Prolepse - Roosevelt Island Bridge

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Pol en avait la certitude, ses jambes ne tiendraient pas le rythme indéfiniment. Ses pas précipités résonnaient entre les murs de la ruelle dans laquelle il venait de s'engouffrer et qui n'était éclairée que par la veilleuse tremblotante d'une sortie de secours.

Il pensa un instant avoir réussi à semer ses poursuivants mais des voix résonnèrent derrière lui. Il reprit son souffle dans le renfoncement d'un immeuble. Il pensa à Anna, à ses rires, ses regards, et à sa façon bien particulière qu'elle avait de se rouler dans ses bras, les yeux fermés. Où était-elle à présent ? Pol n'en avait aucune idée.

On le traquait depuis presque une heure et ses forces commençaient à l'abandonner. Il hésitait à continuer. Mais qu'allait-il se passer s'il abandonnait ? Peut-être que ces gens étaient déterminés à l'assassiner, comme ils avaient déjà tenté de le faire. Après avoir jeté un coup d'œil dans la rue principale qu'il avait quittée pour se reposer, il reprit sa course effrénée aussi discrètement que possible sans vraiment savoir où il se dirigeait.

Des voix se firent entendre dans le crépuscule. Elles étaient toutes proches. Il pouvait voir des silhouettes se mouvoir à quelques dizaines de mètres derrière lui, mais également de l'autre côté du fleuve, le long des quais. Il comprit alors qu'il était pris au piège, le seul pont qui aurait pu le sauver allant bientôt être atteint par ces ombres. Les ricanements qu'il entendit confirmèrent ses craintes.

La panique commença à le gagner et il se demanda comment il allait se sortir de là. Il courut aussi vite qu'il le put, son porte-documents dans une main, son courage dans l'autre. Il arriva enfin au pont de Roosevelt Island. Celui-ci enjambe l'East River à l'Est de Manhattan. Fait de poutres en acier peintes d'ocre rouge, il a l'architecture typique des constructions métalliques du début du XXème siècle. Sa partie centrale peut s'élever d'une dizaine de mètres, guidée par deux tours, afin de laisser passer les navires trop hauts. Il n'est pas rare de voir des mouettes perchées sur son imposante structure, scrutant les flots à la recherche du moindre remoud anormal.

Mais à bout de souffle Pol se fichait bien de savoir à quelle époque avait été construit ce pont, de combien de mètres il pouvait s'élever, de quel type de peinture il était recouvert et surtout que de stupides volatiles puissent s'en servir comme d'un simple mirador.

Ce soir-là peu de véhicules l'empruntaient, et les rares qui le souhaitaient allaient bientôt être contraints de rebrousser chemin devant les barrières humaines qui commençaient à se former des deux côtés. L'atmosphère était lourde, un peu comme avant l'arrivée d'un orage.

- C'est fini jeune homme, ça ne sert plus à rien de courir ! cria une voix.

Il n'avait pas été assez rapide, et pris au piège sur ce pont il prit pleinement conscience de l'inanité de ses efforts. Ses poursuivants avaient sur leurs visages la satisfaction d'avoir mis un terme à cette interminable traque.

- Il faut vous rendre à l'évidence, Monsieur Bralet, vous avez perdu ! lui lança l'un des hommes qui s'avançaient vers lui. Donnez-nous les documents et on en restera là...

Il eut du mal à le croire. Le doute s'invita dans son esprit embué par l'effort de la course. Ce serait trop simple, ça ne pouvait être qu'un subterfuge, un de plus. Des deux côtés du pont les hommes en noir se rapprochaient lentement, sans bruit ni gestes brusques, comme des chasseurs ne voulant pas effrayer un fébrile petit chevreuil pris dans leur filet.

Il regarda un instant par-dessus le parapet. L'eau coulait sous lui, sombre et froide malgré la chaleur de l'été. C'est alors que dans un élan incontrôlé, ne sachant plus quoi décider, il lança la pochette de toutes ses forces. Il venait en quelque sorte de se libérer.

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