Tay fait un pas vers moi. Je recouvre mon visage de mes mains pour en dissimuler le trouble. Je ne veux pas qu'il voie dans quel état un simple mauvais rêve m'a mise. Il continue pourtant de s'approcher, l'air soucieux et désolé.
- Tu n'as pas besoin de te cacher avec moi. C'est inutile. Encore un cauchemar ?
J'acquiesce en silence et laisse retomber mon bras sur la couverture. Il s'en saisit et le serre comme pour me signifier qu'il est bel et bien là, qu'il me soutient dans la joie comme dans la tristesse, dans le mal comme dans la guérison. La pression de ses doigts sur ma peau paraît me dire : "Je t'aime. Je suis là. Je ne t'abandonnerai pas."
- On m'a raconté pour Sue. Lâcha-t-il, ses prunelles sondant les miennes.
- ...
- Tout le monde en parle à l'école. Les ragots de couloir ont fini par arriver à mes oreilles. J'en reviens pas.
- Moi non plus.
- C'est clair : je la déteste cette fille à présent.
Il me tend un mouchoir dans lequel je me mouche bruyamment. Je le lui rends. Il fait une grimace.
- C'est bon. Je me suis calmée. Je vais bien. Tu peux repartir te coucher. Murmurai-je avec autant d'applomb que j'en étais capable, autant de conviction que possible.
Non, je n'allais pas bien. Pas bien du tout. Je ne me leurrais pas sur mes émotions mais mon cadet n'avait pas à subir les tourments qui m'assaillaient. Il méritait la paix.
- Je ne dormais pas de toute façon. J'y arrive pas. J'y arrive plus.
J'affiche une moue contrite, ne sais que faire d'autre. Il souffle longuement, faisant voleter les quelques mèches brunes sur son front halé.
- Allez ! ça suffit la déprime ! Debout.
- Quoi ? Qu'est-ce que tu racontes ?
- Lève-toi. On se casse.
- Hein ?
Il m'adresse un de ces clins d'oeil dont il a le secret.
- Ça te dirait une petite virée dans les airs ?
Pouf, l'animal complètement loufoque qui servait de compagnon à mon petit frère, nous transportait tous les deux sur son dos immense. Je me cramponais à Tay et l'air frais et revigorant du soir me fouettait le visage. J'en redemandais même. Nous planions dans le ciel, pareils à des oiseaux migrateurs. Où allais-je migrer ? Quelle était ma destination ? Mon but final ? Ma ligne d'arrivée ? D'en haut, la vue était magnifique. Notre domaine paraissait si idyllique, si accueillant et mystique. On aurait dit un tableau, une peinture splendide d'un univers féérique, inconnu et lointain. J'avais du mal à m'imaginer que c'était en fait notre univers. Il semblait si différent sous cet angle. Il était encore plus difficile de considérer l'étendue de mes tracas. Cédric, les Eaux, Hannah et Sue étaient infiniment petits et insignifiants vus d'ici. Il n'étaient rien que des points minuscules. Des petites lumières qui vacillent, prêtes à s'éteindre. Soudain, Tay tira sur les brides qui maintenaient son écureil domestique et la créature s'éleva en piqué. Je hurlai à m'en décrocher la mâchoire mais lorsque nous redescendîmes, l'effroi céda la place à l'hilarité. Je riais tellement que j'en perdais haleine. Les éclats de mon cadet se mêlèrent aux miens. Ce moment était tout bonnement magique. Pareil à une fracture du temps. Un morceau d'éternité qui n'appartenait qu'à nous.
- Accroche-toi soeurette ! M'avertit mon frère avant d'entreprendre un virage ahurissant.
Voilà que nous tracions notre route entre les cimes des arbres titanesques. Nous passions à un cheveu de chacune d'elles. Mon coeur s'arrêtait de battre toutes les trente secondes.
- T'es un malade ! T'es un vrai malade !
- C'est que maintenant que tu t'en rends compte ? Il était temps !
A l'aube, Pouf nous dépose sur la terre ferme. Tay le libère du harnais et des cordes qui l'entravaient et lui caresse la tête. L'animal ronronne puis s'envole à nouveau, ses ailes de géant balayant les feuilles mortes qui gisent sur le sol et s'élèvent maintenant en tourbillons.
- Merci. Fais-je.
- Pour quoi ? S'étonne-t-il.
- Tu sais très bien pour quoi. Je réplique.
Il n'a pas l'air de savoir finalement. J'englobe alors tout l'espace autour de nous.
- Pour ça. Pour tout ça. Pour cette virée. Ça fait bien longtemps que je n'avais pas autant ri.
Il exécuta une pirouette pour m'arracher un autre sourire. Il y parvint.
Les nuits qui suivirent, Tay et moi nous endormions ensemble. Quand il était à côté de moi, mes crises et mes délires s'apaisaient. Je retrouvais mon calme et Morphée m'accueillait à bras ouverts. Enfin, je ne craignais plus de fermer les yeux. Je ne craignais plus les démons de mes cauchemars. Je leur faisais face. Et si d'aventure, je m'éveillais en sursaut, j'avais quelqu'un à qui en parler. Je dormais d'un sommeil réparateur, d'un sommeil sans rêves.
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Les Frontières : Tome 2
FantasyLy ne sait plus du tout où elle en est. Cédric lui a été arraché. Il est retourné dans le domaine des Eaux et est sans doute fait prisonnier. Déterminée à le sauver, elle va tout tenter avec l'aide de ses amies et de Mathias. Ly a cependant bien d'a...