Chapitre IV - Un nouveau départ

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Installé à Paris depuis quelques jours, Pol s'était déjà habitué au rythme infernal de la ville.

Il commença son travail de coursier à vélo, ce dernier étant très pratique pour slalomer entre les bus et les voitures, et découvrait tous les jours de nouvelles boutiques ou hôtels particuliers.

Il était dans le stade où comme tous les provinciaux nouvellement arrivés, il s'émerveillait naïvement devant tout ce condensé de raffinement et de beauté tout en croisant les indigènes aigris qui le bousculaient dans leur course quotidienne contre le temps. Il s'abaissa même, contre toute fierté, à photographier la tour Eiffel dont la présence pourtant magnifique rendait indifférents les habitués des boulevards.

Longer la Seine, traverser la Concorde, survivre au redoutable manège de la place de l'Etoile, tout ceci était devenu sa routine qui pouvait en faire rêver d'autres. Sa nouvelle vie lui réservait des surprises au quotidien. Un matin, au détour d'une rue, alors qu'il venait de livrer une simple orchidée qu'il avait dû transporter entre ses jambes à travers plusieurs arrondissements, il croisa une rayonnante autochtone.

Lunettes de soleil sur un épatant nez grec, haut signé d'un grand couturier, léger pantalon bleu azur qui laissait entrevoir des chevilles encore bronzées de l'été, prolongées par des pieds nus dans de fines chaussures beiges, le cou émanant une fragrance de petite robe noire, sans oublier les écouteurs d'un smartphone dernier cri enfoncés dans les oreilles, la parisienne, reine des rues ensoleillées, approchait avec une indécente confiance en elle. La détermination de ses foulées semblait imperturbable, elle donnait l'hypnotique illusion de léviter à quelques centimètres du sol tellement ses pas étaient légers et il n'y avait aucun doute que l'oxygène qui l'environnait - comme les bâtiments, les véhicules en stationnement, les panneaux de signalisation, les pavés de la rue voire les quartiers voisins - lui appartenait à mesure qu'il entrait dans le territoire sacré de son espace vital.

Le trottoir était malheureusement trop étroit pour deux, et l'inévitable arriva. Pol se décala sur sa droite. Elle se décala du même côté sans prendre garde, comme pour éviter un poteau, trop occupée à pianoter sur son téléphone. Lorsqu'elle l'aperçut il était déjà trop tard, il s'était redécalé à sa gauche et elle à sa droite, en gros du même côté. Il s'en fallut de peu qu'ils ne s'entrechoquent. Ils s'arrêtèrent, nez-à-nez, et la réaction ne se fit pas attendre :

- Mais pardon ! lui lança-t-elle, outrée d'avoir été stoppée dans sa marche élancée de jeune femme moderne et indépendante et que quelqu'un ait osé lui gâcher le refrain du dernier succès de Lilly Wood and the Prick.

- Oh pardon, répondit Pol, quelque peu surpris par tant d'agressivité et ne sachant plus où se mettre ni quoi répondre.

La jeune oiselle continua son chemin en s'efforçant d'accélérer le pas pour regagner les précieuses secondes que cet abruti venait de lui faire perdre. Il la regarda s'éloigner, avec comme seuls regrets de ne pas l'avoir remise à sa place comme il aurait voulu le faire mais également de ne pas avoir pu obtenir son numéro de téléphone. L'éternel masochisme des attirances l'avait encore frappé. Mais il l'oublia vite, le consulat panaméen attendait des passeports, et il était déjà en retard.

Il enfourcha son vélo et parcourut rapidement les quelques pâtés de maisons qui le séparaient du bâtiment. Celui-ci n'était pas visible depuis la rue et il dut traverser un petit jardin après s'être présenté à l'interphone de l'entrée piétonne de la propriété.

Le bâtiment était une sorte de maison de particulier style XIXème réhabilitée en petit immeuble de bureaux. Le style néoclassique de l'architecture tranchait assez avec celui de la décoration intérieure. Tableaux de cités amérindiennes, sarbacanes authentiques d'indiens Emberá, plans d'époque de la construction du canal de Panama et arbustes du pays décoraient en grand nombre le hall de la bâtisse, ce qui avait pour effet, recherché ou non, que le visiteur se crut au niveau des tropiques, à environ neuf mille kilomètres de là. Un large poster encadré représentait également le tout nouveau quartier d'affaires de Panama City, ce qui remettait les idées en place. C'était agréable de changer de cadre de temps en temps, mais Pol était pressé. Il remit le colis à la secrétaire avant de repartir.

En sortant de la cour il remarqua une voiture attendant à un feu rouge, et même si ce modèle de Chrysler n'était pas très rare à Paris, il lui semblait l'avoir déjà vu quelque part. Sa couleur gris métallisé, ses jantes noires, ses rétroviseurs chromés et ses vitres légèrement teintées, il l'avait déjà croisée mais il ne se rappelait plus où ni quand. Probablement dans une autre rue d'un autre quartier, en faisant une course. Il parcourait souvent les mêmes rues et ça lui arrivait de croiser les mêmes voitures. Le feu passa au vert et la voiture redémarra avant de disparaître à un carrefour un peu plus loin. Pol oublia vite cette vision anecdotique et revint à ses livraisons. Il voulait les finir rapidement pour pouvoir rentrer tôt chez lui.

Il avait repéré une soirée d'inauguration d'un nouveau musée dans son arrondissement et il comptait bien aller y grappiller quelques canapés. Ainsi, le soir venu, il se fît beau pour l'occasion et partit à l'aventure. Il avait prévenu un de ses amis rencontrés dans une autre soirée et ils devaient s'y retrouver.

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