Chapitre VII - L'accident

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Maintenant qu'il savait que des personnes le recherchaient, Pol était sur ses gardes, même s'il ne comprenait pas ce qu'il risquait vraiment. C'était probablement un malentendu qui se réglerait rapidement. Les semaines passèrent et personne ne vint lui poser de questions. Cette étrange histoire n'allait probablement pas avoir de suite, c'est du moins ce qu'il espérait. Pour se changer les idées il comptait se renseigner pour partir à Chicago dans quelques mois, et découvrir alors ce qui lui appartenait. Il avait du mal à croire qu'il puisse être le propriétaire d'un appartement dans un des bâtiments emblématiques de la ville, cela lui paraissait tellement loin, lui qui n'était jamais sorti du continent européen.

Il s'imaginait déjà déambuler dans cette ville, prendre le métro aérien, se promener sur la Navy Pier ou dans les parcs de l'Université et manger dans des restaurants où des serveurs seraient toujours là pour veiller à ce que son verre d'eau ne soit jamais vide. Cette ville fondée par des français et dont la renommée mondiale n'était plus à prouver allait peut-être devenir son nouveau terrain de jeu, et l'argent de son héritage allait lui permettre de prendre son temps pour trouver un nouveau travail, voire de reprendre ses études là-bas. En attendant il profitait toujours des joies et des merveilles que lui offrait Paris, alternant entre travail et sorties festives avec ses amis tout en s'imaginant une autre vie aux Etats-Unis. Il savait que ça allait être difficile de partir, tous ses amis habitant en France, c'est aussi pour cela qu'il ne souhaitait pas partir du jour au lendemain et il ne savait pas lui-même combien de temps il comptait vivre là-bas. Quelques mois ou des années, il ne pouvait encore le prévoir et cela dépendrait de beaucoup de choses, et certaines de ces choses ne dépendraient pas de sa volonté.
Un jour de mars, alors qu'il cherchait son chemin pour aller livrer une grande et épaisse lettre de papier kraft dans un quartier au-delà du périphérique, il se rendit compte que quelqu'un le suivait. Son GPS ne fonctionnait plus très bien depuis quelques jours et il dut pour une fois s'aider des panneaux pour se diriger. Il s'engagea dans un grand rond-point mais rata la sortie qu'il devait prendre. Il continua donc à tourner pour la prendre pour de bon quand il s'aperçut que la voiture qui était derrière lui avant d'arriver au carrefour giratoire avait également fait un tour de plus et était toujours derrière lui, à une cinquantaine de mètres. Il ne s'en inquiéta pas spécialement, jusqu'à ce qu'il tourne la tête pour vérifier machinalement quelque chose. Une peinture grise, des rétroviseurs chromés, une large grille de radiateur, des vitres teintées et un orgueilleux logo ailé, tout le puzzle de ses pensées vagabondes et dissociées venait de se résoudre en un coup d'œil en arrière. C'était le même véhicule qu'il avait aperçu devant le Consulat du Panama et maintenant qu'il le voyait une nouvelle fois, il savait que c'était très certainement ce véhicule qui avait failli le percuter à Langres l'année précédente. En une seconde il comprit que les personnes qui occupaient ses sièges en cuir sombre ne lui voulaient surement pas du bien. C'était sans aucun doute les faux gendarmes qui avaient questionné Eric et qui cette fois voulaient avoir des réponses de la part du principal intéressé. La voiture s'approchait de plus en plus et Pol décida d'accélérer pour tenter de la semer, ce qui ne serait pas difficile grâce à son 125cc avec lequel il avait bien plus de maniabilité dans les rues parisiennes qu'avec une grosse berline américaine. Tous ses doutes s'envolèrent lorsqu'il entendit le souffle rauque du moteur de la Chrysler s'emballer dans une accélération fulgurante. La circulation à cette heure de l'après-midi était relativement calme et ceci n'était pas forcément à l'avantage de Pol et malgré l'imposant volume et le poids de la voiture, celle-ci évoluait dans les ruelles étroites avec une angoissante facilité. Pol avait mis les gaz, grillé un certain nombre de feux rouges et refusé autant de priorité, mais il n'arrivait pas à la distancer, elle le talonnait sans difficulté. On aurait presque pu penser qu'ils étaient en train de s'amuser, comme le chat qui ne dévore pas de suite la souris, lui laissant le fol espoir d'une fuite réussie. La course-poursuite semblait interminable et pourtant elle n'avait commencé que depuis une dizaine de minutes. Ils croisèrent une voiture de Police dont les occupants, occupés à verbaliser un livreur mal garé, n'eurent même pas le temps de tenter une poursuite ou de prendre le numéro des plaques. Pol se retourna à nouveau pour jauger sa faible avance. La Chrylser était justement assez proche pour qu'il puisse distinguer sa plaque d'immatriculation qui attira son regard pendant les quelques dixièmes de seconde de concentration que la course folle lui permettait d'avoir entre chaque carrefour. Cette plaque n'avait rien de normale. Elle était de couleur vert foncé avec des inscriptions orange. Il avait rarement vu ce type de plaque auparavant et ne savait pas ce qu'elle signifiait, et sincèrement ces quelques détails n'avaient aucune importance à cet instant où il faisait frotter la béquille de son scooter pour négocier un virage en épingle et sauver peut-être sa vie. Après avoir traversé plusieurs pâtés de maisons il arriva à un feu rouge où par chance une petite file de voitures attendait. Il se faufila sur leur côté alors que ses poursuivants étaient enfin dans l'impossibilité de le suivre. Il en profita pour aller se perdre dans des quartiers inconnus mais dont il savait comment sortir discrètement. Il s'arrêta dans une rue tranquille pour reprendre ses esprits et réfléchir plus efficacement, avant de redémarrer. Après environ un quart d'heure à rouler il se dirigea vers la Porte de La Villette pour regagner le centre de Paris, même s'il ne savait pas s'il était prudent de rentrer chez lui. Peut-être savaient-ils où il habitait. Malheureusement, arrivé dans le quartier de l'Hôpital Saint-Louis, la Chrysler était à nouveau derrière lui, aussi incroyablement que cela pouvait paraître. Pol se demanda comment ils avaient fait pour le retrouver. Il reprit sa course de plus belle mais la voiture gagnait du terrain et alors même que celle-ci s'apprêtait à le renverser par l'arrière, elle pila. Pol ne comprit pas tout de suite pourquoi. Il venait d'arriver dans un carrefour, à pleine vitesse. Il y eut quelques secondes de battement avant qu'il ne ressente un énorme choc sur sa droite, trop fulgurant pour en éprouver une quelconque douleur. Il se sentit voler dans les airs pendant un temps indéterminé avant de retomber lourdement sur le bitume. Allongé, les yeux tournés vers une terrasse de café nommé « La Veilleuse » dont les clients s'étaient levés pour le regarder, il n'avait plus une grande conscience de la situation.

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