Semaine 1

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Mercredi 19 novembre,
Cher journal, 
Que dire? Les mots ne me viennent pas. Est-ce seulement possible de décrire ce que j'ai fait? Je suis partie. Je n'ai que ces mots à la bouche. Mais, ce n'est pas la délivrance même. C'est aussi un tiraillement. Je ne sais pas ce qui m'a pris. Quoi qu'il en soit, j'y suis et j'y reste. En vérité, ce matin, après être arrivée devant le collège avec mon bus, j'ai aussitôt pris un autre bus qui m'a conduite jusqu'à une ferme dans un... Trou paumé. Complètement.
Il y a une chose de bien : ici, mon hôte ne me reproche pas de ne pas être à l'école. Je ne lui ai rien dit, on ne peut faire confiance à personne dans mon cas. Seulement à soi. Et encore, j'en doute. Peut-être en un objet. Ou je ne sais pas. En tous cas, je te fais confiance.
J'ai profité de ne rien avoir à faire pour trouver ma réponse à ma question. Le problème, c'est que je n'ai pas tout compris. Il semblerait que j'aie dit que Tom était énervant, pas drôle et que Lucas n'était pas mieux à une prof, lorsque j'étais déléguée. Pourquoi? Je ne sais pas. C'est flou. Enfin, je ne pense pas que ce soit un motif pour que l'on m'harcèle. C'est comme ça. C'est de ma faute, de la leur, de mon âme, de la leur. Peu importe. Maintenant, c'est fini. Ou plutôt la torture est finie. Je ne me fais pas de films, je sais que j'aurais beaucoup de problèmes aussi de cette manière.
Allez, je vais travailler pour gagner un peu.
Liv, en pleine réflexion.

Jeudi 20 novembre
Cher journal,
Cette nuit je n'ai que très peu dormi. Quelle idiote je suis... Je croyais oublier tous mes soucis, mais c'est pire : d'autres se rajoutent! Maintenant j'ai peur que l'on me tue me séquestre, me batte, me viole même! C'est te dire à quel point c'est horrible! Je doute, pourtant au fond de moi, je me dis qu'il faut que j'aille au bout, que je rejoigne mimi. C'est insupportable. La douleur est plus vive que tous les coups et les injures qu'on m'a porté. J'aurais du en parler. Je ne souhaite à personne de faire les mêmes erreurs que moi.
Je travaille comme un forçat, le balai, la pelle, la poussière m'entourent. Je paye ma pension en travaillant. L'homme n'a pas un regard de travers, n'ouvre pas la bouche, il me laisse seulement des mots qu'il glisse sous ma porte. Et j'ai mes devoirs : nettoyer, déplacer, ranger, cirer, aller chercher les courses... Et je m'endors en pleine journée. Je t'écris ici dans mon lit, pas pour longtemps crois moi. Trop mal aux mains, aux jambes, à la tête, qu cœur. Oui, mon cœur me fait mal. Il n'est plus que confettis. C'est ma tête qui décide. Mon cœur donne son avis, c'est tout.
Liv, plus fatiguée que jamais.

Vendredi 21 novembre,
Cher journal,
Aujourd'hui j'ai décidé de bouger. Mon "patron" m'a annoncé que sa femme de ménage habituelle était revenue (autrement dit : «dégage!»). J'ai emmené toutes mes affaires, j'ai pris le bus pour aller en ville, devant la gare. Le train m'emmène jusqu'à Toulouse, bien loin de mon Nord natal. Pourquoi Toulouse? J'avoue ne pas savoir. Je pense simplement aller dans un petit patelin, de la même maniere que ma première expérience.
J'ai quand même quelque chose de positif à t'annoncer : chez l'homme, j'ai volé un T-shirt de femme (un peu grand mais on fait avec) et des baskets. Ma pointure en plus! De cette manière, je pourrais m'habiller en circonstances. Pas de bottes fourrées quand il fait 30 degrés dehors!
Oui, d'ailleurs je ne t'ai pas vraiment répondu à la question «Comment sommes nous arrivés au harcèlement?». Je crois que j'ai trouvé. En vérité, je voulais me plaindre d'eux qu nom de la classe, autrement dit qu'ils embêtaient beaucoup d'élèves inintentionnellement, afin qu'ils modifient leur comportement. Autant te dire que l'autre délégué était bien content de pouvoir semer la zizanie. Il l'a raconté, et moi j'ai démissionné de mon poste. Normal, je pense. Et puis ils ont commencé à dire que j'étais une chochotte, que j'étais une "faux-cul", que je trahissais mes amis... Tout le monde a trouvé ça cool et pour avancer leur "coolitude" ils m'ont frappée. Encore mieux. Pas encore le summum. Ils m'ont injuriée, m'ont joué des tours, m'ont poussée, m'ont fait saigner... Premiers de la coolitude. Ouaw! Tellement bien! 
Liv, trop énervée pour continuer.

