Chapitre neuf : clair de lune

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La lune brillait d'un éclat singulier que Mathias et moi percevions bien de la haute branche sur laquelle nous étions perchés tous les deux. Nos jambes dans le vide, nos cheveux dans le vent, on passa des heures à rattraper le temps perdu. Les six mois que j'avais perdus à le croire coupable. Je n'osais cependant lui poser la question qui me brûlait les lèvres : qui donc attendait-il lorsque je suis arrivée ? Je n'arrivais pas à m'ôter de l'idée qu'il avait eu l'air déçu plus que surpris en m'apercevant au pied de chez lui. Pourtant, les mots ne sortaient pas. Qui étais-je après tout pour lui demander des comptes ? 

La nuit était douce et calme. Le calme après la tempête. La brise légère faisait vaciller les branches mais celle sur laquelle nous prenions appui était bien assez solide pour résister à ses assauts. La clarté blanchâtre de l'astre éclairait nos visages tournés vers elle. Parfois, je risquais quelques regards à la dérobée vers Mathias. Lui ne faisait pas vraiment attention à moi. Peut-être était-il gêné lui aussi de cette nouvelle proximité que nous avions retrouvé et dont nous n'avions plus l'habitude. Le silence nous englobait, doux et confortable. Ce n'était pas un silence empli de tension comme lorsqu'il m'avait embrassée. C'était un silence qui ne demandait rien en retour. Je ne me sentais pas opressée mais libre et apaisée. Mathias était là, à côté de moi et aucune pression ne nous poussait l'un vers l'autre. Je pouvais garder mes distances tout en restant près de lui. Je pensais que ce silence tellement agréable se poursuivrait encore pendant des heures mais il le rompit brusquement :

- Alors ? Quels sont tes plans ? Me demanda-t-il en balaçant ses longues et puissantes jambes au-dessus du vide.

Une chance que nous les Arbres ne souffrions pas du vertige. Cependant, ce fut une sensation que j'imaginais y être analogue qui me saisit en cet instant. De quoi parlait-il enfin ?

- Mes plans ?

- Allez, ne fais pas l'idiote. Tu sais très bien de quoi je parle. Cédric.

Entendre son nom dans sa bouche me fit un plus drôle d'effet encore. Mathias, qui avait dû terriblement souffrir de mon idylle avec cet étranger venu des Eaux, semblait finalement pouvoir prononcer son prénom sans paraître confus. Du moins en apparence.

- Je n'en ai pas.

- Arrête. Comme si tu n'avais pas l'intention d'aller le chercher.

Bien-sûr que c'était mon intention mais comment aborder le sujet avec lui ? Je ne voulais pas lui causer plus de chagrin que je ne l'avais déjà fait. Il me cogna de son épaule, façon de me signifier que je pouvais m'ouvrir à lui. Qu'il ne m'en tiendrait pas rigueur.

- D'accord... Oui je compte le libérer. Mais je ne sais pas comment. Je ne suis pas une héroïne, tu te rappelles ? Je ne sais pas du tout comment se font ces choses-là. Je me suis retrouvée au milieu de toute cette histoire sans vraiment le chercher et aujourd'hui, je dois tout faire pour arranger les choses.

- Sans vraiment le chercher ? Que veux-tu dire ?

- Tout ça m'est tombé dessus !...Cédric m'est tombé dessus. Je ne m'attendais pas à lui. Je ne m'attendais pas à son monde. Je ne m'attendais pas à ce qu'on nous ait caché la vérité pendant si longtemps ! Hannah savait depuis toujours et nous a toujours menti...

Mathias baissa la tête.

- Moi aussi, je te suis tombé dessus, pas vrai ? 

Je lui souris, penaude.

- Oui, en quelque sorte.

- Je t'ai fait mal ?

- Pardon ?

Il éclate de rire. Quand je comprends enfin sa blague, je l'imite. Il m'avait manqué, lui et ses idioties de gamin de douze ans. Je devais le reconnaître.

- Que vas-tu fais pour Sue ? Fait-il après avoir retrouvé son sérieux.

- Je n'en ai strictement aucune idée. Je ne sais pas comment la confronter. Je ne sais même pas si j'en ai envie. Tu sais...pourquoi elle a fait ça ?

- Non. Et toi ?

J'hésite à l'informer de la raison qui avait poussé Sue à me trahir. Pourtant, je le fais :

- Elle est amoureuse de toi. Elle me jalousait. Elle te voulait pour elle. Elle a voulu me faire souffrir car je t'ai fait souffrir.

- Oh.

- Oui.

Nous soupirons en même temps.

- Donc, c'est finalement un peu ma faute quand même.

- Pas du tout ! Tu n'y es pour rien ! Tu n'as pas le droit de dire ça. 

C'est à mon tour d'entrer en collision volontaire avec lui. Il s'esclaffe.

- Je vais t'aider. A le sortir de là.

- Pourquoi tu ferais ça ?

- Parce que tu mérites d'être heureuse. Parce que je veux te revoir sourire comme avant. Mais mes parents ne doivent pas être au courant. Ils me tueraient s'ils savaient que je te voyais de nouveau ! Il faut que tout ça reste entre nous, compris ?

J'acquiesce, incrédule. 

- Je vais devoir te laisser. Le jour va bientôt se lever et mes parents se réveiller. Je te retrouve chez toi. Ce soir ?

Avant que mon cerveau ne saisisse réellement ce qu'il me demandait et ce que cela impliquait, je répondis par l'affirmative. Il hocha la tête, satisfait, et remonta les branches qui le séparaient de la fenêtre de sa chambre. Je le regardais partir, admirative devant tant d'aisance et d'agilité. 

Les Frontières : Tome 2Où les histoires vivent. Découvrez maintenant