Chapitre douze : le rêve

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J'étais allongée dans l'herbe chaude d'une belle journée d'été. Le soleil me berçait de sa chaleur. Je sentais le souffle de l'air sur ma peau qui frissonnait à son contact. J'étais bien. Une langueur délicieuse m'enveloppait tout entière. Je devinais sa présence à côté de moi. Je devinais l'ombre de son corps étendu à côté du mien. Je devinais son parfum dans mes narines. Son parfum délicat, subtil comme l'écume des vagues. Je pouvais deviner sa présence avant même de le toucher, de poser la main sur lui. Sans le regarder, je déplaçais mes doigts le long de son visage dont les traits, si familiers et parfaits semblaient s'être imprimés dans mon esprit. Je descendais jusqu'à son cou, sa pomme d'Adam, son torse marmoréen et sculpté comme dans la pierre. Sa peau était fraîche, encore mouillée de l'eau dans laquelle il avait plongé. Jusque là immobile, il déplaça sa main pour s'emparer de la mienne et la poser sur son coeur. Il battait à un rythme régulier. Je pouvais ressentir ses pulsations sous ma paume et elles semblaient vibrer en moi. Enfin, j'ouvris les yeux. Il était là, près de moi, à sa juste place. Ses prunelles dévoraient les miennes et sa pupille était dilatée. D'amour, de regret, de chagrin ? Je ne saurais le dire.

- Si tu savais à quel point tu me manques. Fis-je en le couvant du regard.

- Toi aussi tu me manques. Mais je ne suis pas parti. Je suis toujours là, avec toi. 

- J'aimerais tellement te revoir. Rien qu'une fois. Une toute petite fois. J'en savourerais alors chaque seconde et ça me suffirait pour les siècles à venir. 

- Tu me reverras.

- Quand ? Dans un an ? Dans une décennie ? Quand nos peuples auront fini de s'entretuer et de se haïr ? Quand on acceptera que tu fasses partie de ce monde ?

Des larmes s'écoulent silencieusement sur mes joues. Je ne les ai même pas vues venir.

- Tu n'es pas réel. Ce n'est pas toi. Ce n'est que mon souvenir de toi. Tu n'existes pas. Tu n'es qu'un fantôme que mon âme appelle à elle parce que tu me manques trop et parce que je risque de devenir folle si je ne te vois pas. Si je ne sais pas ce que tu es devenu. Tout ceci n'est qu'un stupide rêve.

Il tend son pouce vers moi et essuie le sillon qu'ont tracé mes larmes.

- Que ce soit un rêve ne signifie pas forcément que ce n'est pas réel.

Ne supportant plus la distance qui nous sépare, je me blottis entre ses bras. Quand ils se referment autour de moi, je me sens entière, comme si la partie de moi qu'on m'avait soustraite retrouvait enfin sa place. Comme si le puzzle de moi-même s'était reconstitué. Même si ces bras amoureux et tendres n'étaient que mirage, ils étaient tout ce que j'avais. Il sème quelques baisers sur mon front. Ses baisers me font l'effet d'une caresse du vent. 

- C'est étrange. C'est comme si tu étais mort. Peut-être que c'est le cas d'ailleurs. Est-ce que c'est le cas ? Est-ce que tu es mort ?

Il ne me répondit pas. J'attendis plusieurs minutes sa réponse mais elle ne me vint jamais.

- Tu dois apprendre à vivre ta vie sans moi, Ly. Tu ne peux pas continuer comme ça.

- Qu'est-ce que tu veux dire ? M'écriai-je, alarmée.

- Que tu dois me laisser m'en aller. Tu t'accroches à moi alors que tu devrais avancer de ton côté. Je t'aime. Et je continuerai à t'aimer où que je sois. Mais je veux aussi que tu poursuives ta vie. Je veux que tu te fasses à l'idée que je pourrais un jour ne plus être là. Je veux que tu y sois préparée. 

- Tu plaisantes, c'est ça ? Tu plaisantes ?

- Promets-moi simplement que s'il m'arrivait quelque chose, tu ne reconcerais pas. 

- Mais Cédric...

- Ly.

- D'accord. J'y serai préparée.

Lorsque je me réveillai, j'étais dans ma chambre d'enfant. Il n'y avait plus ni soleil, ni chaleur, ni brise agréable, ni Cédric. Il n'y avait rien d'autre que le vide. Un vide qui m'étouffait, qui me consumait et me déchirait. Un vide qui sonnait creux. Un vide où il était partout sans être nulle part. Je me suis redressée dans mon lit. J'ai repoussé les couvertures. J'ai pris le temps de respirer un grand coup. J'ai passé la main dans mes cheveux emmêlés. J'ai regardé par la fenêtre. J'ai contemplé l'horizon sans espoir au travers. J'ai pris ma tête entre mes mains, j'ai soupiré et j'ai pleuré. Je n'avais même pas une seule photo de lui. Je n'avais rien. Rien pour le rappeler à ma mémoire. Rien pour me souvenir de ce à quoi il ressemblait. Rien pour me certifier que nous avions bel et bien existé. 

Les Frontières : Tome 2Où les histoires vivent. Découvrez maintenant