Chapitre 4

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À la sonnerie de dix-sept heures, indiquant la fin des cours, Dolores s'empressa de quitter le lycée. Cette journée avait été pour elle plus qu'atroce. Lors de la pause du midi, Ben l'avait rejoint alors qu'elle mangeait en compagnie de Patricia, alias Patie, et de Dalia, alias Dal. Il lui avait alors détaillé sa rencontre avec Val, Nikky, Nelson et Joe, en cours optionnel d'économie. Elle s'était retenue de lui dire qu'il s'agissait là des "populaires". Et que Nelson et Jeo étaient ce qu'elle avait appelé "des types comme lui", c'est-à-dire des faux rebelles qui se pensent supérieurs aux autres. Elle avait déjà eu quelques altercations avec eux durant les années précédentes. Dalia n'avait fait que parler durant ce déjeuner, et ce fut la première fois où Dolores n'aimait pas le bagout de son amie. Patricia était plus fermée vis-à-vis de Ben. Heureusement pour elle, elle n'avait pas eu cours avec aucun des trois cet après-midi. Mais il y avait aussi le soucis Pitt, qu'elle s'obligeait à mettre de côté. En fermant les yeux sur ce problème, peut-être qu'il disparaîtrait, qui sait.
Elle vit alors en sortant, juste devant le lycée, Ben, cigarette en bouche, parler avec Nikky. Nikky ou la femme conquête. Elle avait vingt ans, avait redoublée deux fois, et sa moyenne de petit-amis par an était de quinze. C'était le cliché même de la pétasse bien rodée, et c'est ça qui lui plaisait. C'était comme un rôle, cependant elle avait fini par devenir entièrement le personnage. Une caricature de la chaudasse par excellence. Mini-jupe, crop-top, maquillage prononcé. Il lui manquait une paires de talons, mais tout le monde savait qu'elle ne savait pas marcher avec ce genre de chaussures.
Ben reconnut Dolores alors qu'elle commençait à partir. Nikky lui prenait toute son attention, lui parlant d'une soirée de bienvenue, ou quelque chose comme ça. Il n'écoutait pas vraiment. D'ailleurs, elle du s'en rendre compte puisqu'elle lui tapota l'avant-bras.

-Eh! Je te parle. Tu ne m'écoute pas!
-Je suis désolé, mais je dois y aller.
-Quoi? Déjà?
-Je dois voir quelqu'un. Mais on se voit demain.

Elle posa son regard de braise sur lui, se mordillant la lèvre inférieure.

-Bon, d'accord. À demain alors.

Elle lui embrassa la commissure des lèvres puis telle une enfant comblée, elle se dirigea vers Val qui sortait du lycée. Ben suivit le chemin emprunté par Dolores, et il trouva, en tournant au coin de la rue, la voiture noire de Jackie. Il se faufila à l'intérieur, sur la plage arrière. La propriétaire du véhicule démarra aussitôt.

-Dolores m'a dit que tu te faisais des amis, souria la femme blonde.
-On peut dire ça comme ça.
-Tout se passe bien alors?
-Parfait.

Il croisa le regard vert pétillant de Dolores à travers le rétroviseur. Elle détourna la tête. Depuis le repas de ce midi, elle était étrange. Moins bavarde, moins présente. Et il était persuadé que tout ceci avait un lien avec le garçon de ce matin.

~

Dolores s'enferma dans sa chambre à peine rentrer chez elle. Pour le moment, elle examinera ses états d'âmes plus tard et elle se concentrerait sur ses devoirs. Elle ouvrit sa fenêtre pour entendre le chant des oiseaux. Elle s'installa sur son lit en tailleur puis se pencha sur ses exercices de physique.
Vingt minutes plus tard, tout était bouclé. Elle rangea dans son sac ses affaires avant de se laisser tomber sur son lit. Elle était épuisée. Soudain, on frappa à sa porte.

-C'est ouvert!

Quand elle vit la tête de Ben passer la porte, elle s'arma d'un oreiller qu'elle posa sur son visage en masquant un grognement de mécontentement.

