3/ Cendrillon et équations

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"Cette horloge...quelle rabat-joie. Oui je t'ai entendu: « Debout, lève-toi Cendrillon. Au travail ! » Même l'horloge me donne des ordres. Mais jamais personne ne pourra m'interdire de rêver et peut-être qu'un jour, mon rêve deviendra vrai." Cendrillon.

— Un bal ?

Ce fut les mots qu'on entendit fuser de partout ce matin au lycée. Les invitations pour le grandiose bal d'hiver annuel venaient d'être distribuées et tout le monde n'avait qu'une hâte : y aller pour les plus chanceux qui avaient déjà de la famille bien placée, ou bien pour les autres arriver à venir en se faisant accompagner. Tous ceux étant invités d'office étaient soudain devenus super populaires. Tout le monde voulait une place.

Astrid ne se faisait pas d'idées, son bal à elle, ça allait être chez elle avec son frère et ses amis. Malgré tout, elle s'autorisait à imaginer la merveilleuse robe qu'elle aurait pu porter. Un sourire se dessina sur ses lèvres alors qu'elle rêvassait là-dessus à la bibliothèque. Si seulement elle aussi avait des potes souris et une marraine avec des pouvoirs magiques. Elle transformerait le bus qu'elle prenait tous les matins en carrosse doré et son éternelle paire de Converses en souliers de verre.

Une voix familière la sortit alors de ses pensées.

— Hey... Je ne savais pas que les équations à deux inconnues étaient quelque chose de particulièrement drôle. Mais... si tu as une théorie à m'expliquer je prends.

Astrid releva la tête de son exercice de maths et son regard se retrouva prit au piège par les plus beaux yeux bleus qu'elle connaissait. Même dissimulés derrière la fine paire de lunettes dorées qui ornaient le visage du prince, ils restaient incroyables. Incroyablement bleus, incroyablement beaux, était-ce déjà possible d'avoir des yeux de cette couleur ? C'était comme si l'on avait pris toutes les nuances du ciel pour les offrir à une seule et même personne.

— Astrid ? Je te parle.

Ah oui, évidemment, il allait falloir tenir une conversation maintenant. Concentre toi un peu Astrid. C'est ton moment. Pourquoi il lui parlait déjà ? Elle devait avoir l'air débile à sourire ainsi en même temps. Ça devait le déranger. Oh et puis elle n'en savait rien.

— Oui, oui bien sûr. Je... Je réfléchissais à la robe que j'allais porter au bal. Tulle ou satin ? Une décision compliquée n'est-ce pas ? improvisa-t-elle.

Ange pencha la tête sur le côté, visiblement insatisfait de sa réponse.

— Le bal ? Je ne pensais pas que tu allais y aller.

Astrid se mordilla légèrement la lèvre. Il avait raison.

— Je... Oui sauf si quelqu'un m'invite. Et... quelqu'un va m'inviter, lâcha-t-elle plus sûre d'elle. Oui quelqu'un va m'inviter. Donc je vais au bal.

— D'accord, j'ai hâte de t'y voir alors, lui répondit Ange avec un léger sourire en coin. J'aurai dû me douter que les équations n'étaient pas un sujet particulièrement hilarant.

La jeune fille lui sourit en retour. Ils étaient entourés de livres, dans son coin favori de la bibliothèque. Elle se sentait particulièrement bien avec Ange ici. Même si elle venait de lui mentir et de se mettre dans le pétrin toute seule, mais ça c'était une autre histoire.

— Je peux te demander ce que fabrique le garçon le plus populaire de l'école au fond de la bibliothèque, entouré de livres que personne ne lit jamais, au lieu de taper dans un palet avec une crosse sur le lac gelé ?

— C'est là tout ce que tu penses de moi ? Je te trouve bien fermée d'esprit mademoiselle Astrid. Le hockey sur glace c'est sympa, mes amis y jouent c'est vrai. Mais il n'y a pas de meilleur endroit que le fond de cette bibliothèque lorsque je veux être seul et tranquille. Sauf qu'il s'avère que tu as prit mon endroit.

— Et avec tout le respect que je te dois je ne compte pas te le rendre. Tu as un palais avec une bibliothèque encore plus grande que celle-ci.

Ange leva les yeux au ciel.

— Fermée d'esprit et pas partageuse en plus de ça ?

Astrid laissa échapper un léger rire et lui tendit Oliver Twist, calé sous son cahier de maths.

— Je te le prête et on partage cette partie de la bibliothèque. Marché conclut ?

Ange hocha la tête et lui attrapa la main pour la lui serrer. Il se garda bien de lui dire qu'il avait déjà lu la plupart des romans de Dickens. La présence d'Astrid était rafraîchissante et le changeait de ses habitudes. Il était juste content de pouvoir passer du temps avec elle et pourquoi pas apprendre à la connaitre. Tout ce qui pouvait lui changer les idées il prenait de toute façon.

Vous vous en doutez certainement. Nous assistons là aux prémices d'une histoire d'amour. Je ne vous l'avais pas précisé au départ, mais dehors, alors qu'Ange se mettait à aider Astrid avec ses équations, la neige tombait. Vous trouvez ça cliché ? Moi aussi, mais avouez que c'est mignon. Peut-être même que cela vous a-t-il tiré un sourire.

.................

Lorsqu'ils sortirent de la bibliothèque, il faisait nuit noire. Astrid eut un sourire en sentant la neige crisser sous la semelle de ses Converses. Ça pouvait paraitre fou, mais il suffisait que le paysage se couvre de ce doux voile blanc pour qu'elle soit instantanément plus heureuse.

Elle fit quelques pas vers l'arrêt de bus et tenta un sourire en direction d'Ange. L'après midi était passée à une vitesse folle, mais là, éclairés par le lampadaire à côté de l'arrêt, les flocons semblaient tomber au ralenti.

Une voiture noire se gara devant eux, la sortant de ses pensées.

— C'est mon chauffeur, lui lança Ange. Ça ira pour rentrer ? On peut te déposer sinon.

Astrid secoua simplement la tête. Ce n'était tout simplement pas sa place. Et puis elle savait que son frère ne serait pas content de la savoir trainer ainsi avec le prince.

Elle lui fit donc un signe de la main et s'installa sous l'abri de bus. Le froid lui piquait les joues. Elle resserra son écharpe en essayant de ne pas trop refaire tourner en boucle dans sa tête les quelques moments qu'elle avait passé avec Ange.

Une longue demie heure plus tard, elle descendait du bus et marchait la centaine de mètres qui la séparait encore de chez elle. Elle habitait en périphérie de la ville, loin du palais et de l'effervescence du centre-ville. Ici, pas de décorations de Noel hors de prix, pas de dorures sur les fenêtres. De simples petits immeubles étaient alignés et les allées étaient bordées de bonhommes de neige réalisés par les enfants en rentrant de l'école. La seule décoration dans la rue payée par le royaume grésillait depuis le plus loin qu'Astrid s'en souvenait.

Mais c'était chez elle et elle s'y sentait bien. Elle s'arrêta devant un immeuble en tout point semblable aux autres, grimpa dans l'ascenseur et s'arrêta au dernier étage. Un sourire se dessina sur ses lèvres lorsqu'elle sentit l'odeur qui avait emplie le perron de son appartement. 

De la cannelle. Son frère avait cuisiné.

Elle poussa la porte, retira ses Converses, puis accrocha son manteau à côté de celui d'un uniforme de garde du palais. 

Flocons royaux [VOLUME 2]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant