Chapitre 32

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Quinze minutes plus tard, Dolores sortit de la maison puis verrouilla la porte. Elle alla jusqu'à la voiture, s'installa côté passager. Ben tourna le regard vers la jeune fille mais le détourna aussitôt. Il n'arrivait pas à la regarder en face après ce qu'il venait de se passer. Il mit le contact. La voiture quitta l'allée. Les deux adolescents restèrent silencieux un long moment. Aucun des deux n'était de coeur à discuter. Ils étaient dans leurs pensées, et ils avaient peur d'adresser la parole à l'autre.

-Kenza ne m'en veut pas trop d'être partie? Elle a essayé de me retenir mais je n'ai rien écouté.
-Elle ne t'en veut pas, ne t'en fais pas.
-J'aurai du l'écouter...
-Tu avais besoin d'être seule, ça se comprend. Tout le monde était d'accord.
-Je devrai m'excuser auprès d'eux.
-Ils ne t'en veulent pas.
-Je te dois des excuses à toi aussi.
-Absolument pas.
-J'ai toujours tout fuit, et hier j'ai fait ce que je sais faire de mieux.
-Tu as été touchée par ce que Mélodie t'a dit, et tu ne voulais voir personne, je ne t'en veux pas.
-C'est gentil.

Il lui souria légèrement et détourna les yeux sur la route. De longues minutes encore passèrent dans le silence, avant qu'ils ne se retrouvent dans un quartier que Dolores ne connaissait pas, mais dont elle connaissait la réputation. Le pire quartier de la ville. Les maisons n'étaient pas très bien entretenues, les gens n'inspiraient pas confiance. Absolument rien ne semblait aller ici. Ils s'arrêtèrent à un feu rouge, au croisement de deux rues que Ben connaissait très bien. Le feu au vert, il se gara quelques mètres plus loin. Ils avaient vu sur le petit parc où le jeune homme avait passé beaucoup de temps dans sa jeunesse.

-Pourquoi t'es-tu arrêté ici? questionna Dolores, intriguée.
-Tu vois ce parc de jeu?
-Oui.
-Et la balançoire? Où il y a le petit garçon avec son pull bleu.
-Oui. Il est très mignon d'ailleurs. Mais...
-J'ai passé des soirées et des journées entière assis sur la balançoire de gauche. En compagnie de Kenza, qui était toujours sur la balançoire de droite. On était voisins, et chez elle c'était toujours la guerre entre ses parents. Elle se sentait seule. Et chez moi c'était l'enfer. J'avais besoin d'un soutien. Nous nous sommes retrouvés rapidement. Je me rappelle, la première fois que je l'ai vu. Mes parents se disputaient à cause de moi, mon père a voulu m'attraper pour me frapper. J'ai pu sortir, et je l'ai vu, en face, sur le trottoir, elle jouait avec un bâton. J'ai traversé. J'entendais aussi ses parents crier. Nous avons pleuré sans même échanger un mot. C'est la dernière fois que j'ai pleuré de toute ma vie.

Dolores ne put s'empêcher de poser sa main sur l'avant-bras de Ben afin de lui montrer qu'elle était avec lui. Il peinait à raconter ses souvenirs. D'ailleurs, il avait toujours refusé de lui parler de son passé à chaque fois qu'elle lui demandait. Il n'évoquait jamais sa vie d'avant.

-Pourquoi me raconte-tu tout cela Ben?
-Pour que tu comprenne pourquoi je ne parle jamais de mon passé. Pourquoi je suis moi maintenant. Et pourquoi je ne partage jamais ce que je ressens.
-Je pense que je commence à comprendre.
-Après cet événement avec Kenza, on se retrouvait chaque après-midi, après l'école, et on venait ici. Je connaissais bien l'endroit, c'était mon petit refuge à moi. À l'époque, aucun enfant ne venait ici. Kenza ne connaissait pas grand chose mis à part sa maison et son école.
-Elle m'a raconté que ses parents étaient très stricts.
-Elle vivait un calvaire avec eux. Son père était violent avec sa mère. Heureusement, jamais elle ne fut sa cible.
-Oui, heureusement. Mais ce n'était pas ton cas... Je suis désolée pour toi.

Ben leva le regard vers Dolores, elle le regardait avec énormément de tendresse et de force. Il posa sa main sur sa joue. Elle ferma les yeux pour apprécier l'instant présent.

-J'ai toujours connu la violence chez moi tu sais. C'est pourquoi je l'ai dans ma nature. Je me rappelle de tout. Mon père qui frappait ma mère, elle qui ne disait rien. Eux deux en train de boire une heure après devant un vieux feuilleton. Et moi qui attendait pour manger. J'avais cinq ans. Plus les années passées, plus je devenais indépendant, moins ils aimaient ça. Je prenais de sacrées coups. Je me souviens, un dimanche matin, j'avais cassé une assiette en voulant me préparer mon déjeuner. Il était treize heures, ils étaient complètement saouls, j'avais sept ans. Mon père m'a puni par les poings. Ma mère m'a enfermé dans un placard. Le lendemain j'y étais encore, ils m'avaient oublié. C'est ma tante qui m'a découvert. Une toxico. Mais elle faisait en sorte que ma vie soit plus supportable. C'est à partir de là que j'ai commencé à aller en famille d'accueil la semaine. Deux ans plus tard ma tante est morte, mes parents n'ont pas voulu que j'aille à son enterrement. Je n'ai pas pu pleurer car j'y étais incapable. Si je ne te parle pas à coeur ouvert de mes émotions, ce n'est pas pour te faire du mal princesse. C'est juste que je ne suis pas capable de le faire. Tout ce que j'ai pensé ou ressenti dans ma vie, je l'ai toujours enfui en moi. Sache que tu es la seule à qui je l'ai dit, et je tenais à ce que tu apprenne tout par moi.

Dolores embrassa la paume de main de Ben, léger sourire sur les lèvres.

-Je comprends. Excuse-moi d'avoir douté de tout, et surtout de toi. J'ai été égoïste, pardonne-moi.
-Tu avais tous les éléments pour douter.

La jeune fille se pencha en avant, s'appuyant sur le dossier de son siège, pour pouvoir offrir un doux, voluptueux et prometteur baiser à l'homme si fort qu'elle avait face à elle. Il répondit avec envie à cet échange, et très vite il s'accapara ses lèvres pour les malmener un peu dans un baiser plus passionné et sauvage. Dolores se dégagea rapidement de l'étreinte de Ben, comme pour le punir de la peine qu'elle avait ressenti ces dernières heures.

-Tu n'es pas incapable d'exprimer et de ressentir des sentiments. Bien au contraire, souria la jeune fille. Si tu le veux bien, je peux t'y aider, avec toute la patience qu'il me reste.
-Ça veut dire que...
-Je ne t'embrasserai si je ne voulais pas de toi. Laissons nous une chance.
-Tu ne peux pas savoir comme je suis heureux!
-Il y a une chose qui me ferait plaisir, à moi aussi.
-Dis-moi et je m'exécute.
-Est-ce que tu pourrais me montrer la maison où tu as grandi?

Le visage de Ben devint blême. La maison... Cette maison. En était-il capable? Le voulait-il vraiment?

-Je ne pense pas que...
-Ça me ferait plaisir. Et ça me permettrait de tout comprendre réellement. Je ne te demanderai rien sur ton passé et je n'en plus après cela, si tu ne le veux plus.
-Bon... Mais on ne reste pas longtemps.
-Promis. Surtout, n'oublie pas, nous ensemble un couple, nous sommes ensemble, alors je suis là, pour toi.
-Merci princesse.

Ben démarra et s'engagea de nouveau dans la circulation peu dense de ce quartier de Chicago. Dix minutes plus tard, c'est tendu que le jeune homme se gara au bout d'une rue. Les maisons étaient vielles, mal entretenues, les jardins avant étaient défraîchis. Aucun enfant n'aurait pu s'amuser sur de telles pelouses. Les arbres étaient tous morts ou coupés, il y avait des nids de poules sur la route. Et la saleté des habitants rendait les lieux misérables. On pouvait facilement voir des canettes de bières, des sachets de chips, des matelas, des vêtements border les trottoirs. Les passants semblaient tous malhonnêtes. Dolores n'était absolument pas rassurée.

-Je rêve ou il y a un homme qui se drogue là-bas? demanda la jeune fille, effarée.
-C'est Bob... Il est toujours...
-Tu le connais?
-Il traînait toujours dans le quartier. Même si ça ne semble pas sauter aux yeux, c'est un brave type. Mais la drogue a fait ses ravages.
-C'est si triste...
-On n'a que ça quand on vit ici.
-Et où est la maison de ton enfance?
-C'est celle avec la boîte aux lettres au sol. En face, celle de Kenza. Ses parents sont morts il y a quatre ans, d'autres personnes ont repris la maison. Je crois que c'est quand ils sont morts qu'elle a commencé à vraiment être heureuse. Même si, au fond d'elle, elle garde une part de tristesse, car elles les aimaient quand même.
-Elle semble si radieuse aujourd'hui que j'ai du mal à penser qu'elle a vécu l'enfer durant des années.
-On a tous eu une vie plus ou moins difficile.
-Mais vous avez su remonter la pente. Est-ce que tu m'en voudra si je te dis que ta maison d'enfance est affreuse? ricana Dolores.
-Je ne t'en tiens pas rigueur.

Ben se mit à rire à son tour, mais perdit vite son sourire éclatant pour faire une mine déconfite. Dolores regarda dans la même direction que lui, c'est-à-dire vers cette fameuse petite baraque.

-Ben... Ce... ce sont tes parents?
-Taylor et Helen Myers.
-Ça fait combien de temps que tu ne les as pas vu?
-Huit ans environ.

La jeune fille posa une main sur la cuisse de cet homme si tourmenté. Elle se laissa aller contre lui, le serrant dans ses bras.

-Je suis avec toi.
-Tu sais ce qui m'effraie le plus?
-Non, dis-moi.

Elle releva les yeux vers lui pour pouvoir lire dans son regard une émotion quelconque. Mais rien.

-C'est que je ne ressens rien en les voyant. Même pas un brin de colère. Pour moi, ce ne sont plus mes parents depuis des années. Ma famille, c'est Jackie et toi.

Dolores souria, touchée par ce que Ben lui disait. Or, plus que touchée, elle était fière de lui, car il avait laissé sa rancoeur et sa haine, et c'est ça qui était le plus beau. Le nouvel homme qu'il était devenu.

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