-Qu'est-ce qu'il t'arrive?
-Laisse-moi tranquille.
-J'avais besoin de toi pour un devoir.
-Tu ne peux pas le faire seul?
-Eh bien si, mais étant donné que je ne comprends pas, ce sera difficile.

Elle se redressa, laissant tomber sa protection. Elle le détailla, alors qu'il attendait avec ses cahiers en mains.

-Ferme la porte derrière toi.

Un sourire s'accrocha sur les lèvres de Ben alors qui exécutait son ordre. Elle désigna son lit pour qu'il s'y installe.

-C'est les maths et la physique.
-Faisons d'abord la physique.

Elle se pencha pour prendre son crayon et elle commença à lui expliquer le fonctionnement des machines à turbines. Dolores faisait tout son possible pour être claire, et pour aussi se concentrer, car le parfum sauvage de Ben lui chatouillait les narines à chaque mouvement que l'un ou l'autre faisait. Un mélange de terre et de bois. Il lui posait des questions et répondait aux questions posées par la professeur lors de leur cours ce matin. Lorsqu'il eut finit, il se redressa fièrement, ce qui envoya un nuage de parfum à Dolores. Elle crut presque défaillir. Elle baissa les yeux pour ne pas croiser son regard. C'est ainsi qu'elle se rendit compte qu'il n'avait pas son cahier de mathématiques, et qu'il n'y avait d'ailleurs pas de devoirs dans cette matière.

-Pourquoi m'as-tu parler des maths alors que... Oh non!
-Quoi?

Elle quitta le lit pour rejoindre la fenêtre, éloignée de lui.

-Tu t'es moqué de moi! Nous n'avons pas de maths à faire.
-C'est vrai.

Il se leva à son tour. Sur la défensive, elle se recula à chaque pas qu'il faisait vers elle. Elle l'évitait, elle ne voulait pas qu'il l'approche.

-Je déteste qu'on se moque de moi.
-Ça tombe bien, moi aussi. Alors peut-être que tu peux m'expliquer pourquoi ton petit-ami n'a fait que de me lancer des regards noirs.
-Ce n'est pas mon petit-ami, lâcha-t-elle les mâchoires serrées.
-Vraiment?

Il finit par s'asseoir sur sa balançoire, elle face à lui, les muscles tendus.

-Oui, vraiment.
-Tu esquive encore ma question.
-Ça n'a rien à voir avec toi. C'est tout ce que tu as à savoir.

Il se mit à rire. Un rire dur, chaud, effrayant. Elle en eut la chaire de poule. Il était complément fou, pensa-t-elle.

-Je crois avoir deviné au moins une chose.
-Si tu aime perdre ton temps, continue toujours.
-Ta mère n'est pas au courant.

C'est vrai, sa mère ne savait rien, et c'était très bien comme ça. Personne ne savait, mis à part Dalia et Patricia.

-Tu cherche à me faire culpabiliser de je ne sais quoi pour que je t'avoue quelque chose qui n'existe pas.
-Il se passe quelque chose, cesse de mentir.
-Je ne mens pas.

Ben se leva d'un bond et s'avança vers elle. Il se pencha d'une lenteur voulue pour que ses lèvres frôlent son lobe d'oreille. Elle était immobilisée, son corps ne pouvait réagir alors que son cerveau lui criait de le repousser.

-Alors je découvrirais la vérité par moi-même, mais gare à toi si tu m'as menti, lui susurra-t-il d'une voix gutturale et suave qui lui procura une onde de frissons.

Il se détacha d'elle sans la regarder, quitta la chambre en une fraction de seconde, emportant ses affaires. Enfin seule, Dolores relâcha la pression accumulée pour pouvoir reprendre sa respiration. Elle avait peur de lui, peur qu'il découvre la vérité, mais la façon dont il lui avait parlé l'avait chamboulée, et son coeur qui battait la chamade en était la preuve. Pour lui, c'était un jeu, et il venait de lancer la partie.

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