous est plus agréable que de vivre dans l'indifférence des autres.
— ... Je vis grâce à toi alors, tu es le seul qui pense à moi.

Issue - Là où apparaît la couleurOù les histoires vivent. Découvrez maintenant