Chapitre 2

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Jackie faisait les cent pas dans le salon de sa maison de banlieue, à deux doigts de la crise cardiaque. Sa fille, Dolores, savourait en silence un livre, lunettes de lecture sur le nez, sans se préoccuper de sa mère. Elle trouvait son comportement exagéré. Ce garçon n'était tout de même pas un monstre ni une biche sauvage perdue! Il fallait rapidement que Jackie cesse ses mouvements, car la patience de la jeune fille allait bientôt céder. Impossible pour elle de se concentrer sur ce qu'elle lisait!
Lorsque la sonnerie se fit entendre, elles échangèrent un regard. Dolores soupira, délivrée de l'anxiété terrifiante de sa mère, et Jackie inspira profondément pour se remettre d'aplomb. Elle laissa sa fille pour rejoindre l'entrée. Dolores pu ainsi continuer avec plus d'attention son livre. Elle s'en moquait de qui allait vivre chez elle, de comment il était, tout ce qu'elle voulait c'était pouvoir lire en paix, le reste n'était que du chichi de la part de sa génitrice. La voix de Lili se fit entendre, puis une autre, plus rocailleuse, métallique. Elle en eut des frissons. Impossible pour elle de continuer sa lecture. Ce n'était pas un jeune garçon de quatorze ans, songea-t-elle. Il était plus âgé que cela, et sa voix semblait correspondre à un passé douloureux.

À l'entrée, Ben écoutait peu la conversation entre les deux femmes. Sans savoir pourquoi, il était tendu. Peut-être parce qu'il savait que Jackie était sa planche de salut, et que si cette dernière chance lui échappait, il serait fichu.
Lili posa sur lui un doux regard qui le fit culpabiliser pour tout ce qu'il lui faisait endurer. Elle du se mettre légèrement sur la pointe des pieds pour l'embrasser sur la joue, malgré ses talons de dix centimètres.

-Je compte sur toi Ben. Sois sage, et reste gentil avec Jackie et Dolores. On se voit dans deux semaines pour savoir si tout se passe bien, et après j'espère ne plus te revoir dans ces conditions.
-Promis Lili.
-Je vais bien m'occuper de lui, ne t'en fais pas, la rassura Jackie.

Après les salutations, Jackie emmena Ben au salon, lui faisant visiter au passage la salle à manger et la cuisine. Une jeune fille était assise dans un fauteuil, elle le fixait silencieusement. Il fut frappé par l'éclat de son regard. Un vert intense, translucide, qui contrasté avec ses cheveux bruns courts. Elle portait un simple jean avec un sweat-shirt bien trop grand pour elle. Il remarqua, posés sur ses genoux, un livre et des lunettes.

-Ben, voici ma fille, Dolores. Ma chérie, voici Ben.
-Enchanté, commença Ben.
-Moi aussi.

La voix de la jeune fille était douce, presque inaudible, et il en fut chamboulé. Une sonnerie de téléphone coupa ce moment de rencontre. Jackie les regarda tour à tour.

-Dolores, fais visiter à Ben l'étage, et montre lui sa chambre.

Sur ces mots, elle sortit par la bée vitrée pour rejoindre la terrasse arrière. Les deux adolescents se regardèrent, en silence, tous deux surpris. Il s'attendait à voir une fillette de quinze ans totalement étrange; elle, un garçon de quatorze ans déséquilibré et incontrôlable. Elle se leva et le rejoignit. Il la suivit à l'étage, son sac de vêtements sur l'épaule. Elle ouvrit une porte et entra. C'était une chambre plutôt spacieuse, avec un grand lit, une fenêtre qui donnait sur l'avant de la maison, une grande bibliothèque et une balançoire accrochée à une des poutres. La décoration le surprit. Il y avait des images et des maquettes de planètes un peu partout. Elle déposa sur le bureau ses affaires et le rejoignit.

-C'est ma chambre.
-J'avais cru comprendre.

Elle le dévisagea sévèrement. Le ton insolent qu'il prenait ne lui plaisait pas. Ils continuèrent leur visite. Elle lui montra la salle de bains, la laverie, et lui désigna la chambre de sa mère au fond du couloir, lui faisait bien comprendre que c'était un lieu interdit, tout comme sa chambre à elle. Elle s'aventura dans une pièce pas très loin de sa chambre, l'invitant à entrer. La décoration était sobre, mais il retrouvait quelques affaires à lui. Ben posa son sac au pied du lit alors que Dolores allait ouvrir la fenêtre. Dans la penderie, il trouva le reste de ses vêtements parfaitement rangés.
Dolores l'observa en silence. Il était grand, très grand, il avait d'horribles cernes, la mâchoire carré, les traits fatigués et marqués. Ses cheveux étaient d'un noir ténébreux, ses yeux marrons foncés. Ses yeux! Il l'avait vu l'observer! Elle détourna le visage et arpenta la pièce. Elle allait sortir mais finalement elle s'installa contre la porte après l'avoir fermée. Leurs yeux se croisèrent. Dolores se pinça les lèvres.

-Pourquoi ton ancienne famille d'accueil ne voulait plus de toi? demanda-t-elle soudain.
-Je te demande pardon?
-La question est claire il me semble. Pourquoi t'es-tu retrouvé au foyer?
-J'ai fait une erreur.
-Laquelle?
-Ça ne te regarde pas.
-Te cache-tu toujours derrière cette image du mec intouchable ou il t'arrive de comprendre que tes actions peuvent avoir des répercutions?

Ben s'approcha doucement d'elle, sourire en coin. Ça ne le touchait plus, qu'importe ce qu'elle dirait, il s'en ficherait royalement. Il posa une main au-dessus d'elle et la dévisagea.

-Et pourquoi me demande-tu tout ça?
-Parce qu'il est hors de question que tu fasse n'importe quoi ici, et que ma mère se fasse du mauvais sang pour toi. C'est bien comprit?
-Tu cache bien ton jeu en tout cas.
-Comment ça?
-Tu n'es pas la petite fille modèle pour laquelle tu te fais passer.
-Je te préviens juste qu'il est hors de question que tu fasse du mal à ma mère. Je les connais les types comme toi.

Il se recula, sourcils relevés.

-Les "types comme moi"?
-Il y en a des comme toi au lycée. Vous vous croyez tout permis, le monde vous appartient, et vous vous en moquez de faire du mal aux autres. Sauf qu'ici, c'est différent.
-Écoute, tu ne sais rien de moi, alors à ta place j'éviterais de me mettre dans le même sac qu'une bande de guignols que je ne connais même pas.
-Tu n'auras cas juger par toi-même lundi alors.

Sur ces mots, elle ouvrit la porte et sortit, le laissant seul. Ce garçon était mystérieux, beaucoup trop. Il se cachait derrière une fausse image de lui, et il ne voulait pas laisser échapper la moindre information sur sa vie.
Ben secoua la tête, décontenancé. Cette fille n'était pas banale. Elle semblait lui vouer une animosité très appuyée alors qu'ils ne se connaissaient pas. Le comparer aux tocards de son lycée! Il ne jouait pas un rôle pour attirer des filles ou pour être l'idole de tous. Non, lui, la vie ne l'avait pas épargné, et elle pensait qu'il se donnait une image, qu'il jouait à être un autre que lui-même.

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