Chapitre treize : Sue

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Mathias arpentait ma chambre en faisant les cent pas. Les mains croisées dans le dos, je pouvais voir ses veines tendues sous la peau tirée de ses poignets.

- Calme-toi.

- Comment je suis supposé me calmer hein ? Hannah sait !

- Mais non... Tentai-je de le rassurer, ne parvenant pas à calmer ma propre peur.

- Ah ouais ? Répliqua-t-il en pointant un doigt accusateur vers moi. Alors pourquoi Krabb t'a dit de faire gaffe hein ?

- Parce qu'il tient à nous, c'est tout. Ne deviens pas parano s'il te plaît. C'est suffisamment difficile comme ça. On ne fait rien de mal pour l'instant, si ? Tu me rends simplement visite.

- Toutes les nuits. Pour monter un stratagème pour délivrer le délinquant qui te sert de petit-ami !

Je plisse les yeux. Je l'entends s'approcher de moi, jauger ma réaction. Tout à coup, la tension semble être retombée.

- Pardon. Excuse-moi. J'aurais pas dû dire ça.

- C'est pas grave. Tu as énoncé une vérité après tout.

Il grimace. 

- Je suis tombée amoureuse d'un criminel, c'est vrai. Je suis tombée amoureuse d'un type condamné à être recherché et traqué pour le restant de ses jours. Il n'aura jamais la paix et moi non plus. Je dois vivre avec.

- Tu sais bien que ce n'est pas ce que je voulais dire par là...

- Peut-être mais je sais que tu le penses et tu as raison de le penser comme tu as raison de t'inquiéter au sujet d'Hannah. Peut-être vaudrait-il mieux tout arrêter tant que tu en as encore l'occasion.

- Quoi ?!

- Je veux juste te protéger Mathias. Je veux te protéger comme je n'ai pas su protéger les autres personnes auxquelles je tiens. Je ne t'en voudrais pas.

- Ah tu ne vas pas recommencer...

Soudain, il prend mon visage entre ses mains. Ses doigts frais emprisonnent mes joues dans leur étau et pourtant, je n'ai aucune envie de m'en dégager. Son regard me captive.

- Je te lâcherai pas. Tu m'entends ? Je vais pas te lâcher de sitôt. Faudra me compter dans la partie.

Je ne sais pas quoi répondre à cela. Mes mots se sont comme évaporés en un épais brouillard d'émotions étranges et d'incertitudes. Alors que j'allais retrouver la parole, quelqu'un, à l'entrée de ma chambre, a toussoté. A notre plus grande surprise, c'était Sue. Immédiatement, nous nous sommes écartés l'un de l'autre et avons brisé le charme bizarre qui opérait alors. Sue nous dévisageait, la bouche à demi-ouverte, comme profondément choquée de la scène à laquelle elle venait d'assister.

Je jette un oeil à Mathias. Il se tortille, se tient sur un pied puis sur l'autre, croise et décroise les bras. Je me rends compte que son embarras n'est pas moins grand que le mien en cet instant. Sue ne parle toujours pas. Je ne l'avais plus vue depuis des semaines. Ou du moins, je prétendais ne pas la voir à chaque fois que son chemin croisait ma route. Je jouais les aveugles. Je ne pouvais faire autrement. Lorsque mes yeux se posaient sur elle, j'avais envie de vomir. J'étais répugnée, dégoûtée, atrocement triste et trahie. Et voilà qu'elle venait à ma rencontre, sous mon propre toit ? Comme si elle avait entendu le fond de ma pensée, elle m'éclaira :

- Tes parents m'ont laissée entrer. Ils ont oublié de mentionner que tu étais là, toi aussi. Fait-elle à l'intention de Mathias.

- Qu'est-ce que tu veux ? Rétorque-t-il et je devine à son froncement de sourcils que notre petite conversation de l'autre jour lui revient en mémoire.

Je suis presque en mesure de percevoir le bouillonnement de son sang. Il est dans une colère monstre.

- Tu crois pas que t'en as assez fait comme ça ? Reprend-il.

Sue m'adresse une oeillade interrogative puis elle paraît saisir de quoi il retourne. Son expression passe de l'incrédulité la plus totale à un air de...de culpabilité ?

- Je...J'ignorais que... Commença-t-elle.

- Ouais, nous aussi. Comment t'as pu faire ça ?

- Mathias, calme-toi. J'interviens.

- Pourquoi ? Putain Ly, pourquoi est-ce que je devrais me calmer ? Elle a expédié Cédric Dieu sait où et elle a bousillé notre amitié ! 

C'était vrai mais la vision de Sue venue jusqu'à moi me causait davantage de peine qu'elle ne provoquait de haine. J'étais désemparée, ne savait que faire, que dire exactement.

- Je veux que tu saches que je suis désolée. Me confie-t-elle.

- Je sais. Mais être désolée, ça ne suffit pas. Ca ne suffit pas et ça ne suffira jamais parce que tu étais mon amie. Parce que j'avais confiance en toi. Je voudrais que tu partes, s'il te plaît.

Après le départ de Sue, je la regarde s'éloigner par la fenêtre. Une main solide vient recouvrir mon épaule. Sans réfléchir, je presse ma paume contre elle.

- Tu as pris la bonne décision.

- Alors pourquoi est-ce que j'ai encore plus mal ? Pourquoi est-ce que je me sens si malheureuse ?

- Ca te passera, tu verras.

Quelque chose dans sa voix m'indiquait que le sujet de la discussion avait dévié. On ne parlait plus du chagrin que j'éprouvais à propos de Sue mais de celui qu'il avait éprouvé à cause de moi.  

- Tu t'en remettras. On s'en remet toujours.

S'était-il remis de moi ?

- C'est l'expérience qui parle ? Demandai-je, sérieuse.

- En quelque sorte. C'est surtout un ami.

Je laisse aller ma tête contre son bras. J'ai envie de le croire. Quand il me jure que tout va bien aller à présent. J'ai envie de le croire quand il m'affirme que nous retrouverons Cédric, que j'oublierai ce que Sue m'a fait endurer, que nous pourrons reconstruire une véritable amitié lui et moi. Et c'est parce que j'ai envie d'y croire plus que tout que je me tais enfin.

Les Frontières : Tome 2Où les histoires vivent. Découvrez maintenant