chapitre 4

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- Vous savez maintenant qu'on ne peut additionner deux fractions que si leurs dénominateurs sont égaux. Et donc...

L'esprit ailleurs, Harry n'écoutait pas le professeur de mathématiques. Aillant terminé ses exercices depuis une bonne demi-heure au moins, il se laissait emporter dans ses rêveries peuplées de mots et de paroles de chansons. Il ne l'avouerait jamais mais il avait presque hâte de se rendre à l'école de chant cet après-midi. Bien que les choristes se montraient quelque peu prétentieux, il aimait l'atmosphère relaxante planant dans la salle de chant. S'il n'y avait pas ces regards désobligeants, il se sentirait presque comme un adolescent normal.

Sans qu'il ne s'en rende compte, ses lèvres se murent discrètement, prononçant des paroles muettes issues d'une musique qui lui tenait particulièrement à cœur. Combien de fois ne l'avait-il pas chantée sous la douche, loin des oreilles indiscrètes ? Combien de fois ne la fredonnait-il pas lorsqu'il se retrouvait dans sa petite chambre ? Il avait cessé de compter.

Il lui suffisait de fermer les yeux et de susurrer les paroles de cette chanson pour s'oublier quelques instants et s'imaginer hors de ces murs dont la hauteur défiait les limites de la gravité. Il ne sentait son cœur battre que lorsqu'il chantait. Hélas, dans ce centre IPPJ qui était devenu son unique demeure, chanter était un risque à ne pas prendre. Il souhaitait purger sa peine tranquillement, sans s'attirer davantage de problèmes, espérant que sa bonne conduite le ferait sortir plus vite.

Le professeur annonça la fin du cours et le brouhaha assourdissant qui s'éleva dans les airs ramena Harry à la réalité. Midi étant enfin là, les adolescents se précipitèrent vers le réfectoire, désireux de combler leur estomac affamé. Harry attrapa un plateau-repas et s'engagea dans la file d'attente. Il ne remarqua pas Zachary Dubson qui s'approchait de lui avec un sourire narquois sur les lèvres. Zachary le bouscula volontairement, cognant son omoplate de l'épaule. Le léger cri de douleur qu'il parvint à lui arracher le remplit d'euphorie et il éclata d'un rire mesquin avant de s'éloigner.

Harry le suivit de son regard embrasé de colère mais ne riposta pas. Zachary Dubson le harcelait de plus en plus et n'essayait même pas de se faire discret. Il ne semblait craindre ni les représailles, ni la cellule d'isolement. Zachary était en quelque sorte le boss de la section D. Plus âgé que la plupart de ses camarades, il intimait le respect par sa carrure large et son visage dur. Malgré la surveillance rigoureuse des éducateurs, il parvenait toujours à gangréner la vie de l'un des adolescents qui partageaient son quotidien. Aimant la diversité, il passait rapidement d'une proie à l'autre mais il fallait croire qu'en ce moment, Harry était sa cible favorite.

Harry remplit son assiette et, fidèle à ses habitudes, alla s'asseoir à une table déserte. Nous étions mercredi. Plus qu'un jour avant la visite hebdomadaire de Liam. À cette pensée, son cœur bondit dans sa poitrine, trépignant d'impatience. Il n'y avait pas un jour sans qu'il ne pense à son frère aîné, sans qu'il ne s'inquiète pour lui. Il fallait dire que sa compagne, Darla, ne rendait pas sa vie des plus faciles et Harry devait bien avouer qu'il ne la supportait pas. Mais quelle leçon de vie avait-il à lui donner, lui qui se trouvait enfermé dans un centre pour jeunes délinquants ? Aucune.

Ses yeux verts glissèrent sur les couverts en plastique posés de chaque côté de l'assiette et il se demanda ce qu'il fabriquait dans cet endroit. Il n'était pas ce genre de personne dangereuse au point de prendre tous ses repas avec un couteau et une fourchette en plastique blanc, non, il n'avait rien à voir avec ces criminels sanguinaires. Il n'était qu'un simple adolescent que la vie avait abandonné, un adolescent qui avait un jour emprunté le mauvais chemin et qui désormais en assumait les conséquences.

Dire à sa mère à quel point il pouvait l'aimer. Voilà pourquoi il restait stoïque face aux provocations de Zachary, face à la frustration de se trouver enfermé, face à la douleur que procure la solitude, face au déchirement que provoque un manque affectif extrême. Chaque jour, chaque minute, chaque seconde, il se battait contre lui-même, contre ses envies destructrices. Il luttait contre son désir de tout casser. Il devait tenir le coup pendant six mois encore. Après un an derrière ces murs, tenir six mois serait facile.

REINTEGRATION PROGRAM » narryOù les histoires vivent. Découvrez maintenant