Samedi 22 novembre
Cher journal,
Aujourd'hui a beau être un jour de week-end, je travaille. Je suis obligée. Même si mon arrivée ne débouche sur rien, il faut que j'y arrive coûte que coûte. Et entière avec ça. Bref, ici, mon boulot c'est de faire la nounou. Pour des aristos. Tant mieux. En plus on est dans un manoir en pleine campagne. Les enfants regardent à peine la télé. Le père lit les journaux et écoute la radio quand il ne travaille pas. La mère est vendeuse en maroquinerie de luxe. Je suis un peu payée en plus de mon logement et de la nourriture. Les enfants sont très gentils en plus! J'aurais eu de bonnes choses dans cette petite vie finalement.
Les seuls qui m'écoutent, ce sont les enfants. Captivés. «Tes histoires elles sont trop bien!». «T'es gentille et trop belle!». Quels anges! Apparemment il y a aussi un garçon de mon âge, mais il est parti dormir chez un ami. Je n'en sais pas plus. Si ça se trouve, quand il me verra il aura envie de le harceler. Alors tout serait de ma faute. Je n'ai pas l'intention de rester ici de trop, mais au moins une semaine. Les petits n'ont plus leur ancienne nounou. Elle est malade. Alors ce serait mieux de la remplacer. Les pauvres, ils n'ont pas envie d'aller chez leurs grands-parents!
Enfin bref, aujourd'hui a été une belle journée, remplie de sourire et de belles paroles. Une journée de bonheur.
Liv, enfin radieuse.

Dimanche 23 novembre
Cher journal,
Ils ont allumé le poste de radio. Ils ont annoncé une fugue. Tu vois laquelle. Je n'écris pas trop. Je te raconte tout demain, quand je serai partie. Je leur ai dit que mon grand-père etait très malade. Ils m'ont crue, comme d'habitude. Je ne prends pas trop de risques et m'arrête là.
Liv, affolée.

Lundi 24 novembre
Cher journal,
Hier, je n'ai pas eu à faire le ménage. Jour de congé. J'ai rencontré le garçon. Il s'appelle Camille. Il est prétentieux et extrêmement énervant. Heureusement que mes petits loulous étaient là. Nous sommes tous allés à la messe, même moi qui suis athée. J'avais besoin de croire. De parler. De parler au moins à mimi.
Après la messe, j'ai pu goûter au gibier. J'ai noyé de compliments les chasseurs et le cuisinier. Certainement pas les parents; ils ne font rien. Tout ce qui demande un effort, même le plus minuscule, c'est fait pas un employé. Aller coucher les enfants, faire le lit, cueillir des fleurs, ranger le bureau... Oh, non! Ils travaillent bien assez! Et j'ai pu aussi voir qu'ils chouchoutaient les petits. Même si c'était moi qui m'en occupait. Le bain à 37,5°C, le repas haché menu, l'histoire avec des dessins, tout celadoit être parfaitement exécuté. Je n'ai rien à redire puisqu'ils sont mignon. Mais ils rejettent l'aîné. Et l'aîné s'acharne sur les employés. "Monsieur, madame, pouvez vous chouchouter votre aîné?". Tiens, je vais te prouver combien il est... Je ne trouve pas les mots... Enfin, voilà à peu près notre conversation ce matin :
"T'es qui toi?
- La nourrice de tes frères.
- Ah, tu me tutoies? Tu as juste 16 ans, et tu me tutoies? Même le cuisinier qui a plus de 50 ans me vouvoie!
- Pardonnez-moi cher monsieur... Monsieur, hum?
- Camille. Monsieur Camille, aîné de la famille de Hautbois.
- Monsieur Camille de Hautebois?
- T'es même pas foutue de répéter? Fous le camp. Et ne me parle plus. Tu fermes ta gueule à partir d'ici."
Tu auras remarqué que j'ai menti sur mon âge. J'étais bien obligée, sinon pas de travail.
Liv, seule à jamais.

"Désolé. Je ne savais pas. J'ai lu les dernières pages. Je m'excuse. Tu m'as ouvert les yeux. Et donné le feu de départ. Merci. Je te rejoins et te ramène ton journal."
Victor.

Mercredi 26 novembre
Cher journal,
Je ne t'ai pas écrit hier, simplement parce que tu n'étais pas là. Mais il y a un cas de force majeure dont je dois te parler. Et tu dois m'aider.
"Victor" a écrit. Et tu sais qui il est? C'est Camille! Il t'a ramené à moi! Comment un être si... Enfin, si déplaisant, peut tout à coup être gentil? Il m'a proposé d'écrire, de veiller devant la tente... Je ne sais plus ce que je dois penser. Est-il un garçon sympathique ou un snob écœurant? Pour l'instant, je ne lui parle pas. Je lui répond seulement quelquefois. 
Tu te demandes maintenant peut-être où on s'est installés. Eh bien j'ai décidé de me rendre en Vendée, parce que j'étais éloignée de Toulouse et du nord. Et puis mon arrivées se situe en Bretagne et à partir de la Vendée, si on prend nos précautions, on y arrivera dans à peu près une semaine. Je n'ai pas l'intention de vagabonder trop longtemps. Je veux arriver auprès de mimi. Par contre, je ne sais pas ce que va devenir Camille après. On verra bien...
La vie marche à ta naissance,
Trotte pendant ton enfance,
Fais des bonds pour ta jeunesse,
Galope vers la mort dans tes heures de vieillesse.
Liv, à fond dans les rimes.

Jusqu'au BoutOù les histoires vivent. Découvrez maintenant