Chapitre VI - Alcool

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La parisienne s'avança vers lui avant même qu'il ait pu réfléchir à une stratégie d'approche. Il se demanda d'ailleurs en la voyant arriver avec autant d'assurance si ce soir-là, ça n'allait pas être lui la proie. Il remarqua un léger maquillage noir aux paupières et put admirer les sourcils broussailleux mais très soignés qui enjolivaient ses yeux verts en amande.

- Salut ! commença-t-elle. Félicitations pour ta victoire au jeu d'alcooliques, mais tu ne préfèrerais pas plutôt m'offrir un verre, pour faire connaissance ? lui proposa-t-elle avec aisance.

- Salut, il fallait bien que je montre à ces rigolos qui était le meilleur. Si bien sûr, j'ai repéré des cocktails sympas là-bas. Tu t'appelles comment ?

- Eléonore, et toi ?

- Pol. Suis-moi Eléonore.

Et ils allèrent faire connaissance dans une autre salle moins haute de plafond que la salle principale mais tout aussi fournie en œuvres d'art et en invités. Elle disposait également d'un buffet où d'innombrables sortes d'apéritifs plus originaux les uns que les autres étaient proposées. Ils prirent chacun un cocktail Atlantis dans lesquels le barman avait plongé un morceau de barbe à papa qui se dissolut petit à petit dans l'alcool, comme une cité engloutie par les eaux.

Ils commencèrent à discuter de leurs vies, leurs bonheurs, leurs malheurs. Pol était autant enivré par la petite robe noire qu'Eléonore portait comme parfum que par celle qu'elle portait tout court. Tous ses sens étaient en éveil alors qu'elle lui parlait avec entrain des études de marketing qu'elle débutait tout juste.

Elle parlait sans s'arrêter et sans vraiment faire attention à lui, comme une speakerine devant la caméra. Elle rit quand il lui expliqua comment il avait réussi à entrer et ils commencèrent lentement à se rapprocher l'un de l'autre, comme si de rien n'était.

La proximité avec cette fille qu'il croyait inaccessible flattait son ego. Elle paraissait maintenant à portée de ses fantasmes et ils continuèrent à flirter jusqu'à ce que la soirée commence à décliner en ambiance. Vers une heure du matin, ils se décidèrent à quitter le musée et elle l'invita chez elle.

Encore sous une légère emprise alcoolisée, ils firent l'amour sans tendresse jusqu'au milieu de la nuit, avant de s'endormir chacun de leur côté.

De retour à son appartement le lendemain matin, il reçut un message de Romain qu'il avait complètement oublié. Celui-ci avait été expulsé du musée après avoir vomi dans un plat de mini bouchées à la reine, et avait fini la nuit en cellule de dégrisement. Pol s'amusa de cette histoire et comptait bien réorganiser ce genre de soirée avec ce joyeux dépravé.

Sa vie à Paris suivait son cours, boulot par-là, sorties par-ci et les jours défilaient tranquillement sans que rien ne vienne déranger cette routine.

Toutes ses journées qui se ressemblaient allaient bientôt connaître quelques changements. Un soir, en revenant du travail, Pol consulta ses mails et parmi les nombreux spams qu'il avait reçus un message se distinguait. C'était un ami de sa mère biologique, celle qu'il ne voyait que quelques fois par an. Il le pressait de venir la voir sans ajouter d'autres détails. Pol se demanda bien ce que sa mère avait et pourquoi on ne lui avait pas plutôt directement téléphoné au lieu de lui envoyer ce mail vague.

Sa mère, qui habitait dans un petit village de Côte-d'Or, était au chômage depuis des années et passait ses journées à engloutir des bouteilles de Whisky pur malt en vociférant devant les programmes de téléréalité passant en boucle à la télévision. Il ne restait plus grand-chose de la sublime femme qu'elle était lorsque Pol n'était encore qu'un bébé, ceci étant dû en partie parce qu'elle ne s'était jamais remise de la séparation d'avec le père de Pol qui l'avait abandonnée, seul avec son enfant.

Comme nous étions un vendredi soir, Pol décida d'aller la voir le lendemain. Il lança quelques affaires dans un sac et alla ensuite essayer de dormir.

Il partit le samedi de bonne heure et passa chez sa famille d'accueil pour leur emprunter leur voiture pour le trajet qu'il lui restait à faire.

Il arriva donc dans ce petit village perdu, où le nombre de têtes de bétail est presque plus important que celui des habitants qui ont le teint aussi gris que les vieilles pierres de leurs maisons. La maison de sa mère se situait en bordure de la petite cité.

Quand Pol entra par la porte toujours ouverte il ne put s'empêcher de grimacer en humant l'odeur de renfermé qui y régnait. Il se dirigea machinalement vers le salon où sa mère, enfoncée dans son fauteuil, était occupée à grignoter des chips en regardant des jeunes tatoués qui s'agitaient à la télévision.

- Ils sont vraiment cons ces jeunes ! dit-elle alors qu'elle ne s'était pas aperçue que son fils était dans la même salle.

- Salut maman, c'est moi, Pol.

- Ah Pol, mon chéri, je ne t'ai pas entendu entrer. Qu'est-ce qui t'amène ? Tu ne m'as pas prévenu de ta visite. ajouta-t-elle en se resservant un grand verre de Glenfidditch.

- Comment ça ? C'est Eric qui m'a dit de venir te voir, il m'a écrit que tu n'allais pas bien.

- Eric ? Il est fou ce garçon !? Elle s'était tournée vers Pol, une main posée sur l'accoudoir et le coude levé.

Son regard était vague et on pouvait voir que le blanc de ses yeux, qui autrefois était immaculé, avait viré au jaunâtre et était injecté de vaisseaux de sang. C'est à ce moment qu'ils entendirent la porte s'ouvrir. Eric était là, l'air préoccupé. Il les salua et commença à s'expliquer.

- Pol, je t'ai dit de venir pour ta mère mais en réalité c'était pour une autre raison. J'ai reçu cette semaine la visite de plusieurs hommes, qui se faisaient passer pour des gendarmes, mais je ne suis pas dupe ! J'ai tout de suite compris qu'ils n'en étaient pas.

- Que voulaient-ils ? Quel rapport avec moi ?

- Ils m'ont posé des questions sur toi...

- Quel genre de questions ?

- Ils voulaient savoir ce que tu faisais de tes temps libres par exemple, j'ai trouvé la question bizarre. Quand je leur ai demandé ce qu'ils te voulaient, ils m'ont répondu que tu avais des informations dangereuses en ta possession. Est-ce que c'est vrai ?

- Des infos dangereuses ? Je ne vois pas non.

- Ils avaient un genre d'accent anglais aussi, c'est surtout ça qui m'a interpellé.

- Ils ont dû se tromper de personne.

- Ah et ils m'ont aussi demandé si tu avais l'intention de quitter la France.

- Pas spécialement non, j'ai bien envie d'aller à Chicago mais... il s'arrêta, c'était peut-être en rapport.

Comment pouvaient-ils s'en douter alors que lui-même n'en avait jamais parlé à personne, et que ce n'était qu'un vague projet. Mais surtout que lui voulaient-ils ? Quelles étaient ces informations dangereuses ? Les questions qu'il se posait ne manquaient pas.

Eric conseilla à Pol d'être sur ses gardes avant de quitter la maison. Le soir Pol veilla à ce que sa mère s'endorme correctement dans son lit avant d'aller lui-même se coucher sur le canapé du salon.

Il prit le chemin du retour le lendemain matin et personne ne le recontacta au sujet d'informations qu'il aurait en sa possession. Il repensait tout de même souvent à ce que lui avait dit Eric et un jour il ressortit le testament de son père pour essayer de voir s'il y avait un rapport avec ces mystérieux interrogateurs.

Il relut les quelques lignes que contenait la feuille principale et s'arrêta encore une fois sur cette adresse : 875 North Michigan Avenue, Chicago, IL 60611, USA. Il se rendit compte qu'il n'était jamais allé voir sur internet où cela se situait exactement. Il l'écrivit dans le moteur de recherche et le pointeur, positionné à Paris, s'envola alors pour traverser l'Océan Atlantique et atterrir en plein milieu de Chicago.

Pol resta bouche bée quand il s'aperçut que l'adresse indiquait un des plus grands gratte-ciels de Chicago, l'Hancock Tower. Il était probablement l'heureux possesseur d'un appartement dans cette tour géante, au milieu de cette magnifique ville, et il n'y était encore jamais allé. Cela pourrait changer dans moins longtemps qu'il ne l'imaginait.

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